L’économie algérienne à fin 2024 et ses perspectives à moyen terme : Un besoin crucial de réformes pour libérer le potentiel de croissance

27/11/2024 mis à jour: 09:16
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Si les performances de l’économie algérienne en 2024 sont globalement satisfaisantes, malgré des chocs externes et internes successifs depuis 2020, des réformes globales s’avèrent nécessaires pour renforcer les perspectives de croissance à moyen terme.

 Parmi ces chocs, notons la pandémie du Covid-19, qui a causé des dommages structurels à l’économie algérienne ; la guerre en Ukraine, qui a provoqué une hausse des prix internationaux des hydrocarbures - augmentant ainsi les recettes d’exportations de pétrole et la fiscalité pétrolière du pays - mais a également entraîné un choc alimentaire mondial qui a alourdi le coût des importations ; enfin, les sécheresses récurrentes qui ont aggravé les pressions inflationnistes.

 Les prévisions de clôture pour 2024 font ressortir une augmentation du déficit budgétaire et une diminution du surplus du compte courant de la balance des paiements, deux facteurs ayant ralenti la croissance économique et entretenu une forte inflation. A contrario, le taux de change nominal a continué de s’apprécier, dans le contexte d’une politique de change orientée vers la lutte contre l’inflation (et non la préservation de la compétitivité extérieure). 

A moyen terme, les risques sont multiples, y compris un marché pétrolier volatile et des rigidités structurelles empêchant la libération du potentiel de croissance du pays. De ce fait, une dynamique favorable à une croissance durable, élargie et inclusive s’impose et implique de nouvelles politiques macroéconomiques et structurelles cohérentes visant à diversifier l’économie, attirer des investissements privés et réduire les vulnérabilités, notamment celles liées aux risques démographiques et climatiques. Discutons de ces questions. 
 

Les performances macroéconomiques de l’Algérie en 2024 reflètent clairement l’option à court terme de la croissance par l’endettement. D’après les derniers indicateurs macroéconomiques du FMI, la croissance économique devrait atteindre 3,8%, principalement soutenue par l’agriculture, l’industrie, la construction et les services, tandis que le secteur pétrolier ne connaîtrait qu’une augmentation de 2,7%. 

En termes d’inflation, une hausse de 5,8% est prévue, en partie due à une décélération des prix des produits alimentaires. A contrario, le surplus du compte courant de la balance des paiements devrait chuter à 1,3% du PIB (2,5% en 2023) du fait d’une stagnation des prix pétroliers tandis que le déficit budgétaire hors pétrole, indicateur clé pour évaluer la santé des finances publiques dans un pays pétrolier devrait atteindre 29,5 % du PIB hors pétrole (un léger recul par rapport à 30,8% en 2023 mais bien au-delà du déficit normatif de 11 % du PIB hors pétrole). En corollaire, la dette publique (hors garanties) demeure très élevée à 45,7 % du PIB (48,6 % du PIB en 2023). Ce bilan est ambivalent car la croissance par la dette a favorisé une hausse du coût de la vie, la non-viabilité des finances publiques et une dette publique très élevée, trois facteurs de blocage d’une croissance économique saine.

Une multiplicité de défis et risques au niveau mondial en 2025. Ces derniers sont le résultat d’une interaction de conflits en cours, des incertitudes économiques et des grands changements technologiques et géopolitiques. La guerre en Ukraine, à Gaza, au Liban et les tensions en mer de Chine alimentent l’instabilité et fragilisent la sécurité mondiale. L’économie mondiale est en phase de ralentissement (3,2 % en 2025) en raison de tensions entre les États-Unis et la Chine, de la montée des politiques industrielles, de la baisse de confiance des consommateurs des pays avancés et de l’anticipation d’une remontée de l’inflation que pourrait déclencher la nouvelle politique économique des Etats-Unis en 2025 (qui ciblerait une augmentation des tarifs douaniers, des réductions d’impôts et l’expulsion massive des immigrants illégaux). Le changement climatique est un autre vecteur de risque sous forme de raréfaction de ressources mondiales, de mouvements migratoires forcés et de repli des pays sur eux-mêmes. 

