Les dangers de l’autonomie dans la décolonisation africaine

06/03/2024 mis à jour: 09:54
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Sur le Sahara occidental, une pléthore d’opinions d’universitaires, d’experts et de diplomates dans les chancelleries occidentales, et un afflux de visiteurs dans la région, ont émergé récemment, chacun à sa manière, tous enflammés par le désir d’une «solution» au conflit.

Tous voient dans sa prolongation une dérive grave et incontrôlable vers un embrasement à grande échelle. Certains, inquiets de la banalisation du droit international, appellent au respect des droits légitimes du peuple sahraoui. 

D’autres, presque dans des cris de culpabilité, proclament que le conflit s’éternise depuis des décennies et qu’il est temps de mettre fin à l’enracinement de ce conflit. Les derniers, aux sentiments aussi altruistes comme évanescents, affirment que la volonté du peuple sahraoui est encore insondable. Et parmi toutes les options possibles pour respecter sa volonté, ils optent pour la plus inopportune, la moins crédible, la moins démocratique et la moins réaliste. 

Cependant, ils ne se contentent pas d’insinuer, mais répètent ad nauseam que l’autonomie - une proposition vide et inopportune - est la meilleure option qui réponde aux aspirations du peuple sahraoui. Certains, plus ardents, ajoutent le superlatif «la plus» pour se distinguer des autres.

Tant de lamentations sur l’absence de solution au conflit, tant d’efforts déployés dans la recherche d’options de solution, et pourtant ce qui a été accepté comme la solution la plus démocratique, la plus juste et la plus acceptable est ignoré. L’effort frénétique pour enterrer l’option du référendum, la seule qui ait bénéficié de l’acceptation du Front Polisario, du Royaume du Maroc et de l’unanimité du Conseil de sécurité, est curieux. 

Dans cet enthousiasme récemment ravivé, la proposition du Front Polisario présentée au Secrétaire général de l’ONU et au président du Conseil de sécurité le 10 avril 2007, avant la proposition marocaine d’autonomie, est également éclipsée. 

Dans tout ce brouhaha, les intentions réelles de plusieurs des différents porte-parole et émissaires ont été mises à nu, et il n’est pas surprenant que cela ait suscité des réactions, des suspicions et des interrogations légitimes dans divers milieux de la région, et surtout au sein de la société sahraouie.

L’expérience historique du continent africain révèle que la décolonisation n’est pas l’annexion, et que la décolonisation n’est pas l’autonomie. Dans le contexte du processus de décolonisation africain, le droit à l’autodétermination s’identifie purement et simplement au concept d’indépendance et à la naissance d’une nouvelle nation. On a beau vouloir la détourner de cette tradition, la question du Sahara occidental ne peut être abordée que dans ce contexte. 

Dès 1975, la tentative d’imposer une autre perspective a précipité la catastrophe qui a maintenu toute la région du Maghreb dans un état d’anxiété permanent. En 1950, et avant la création de l’Organisation de l’unité africaine (OUA 1963), l’ancêtre de l’Union africaine (UA 2002), une tentative a été faite pour imposer le concept d’autonomie comme forme de décolonisation.

 L’Érythrée a été le cobaye de cette expérience risquée à un moment crucial de la lutte de libération de l’Afrique. Le résultat a été un échec retentissant et un coût incalculable en termes de souffrances et de tragédies pour le continent africain.

Le 2 décembre 1950, les Nations unies ont adopté la funeste résolution 390 (V) qui privait le peuple érythréen de son droit légitime à un État libre et indépendant.  Au lieu de cela, l’autonomie au sein de l’empire éthiopien a été imposée comme une voie vers la décolonisation de l’Érythrée. 

Malgré les assurances du Conseil de sécurité, l’étendue de l’autonomie et la présence d’observateurs internationaux, l’autonomie de l’Érythrée s’est rapidement transformée en annexion pure et simple par la grâce de Sa Majesté l’empereur Hailé Sélassié d’Éthiopie. L’empereur se considérait comme l’ombre du Créateur sur terre. Ses proclamations et ses édits sont sacrés. Les lois et les pactes ne peuvent entraver son pouvoir.

