L’ensemble de la classe politique espagnole dénonce sa politique vis-à-vis du conflit sahraoui et de l’Algérie : Pedro Sanchez désavoué et isolé

11/06/2022 mis à jour: 02:19
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La suspension par l’Algérie du traité d’amitié, de bon voisinage et de coopération avec l’Espagne, «conséquence de l’absence d’une politique d’Etat» de Madrid, est une «très mauvaise nouvelle» pour les Espagnols, a indiqué jeudi le Parti populaire.

Après avoir pris connaissance de la décision des autorités algériennes de suspendre le traité d’amitié, de bon voisinage et de coopération liant l’Algérie et l’Espagne, le ministre espagnol des Affaires étrangères, José Manuel Albares, a fait savoir que l’Exécutif est «en train d´analyser la portée pratique et les implications au niveau national et européen», pour donner «une réponse appropriée, sereine, constructive, mais aussi ferme dans la défense des intérêts de l’Espagne et des entreprises espagnoles». 

Le gouvernement espagnol insiste néanmoins sur son souhait «d’avoir les meilleures relations avec l’Algérie» et maintient que l’Espagne reste prête à souscrire à tous les principes et contenus du traité d’amitié, principalement l’égalité souveraine des deux Etats, la non-ingérence dans les affaires intérieures, le respect et le bénéfice mutuel. Le ministre Albares a souligné que c’est sous ces prémisses «que nous voulons avoir les meilleures relations avec l’Algérie».

Mais le PSOE ne trouve pas de soutien à sa gestion avec l’Algérie et reçoit des critiques de ses alliés et de l’opposition. Le chef du Parti populaire, Alberto Núñez Feijóo, a estimé que «nous vivons actuellement un moment de choc et de confusion». 

Il a fait remarquer au président du gouvernement, qui n’avait pas contacté l’opposition pour expliquer ce qui s’était passé avec l’Algérie : «Je pense que tous les groupes auraient dû recevoir un appel du gouvernement pour savoir quels seraient les effets de cette décision, et la vérité est que, pour l’instant, nous n’avons aucune information», a-t-il regretté. 

Alberto Núñez Feijóo a également appelé le gouvernement algérien à «faire la distinction entre le gouvernement espagnol et le peuple espagnol». «Les citoyens n’ont pas participé à cette décision ni à la nouvelle stratégie du gouvernement au Sahara. J’espère que le gouvernement algérien ne fera pas payer les effets d’une politique improvisée au peuple espagnol», a-t-il souligné.

Le plus dur a été l’ancien président José Maria Aznar, qui considère que le gouvernement espagnol a fait un pas «ridicule colossal» avec l’Algérie et a laissé l’Espagne dans une «situation délicate». «Il est difficile de trouver dans la politique espagnole une plus grande erreur», estime-t-il. 

De son côté, Vox, par le biais de son porte-parole au Congrès, Iván Espinosa de los Monteros, a ouvertement demandé la démission du président du gouvernement, estimant que c’est lui qui «a mis le bordel» avec l’Algérie en soutenant la proposition marocaine pour le Sahara et qui a fait «le ridicule» au Parlement en niant «avec orgueil» que ce revirement ait eu des conséquences avec Alger. «L’Espagne ne mérite pas cette punition», a-t-il insisté.

Lien émotionnel

Mais les critiques ne viennent pas seulement de l’opposition. Elles émanent également des alliés du PSOE. C’est ainsi qu’Unidas Podemos a déploré la situation en rejetant la faute sur le tournant de Sánchez sur le Sahara. 

Selon la vice-présidente Yolanda Diaz, il est «clair» que la nouvelle position sur l’ancienne colonie a des «conséquences», et elle a rappelé qu’elle est en désaccord avec ce tournant en raison du lien «émotionnel» entre l’Espagne et le peuple sahraoui. 

Pour leur part, Esquerra Republicana et Bildu se sont inquiétés des répercussions que pourrait avoir la décision de l’Algérie de ne pas appliquer le traité d’amitié avec l’Espagne et de rompre les relations commerciales entre les deux pays, et ont de nouveau demandé au président Pedro Sánchez de rectifier et de se conformer à la position traditionnelle de l’Espagne sur le Sahara. 

Dans des déclarations dans le hall du Congrès, le porte-parole de ERC, Gabriel Rufián, a de nouveau critiqué la «frivolité» de la décision «unilatérale» de Sánchez, qu’il a accusé d´échanger des principes avec d’autres choses. 

De son côté, la porte-parole de l’EH Bildu, Mertxe Aizpurua, a souligné que la décision de l’Algérie pourrait affecter très négativement les exportations de l’industrie basque et demandé au gouvernement de reconsidérer sa position actuelle sur l’ancienne colonie espagnole face à cette «situation difficile».

Choc économique

La décision de l’Alger de geler les relations commerciales avec l’Espagne affecte de plein fouet les intérêts des entreprises espagnols opérant en Algérie et celles qui y exportent leurs produits. Il existe près de 300 projets entre l’Espagne et l’Algérie dans différents secteurs, tels que le pétrole, la construction, les infrastructures, l’agroalimentaire ou l’industrie pharmaceutique. 

L’Algérie est classé 23e dans le classement des pays vers lesquels l’Espagne exporte de la nourriture et des boissons. Les principaux produits exportés sont l’huile de soja, les plats préparés, le cacao, le chocolat, le lait et ses dérivés.

Au total, 550 entreprises espagnoles y sont installées et d’autres ont des projets en Algérie. 

Outre les sociétés opérant dans le secteur énergétique, comme Naturgy, Repsol, Cepsa et Iberdrola, il y a aussi des entreprises importantes, comme Indra, qui ont des investissements ou développent des projets, comme Techniques réunies (construction d’une raffinerie de pétrole) ou les constructeurs Sacyr et Acciona, avec la construction et l’exploitation de trois usines de dessalement. Sont présents également Vicky Foods (ancien Dulcesol), avec une usine à Oran ; le groupe Gallina Blanca ; la compagnie aérienne Swiftair ; les constructeurs FCC, Ortiz et le groupe Cobra ; le fabricant d’ascenseurs Omega ou le fournisseur de technologie pour le tourisme Amadeus. 

D’autres entreprises y sont également installées, comme le constructeur de trains CAF ou les laboratoires navarrais Cinfa. Des assureurs, tels que Mapfre ou Axa, et des banques, telles que Sabadell ou Caixabank, sont également présents dans le pays. 

Les données des douanes algériennes placent l’Espagne au cinquième rang des fournisseurs de l’Algérie en 2020, derrière la Chine, la France, l’Italie et l’Allemagne. En même temps, l’Espagne est troisième client de l’Algérie pour la même année, derrière l’Italie et la France. 

Au-delà des produits énergétiques, l’Algérie est un fournisseur-clé pour l’Espagne de produits, tels que les produits chimiques et les engrais. 

Par exemple, 80% de tout l’ammoniac importé par l’Espagne proviennent de l’Algérie. En outre, l’Espagne s’approvisionne auprès de l’Algérie 33% de l’urée (un engrais azoté) qu’elle achète sur le marché international. Ces données font de l’Algérie un partenaire stratégique de l’Espagne.

Espagne 
De notre correspondant  Ali Aït Mouhoub

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