En outre, si l’essor de l’intelligence artificielle était source d’opportunités, il engendrerait des défis (perte d’emplois, problèmes de confidentialité et risques sécuritaires). Les autres défis mondiaux incluent l’apparition de nouvelles pandémies qui endommageront la santé publique et les économies à travers le monde, les cyberattaques de plus en plus fréquentes qui pourraient nuire à la sécurité nationale de nombreux pays ; et les changements démographiques (baisse des taux de natalité) qui modifieront la structure de la main-d’œuvre mondiale et les équilibres économiques de nombreux pays. Pour relever tous ces défis, les pays doivent collaborer dans un contexte de fragmentation et de recomposition des alliances internationales, notamment en Asie et dans la région Indo- Pacifique. 

En 2025, les prix du pétrole devraient stagner en raison d’une demande modérée, d’une offre excédentaire et d’une accélération de la transition énergétique. Du côté de la demande, l’augmentation sera plus lente qu’auparavant, principalement à cause du ralentissement économique en Chine et de la transition vers des véhicules électriques. 

L’offre en revanche devrait dépasser la demande (du fait d’une production croissante hors OPEP (États-Unis et au Canada)) et pourrait favoriser une baisse des prix, dans un contexte de stocks élevés et d’une demande plus faible. Ceci étant, la persistance de tensions géopolitiques (Ukraine, Moyen-Orient et en mer de Chine) pourraient éventuellement perturber l’approvisionnement en pétrole et entraîner des hausses de prix à court terme, bien que l’excédent de production devrait contenir cette hausse. 

Enfin, la croissance des énergies renouvelables et des véhicules électriques est de nature à réduire la demande de pétrole, notamment dans le secteur des transports. Les politiques environnementales de nombreux pays devraient renforcer cette tendance. 

Les défis domestiques sont nombreux. Citons : (1) l’essoufflement du modèle rentier : la première vague de réformes visant à créer un nouveau modèle économique plus flexible remonte à 1995-98. 

A partir de 2000, ces réformes ont été mises en mode pause avant d’être détricotées, bloquant ainsi le fonctionnement de l’économie nationale secouée par plusieurs chocs externes violents entre 2014 et 2022 ; (2) la poussée démographique : avec un accroissement de la population de 17 millions à fin 2050 ; (3) le dérèglement climatique et ses impacts négatifs (sécheresse, incendies, inondations) sur l’activité et les populations et le coût de la transition écologique; (4) l’affaiblissement de la capacité technique et administrative du pays (départs en retraites de cadres chevronnés, émigration, manque d’expérience des nouvelles générations) ; (6) la paucité des statistiques économiques et sociales qui ne permettent pas de concevoir des politiques appropriées ; et (7) le manque d’inefficience des leviers macroéconomiques ainsi que l’absence d’outils de pilotage de l’économie,  
En tendance actuelle, l’année 2025 sera alors moins favorable que 2024 sur le plan macroéconomique.

 La croissance économique devrait se situer à environ 3%, soutenue en grande partie par une hausse des dépenses budgétaires (44,4% du PIB contre 42,9% du PIB en 2024). L’activité économique devrait augmenter de 1,5 % dans le secteur pétrolier et de 3,2% dans le secteur hors pétrole. En glissement annuel, l’inflation devrait rester globalement inchangée à 5,2% du fait d’une légère baisse des prix des produits alimentaires frais. Le compte courant de la balance des paiements devrait enregistrer un déficit de 0,8% (soit une détérioration de 2,1 points de pourcentage du PIB) en raison d’une baisse des prix des hydrocarbures. Le déficit budgétaire hors pétrole devrait chuter à 26,6% du PIB hors pétrole (29,5% du PIB hors pétrole en 2024), un niveau largement supérieur au déficit normatif du pays de 11% du PIB hors pétrole). Ce qui ferait remonter la dette publique à 50,4% du PIB. Un niveau toutefois très élevé. 