Mais rien ne pourra empêcher le verdict de l’histoire. La prolongation du conflit, l’arrogance de sa majesté, le pari aveugle sur les alliances étrangères se sont soldés par l’usure meurtrière de l’Éthiopie, le renversement de l’empereur Hailé Sélassié et du régime qui l’a remplacé. 

Enfin, après 42 ans de désarroi régional et 30 ans de guerre, l’ONU, repentante, admet son mea culpa et revient à la case départ.  En 1992, elle crée l’Unover (United Nations Observer Mission to Verify the Referendum in Eritrea) - qui se tient un an plus tard - et répare ainsi un grief imposé par des alliances circonstancielles au détriment de la légalité, contre la volonté du peuple érythréen et l’esprit de la décolonisation en Afrique.

Le procès avec l’Erythrée a été une expérience amère, ponctuée par l’une des guerres les plus sanglantes de l’histoire du continent, des famines, des exodes et une déstabilisation chronique de la Corne de l’Afrique qui, à ce jour, continue de hanter et de façonner l’avenir de la région. Mais finalement, l’inévitable a prévalu : l’indépendance de l’Érythrée par rapport à l’Éthiopie, malgré les nombreux liens historiques, linguistiques et culturels.

La formule de l’«autonomie» est une expérience qui a déjà échoué, selon l’histoire et l’expérience, et qui est incompatible avec l’esprit de la décolonisation de l’Afrique. Cette formule, qu’ils ont tenté d’imposer à l’Erythrée, refait surface aujourd’hui pour forcer et légitimer l’occupation du Sahara occidental, comme s’ils ne comprenaient pas que ce dessein ne peut que conduire aux mêmes effets néfastes et pernicieux déjà expérimentés dans la Corne de l’Afrique. Il manquerait aussi l’élément essentiel : le consentement et la volonté du peuple sahraoui, tout comme hier le consentement et la volonté du peuple érythréen ont été ignorés.

Ce n’est pas pour rien que les pères fondateurs de l’Organisation de l’unité africaine avaient raison : dans le contexte historique de l’Afrique, seul le respect du droit à l’autodétermination comme règle impérative du droit international peut garantir la stabilité du continent, d’où la charte fondatrice de l’OUA et récemment de l’UA, qui contextualise cette norme pour réaffirmer le principe de l’intangibilité des frontières hérité de la période coloniale. Le principe de l’Uti possidetis juris - violé par l’invasion marocaine - est érigé en dogme pour éviter la balkanisation du continent. Ce principe a également été adopté en Amérique latine après les indépendances pour prévenir les conflits causés par les revendications et les contre-revendications.

En ce qui concerne le Sahara occidental, en 1982, l’organisation de l’Unité africaine a finalement mis fin à l’interprétation de cette doctrine en reconnaissant la République sahraouie comme un Etat à part entière au sein de l’organisation. Cette reconnaissance a été considérée comme l’expression légitime du droit à l’autodétermination du peuple sahraoui, selon une interprétation stricte de la doctrine établie dans la charte fondatrice de l’OUA. 

Mais pas avant d’avoir épuisé toutes les possibilités de médiation pour amener le Maroc à respecter et à accepter ce principe cardinal auquel l’OUA identifie son existence même. L’opposition du Maroc à toute médiation et à toute solution autre que le fait accompli a précipité la reconnaissance historique de l’Etat saharaoui. 

Un modèle à suivre dont le rejet par l’ONU est à l’origine de tous les imbroglios et échecs de l’ONU dans le traitement de la décolonisation du Sahara occidental. Imposer l’autonomie au peuple sahraoui contre sa volonté reviendrait à imposer une guerre permanente à la région. C’est une folie inadmissible.

La tentative désastreuse d’imposer l’autonomie de l’Érythrée au sein de l’Éthiopie impériale sous le règne de l’empereur Hailé Sélassié est-elle passée sous silence ?
 

Malheureusement, peu de leçons ont été tirées de l’histoire mouvementée du processus de décolonisation de l’Afrique. 

