Un retour sur les expériences des quatre dragons asiatiques nous rappelle que ces pays ont eu des régularités dans les stratégies qui ont construit leur modèle de développement.
La stratégie de la remontée dans les filières de production était liée aux efforts d’investissements matériels, associé aux opportunités de l’ouverture de l’économie.
En effet, ils ont commencé au début à développer une industrie de substitution aux importations. Ensuite, ils ont investi dans l’industrie légère (particulièrement le textile) destinée à l’exportation.
Et les gains en devise réalisés ont été investis dans l’industrie lourde (sidérurgie, constructions navales, pétrochimie, etc.), ensuite dans l’industrie d’équipement (construction automobile, électronique grand public, etc.). Cela leur a permis au début de satisfaire le marché intérieur, ensuite le développement des exportations.
Ces pays ont également réussi à valoriser les grandes entreprises conglomérales (avec un fort soutient de l’Etat) pour tirer leur croissance économique vers le haut. En Corée du Sud par exemple, les Chaebols, comme Hyundaye, Samsung ou Lucky Goldstar (LG) ont été créés avec des investissements publics puis revendus au secteur privé.
En arrière-plan, l’émergence économique des pays du Sud-Est asiatique était associée aux investissements immatériels (éducation, formation professionnelle, activités de recherche, etc.). Cela a permis le développement de compétences et capacités.
Ces dernières ont permis de produire et de maîtriser des produits et des processus productifs de complexité croissante.
Ces compétences et capacités consistent en personnes qualifiées pour le développement et l’absorption des savoirs tacites, en connaissances incorporées en particulier dans les biens de production et en connaissance non incorporée, le plus souvent de caractère formel.
A ce titre, les capacités et les savoirs peuvent être construits localement ou importés de l’extérieur. Les deux modalités coexistent en proportions variables dans toutes les économies comme dans toutes les entreprises.
Dans les PED en retard sur le plan scientifique et technologique, la partie d’origine externe (l’absorption de connaissances externes) est clairement dominante à cause de la faiblesse du niveau des compétences humaines et des efforts en matière de Recherche & Développement (R&D) qui limitent l’augmentation du stock de connaissances.
En effet, les compétences scientifiques et technologiques sont devenues indispensables pour la croissance et le développement. Dès lors, la construction de compétences et capacités constitue l’un des éléments majeurs et décisifs pour les performances économiques, à la fois les performances des entreprises et les performances macroéconomiques.
Cette tendance est liée au rôle du développement de l’économie de la connaissance, où les institutions et les organisations en faveur l’éducation et la formation de compétences, le financement de la R&D, la réglementation et les régimes de propriété intellectuelle constituent des éléments stratégiques pour promouvoir les activités de l’innovation et créer de la richesse.
Ceci a affecté les domaines d’intervention des pouvoirs publics au sein des pays et le besoin d’instaurer des politiques d’innovation pour la construction d’une économie fondée sur la connaissance.
Au plan micro-économique, ces bouleversements ont concerné également les entreprises et leur mode de fonctionnement, avec le développement d’entreprises innovantes pour la compétitivité économique.
Ainsi, l’émergence économique est liée à l’amélioration des compétences de la main d’œuvre, à la production et la diffusion des connaissances dans les entreprises et dans l’économie en général, à la reproduction des pratiques efficaces, enfin, à l’amélioration de la qualité des produits et les processus de production.
Comme l’explique les économistes Haudeville et Younes Bouacida (2015), «leur mise en œuvre nécessite des capitaux importants destinés à l’investissement, à la formation, à la recherche. Ils résultent d’un véritable processus d’investissement, au même titre que celui qui permet la mise en valeur des ressources naturelles.
Seul l’objet est différent, dans un cas, il s’agit de mise en valeur de ressources naturelles, dans l’autre, la mise en valeur des capacités humaines».
L’émergence économique est liée également à la culture de développement et les valeurs collectives au sein de la société.
En effet, il semble désormais dans les PED que le développement ne dépend plus uniquement de paramètres économiques ou politiques, mais aussi des valeurs collectives et de la culture de développement de la population et de la société en général.
L’expérience des pays asiatiques, qui ont pu sortir durablement du sous-développement, a montré qu’ils n’ont pu arriver à ce résultat qu’avec la seule capacité de travail de leur population.
En effet, ces populations étaient disciplinées et animées d’un sens de l’intérêt national. Les traits culturels de ces sociétés étaient l’optimisme envers l’avenir et l’enthousiasme pour le développement. Comme le souligne l’économiste Casson (1993), les valeurs collectives influent aussi sur les performances économique d’une société parce qu’elles créent une cohésion morale.
Cela suppose donc le travail, le sérieux dans le travail, le respect de la dignité de la personne humaine qui permet une plus grande harmonie dans la société, et enfin le respect des lois et des règles en vigueur et l’action pour l’intérêt général.
En définitive, l’émergence est considérée comme une étape essentielle dans la trajectoire qui conduit un pays en développement vers le développement économique. L’exemple des pays du Sud-Est asiatique dans un passé récent, de la Chine aujourd’hui, illustrent, à juste titre ce phénomène.
Ces pays ont su adapter les variables formation de compétences et capacités, innovation et progrès à leur contexte et réussi à assurer une bonne gouvernance et une bonne qualité des institutions.
Favorisés par la culture de développement et les valeurs collectives de leur population et l’ensemble de la société, ils ont pu remonter sur quelques décennies le chemin qui les séparait des frontières technologique et s’y positionner durablement au même titre que les pays développés.
Ces exemples permettent ainsi de dégager des règles universellement valables pour passer du sous-développement au développement.
Mais le «basculement» dans un nouveau mode de croissance fondée sur une économie diversifiée et solide repose sur les décisions publiques et sur la capacité des individus et des entreprises à s’approprier de nouvelles règles de fonctionnement du système économique.
En comparaison avec d’autres pays en développement, l’Algérie est assez favorisée en ce qui concerne les pré-conditions de l’émergence économique.
Avec des ressources naturelles abondantes, des ressources financières, une population jeune, un formidable réservoir de ressources humaines et de bon marché, une élite bien formée, des infrastructures récentes, la proximité du marché européen, l’Algérie fait partie du groupe de pays à revenu intermédiaire qui peuvent être considérés comme étant des candidats potentiels sérieux sur la voie de l’émergence.