Les réformes macroéconomiques et structurelles sont inévitables pour renforcer les perspectives à fin 2027. Les projections actuelles font ressortir une baisse continue de la croissance à 2,1 % (3% en 2025) ; une faible décélération de l’inflation à 5,0% ; le creusement du déficit du compte courant de la balance des paiements à 2,9% du PIB en raison d’un ralentissement du marché pétrolier ; et un déficit budgétaire hors pétrole de global à 7,8% du PIB en 2025 et 6,7% du PIB en 2027 en raison d’une baisse des recettes de 2,6 points de pourcentage du PIB et une compression des dépenses de 4,4 points de pourcentage du PIB au cours de cette qui  devrait diminuer à 21,4 % du PIB hors pétrole. La dette devrait continuer à augmenter pour passer de 50,4% du PIB en 2025 à 54,5% du PIB en 2027. 

Ce tableau macroéconomique défavorable souligne encore une fois l’importance d’un programme global et cohérent de réformes macroéconomiques et structurelles. 

Les priorités immédiates pour 2025-2027 doivent cibler un assainissement des fondamentaux, un soutien à une croissance soutenable et le lancement d’un processus de modernisation de l’économie (numérisation et vert). 

Dans le contexte d’une stratégie décennale 2025-2035 articulée autour d’une vision 2050 devant transformer l’Algérie en un pays émergent, trois grands axes de réformes immédiates se dégagent :

1.Un mix macroéconomique calibré et coordonné qui visera une réduction de l’endettement public. A ce titre, la politique budgétaire devra cibler une baisse progressive du déficit budgétaire pour s’ajuster au choc pétrolier, en coordination avec les politiques monétaires et de change afin de minimiser l’impact négatif sur la croissance. La politique monétaire aura pour objectif d’assurer une bonne gestion de la liquidité (notamment par des outils de financement basés sur le marché comme l’émission d’obligations) pour contenir l’inflation (objectif de 4%), tout en soutenant les objectifs budgétaires. La politique de change visera une dépréciation contrôlée pour soutenir l’ajustement externe, gérer les ressources extérieures et contenir la demande en importations. 


Pour le financement du déficit, il n’est pas exclu de poursuivre un financement monétaire à condition qu’il fasse l’objet de limites strictes et de mesures de sécurité, y compris un taux d’intérêt du marché. Alternativement, le développement d’un marché obligataire souverain pourrait réduire la dépendance vis-à-vis du financement bancaire, atténuant ainsi les risques budgétaires tout en soutenant la stabilité économique.

2.Des réformes macro-structurelles pour renforcer la qualité des leviers de gestion macroéconomique.  
- Réformes budgétaires : ont pour objectif : (1) une amélioration de la gestion budgétaire avec réactivation du cadre budgétaire à moyen terme pour un suivi en temps réel des dépenses afin d’éviter les arriérés de paiement. Parallèlement, le renforcement de la qualité et de la disponibilité de statistiques financières s’impose pour favoriser une gestion économique plus efficace ; (3) une augmentation des recettes fiscales : qui implique de  réduire les exonérations, renforcer l’administration fiscale  et réformer la politique fiscale pour compenser la baisse des revenus pétroliers ; (4) une rationalisation des dépenses courantes : au niveau des  salaires et des subventions (91% des dépenses publiques courantes) ; et (5) le renforcement de la gestion des investissements publics pour augmenter leur efficience. 


- Réformes monétaires et de change : ont pour objectif : (1) d’améliorer la gestion des liquidités bancaires : (2) de réduire l’écart entre les taux de change officiels et parallèles et progresser vers l’unification des marchés ; et (3) de renforcer la supervision bancaire pour plus de stabilité bancaire et financière. Une opération de démonétisation du dinar doit être incluse.  


3.Les autres réformes structurelles sont vitales et visent à élargir l’offre globale à travers : (i) une simplification des formalités : pour encourager les investissements et l’activité des entreprises privées ; (ii) un meilleur accès au financement : ce qui implique de moderniser les banques et de diversifier les sources de financement pour les petites entreprises ; (iii) une encouragement à l’entrepreneuriat : ce qui favoriserait  l’innovation et la réduction des obstacles pour les entreprises ; (iv) une plus grande inclusion des femmes afin de les encourager à participer au marché du travail ; et (v) une réforme du secteur des entreprises publiques. 
 

 

Par Abderahmi Bessaha  , Expert international en macroéconomie

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