Plus de trois décennies de guerre dans la Corne de l’Afrique suffisent amplement à démontrer que l’imposition de l’autonomie dans le contexte de la décolonisation de l’Afrique est une aberration politique et juridique. Il est clair que peu de choses ont été apprises depuis lors et que l’autonomie continue d’être interprétée de manière capricieuse comme une couverture pour l’annexion. 

Pour l’Éthiopie de l’empereur Hailé Sélassié comme pour l’actuel royaume du Maroc, le non-respect de leurs obligations est la norme, et les discours et édits de leurs souverains transcendent toute décision du gouvernement, du parlement et, bien sûr, du droit international. Les promesses non tenues n’augurent rien de bon pour les engagements futurs. 

Hasan II avait déjà promis de respecter le résultat d’un référendum, et que «le Maroc serait le premier pays à ouvrir une ambassade dans un Sahara indépendant, si les urnes en décidaient ainsi». Rapidement, la promesse est devenue que seul un référendum confirmant la souveraineté marocaine est valable. Aujourd’hui, le Maroc désavoue tout ce qui a trait à un référendum et s’en tient à la proposition d’autonomie comme seule solution.

L’autonomie, aussi louangeuse soit-elle, n’est rien d’autre qu’une simple annexion. C’est ligoter le peuple sahraoui au joug d’une autre société assujettie. Une injustice qui ne serait que la méthode la plus facile pour imposer et légaliser le fait accompli colonial. Ce serait la «solution finale» à la question sahraouie. C’est la solution proposée au peuple sahraoui et à la région.  Rien ne peut légitimer une violation flagrante du principe d’intangibilité des frontières hérité de l’époque coloniale.
 

En résumé, l’autonomie est une capitulation qui consiste à :

- Démanteler la résistance sahraouie, imposer et légitimer une occupation, ce qui n’a pu être imposé par la force ou la diplomatie pendant un demi-siècle.
- Dénaturer le sens du droit à l’autodétermination du peuple sahraoui - si profondément ancré dans la doctrine de l’ONU et de l’Union africaine - et l’abandon de tout ce qui a trait à la décolonisation de la question sahraouie.
- Le démantèlement de tous les acquis diplomatiques du peuple sahraoui par la fermeture de ses ambassades et représentations dans le monde. 
- Le démantèlement de son arrière-garde dans les zones libérées et les camps de réfugiés. 
- Faire de l’armée sahraouie un appendice de la police locale afin de garantir l’imposition de l’autonomie sur le territoire.
- Utiliser l’expertise de gestion de l’administration sahraouie pour le ramassage des ordures et autres tâches superflues dans un territoire occupé.

 

La deuxième phase de l’expansionnisme marocain commencerait après l’imposition hypothétique de l’autonomie au Sahara occidental. Il semble clair que les partisans de l’autonomie sont complètement inconscients de ce que l’imposition de l’autonomie marocaine au Sahara occidental apporterait à la région. Ce serait le début d’une deuxième phase d’expansionnisme dans toute la région.
 

Dans cette confrontation existentielle où le peuple sahraoui affronte seul le poids de l’agression, il mérite le soutien total de tous ses voisins pour repousser l’expansionnisme. Un soutien même de la part de ceux qui se croient, à tort, protégés par une exceptionalité, à l’abri de l’expansionnisme marocain, et qui misent dangereusement sur le concept d’autonomie comme solution. Le salut de tous les voisins du Maroc serait collectif, sinon nous succomberons tous un à  un aux griffes de son expansionnisme. 

Abandonner le peuple sahraoui à son sort, c’est non seulement consentir gravement à l’acquisition de territoires par la force, mais c’est aussi ouvrir toutes grandes les portes d’une région tant convoitée par un expansionnisme agressif, abreuvé d’alliances qui n’incitent qu’à l’aventure. 

L’indifférence à l’égard de la situation actuelle équivaudrait à une blessure mortelle auto-infligée, et ce qui a toujours été latent commencerait à fleurir : la résistance sahraouie déterminerait sans aucun doute l’avenir de toute la région.


 

 

Par Alien Habib Kentaoui

Ancien ambassadeur de la République sahraouie auprès de l’Organisation de l’Union africaine

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