Ici une critique sans appel de la pédagogie basée sur le triptyque : Bachotage par l’enseignant/mémorisation chez l’élève et contrôle de ce qui a été mémorisé en guise d’évaluation. En effet, durant le XXe siècle, dans le sillage de pédagogues visionnaires, deux éminents scientifiques ont sévèrement critiqué les systèmes éducatifs qui survalorisent la capacité des élèves à mémoriser des leçons.
D’Einstein, l’illustre physicien mondialement connu, nous avons retenu les propos suivants : «Si vous jugez un poisson à sa capacité à grimper sur un arbre, il passera sa vie entière à croire qu’il est stupide.» Soit une critique du mode d’évaluation du travail des élèves.
Quant au célèbre scientifique Albert Jacquard, il déclarait : «Non, il ne faut pas aller à l’école pour ingurgiter des programmes, s’enterrer sous les devoirs, les compositions et entasser des diplômes. Apprendre c’est d’abord s’interroger, formuler ses questions, chercher les réponses. C’est critiquer ses propres raisonnements. Apprendre c’est développer en soi la liberté d’esprit, l’initiative. Apprendre c’est construire son intelligence.» Il pointe l’index sur l’obésité des programmes et sur les méthodes dogmatiques.
De nos jours, certains pays ont pris bonne note de ces critiques et réformé en profondeur leur système scolaire grâce notamment à l’apport de certaines sciences. Qu’en est-il de notre pays ?
Le rappel de ces deux citations sous forme d’introduction à notre modeste contribution est ô combien instructif ; il nous amène à établir un lien avec un passage du rapport annuel de la Cour des comptes consacré à l’école algérienne. Une synthèse faite par EL Watan, du mardi 7 janvier 2025, fait état d’une «incohérence organisationnelle» et que «l’école bénéficie d’un budget massif, mais les résultats qualitatifs peinent à suivre». Ledit rapport citera un certain nombre de carences dont «le décalage entre objectifs et résultats, une gestion inefficace des moyens (.)» Selon les auteurs du rapport, ces points négatifs récurrents «traduisent une gouvernance orientée davantage par des logiques administratives que par une vision stratégique (.) »
Pour mieux comprendre ce pertinent constat concernant l’école algérienne, il y a lieu de prendre des exemples significatifs. Prenons celui du recrutement des enseignants. Depuis quatre décennies, les ENS forment annuellement environ 10% des besoins du secteur – quantité nettement insuffisante - l’écrasante majorité provenant du recrutement quasi annuel de milliers d’enseignants. Autant de postes à pourvoir qui nécessitent des sommes colossales en argent frais que l’Etat algérien se fait un devoir d’honorer afin de traduire dans les faits une disposition de la Constitution. Toutefois, comme mentionné dans le rapport de la Cour des Comptes, cet investissement sur le capital humain nécessite, en retour, une bonne qualité des prestations. Est –ce le cas ? Suivons le parcours de ces enseignants recrutés.
Décisif dans le processus pédagogique, le métier d’enseignant a ses exigences. Ses postulants doivent non seulement avoir le niveau universitaire – ce qui est loin d’être suffisant – mais aussi recevoir une formation initiale appropriée de trois à quatre années et ensuite un perfectionnement périodique. Ce sont là deux axes incontournables pour une bonne maîtrise du métier. Ils reposent ( la formation initiale et le perfectionnement) sur des éléments constitutifs de ce noble métier : la qualité de l’acte d’enseigner, l’éthique éducative et la connaissance des notions de base des sciences dédiées aux apprentissages scolaires dont la psychologie, la chronobiologie, la docimologie et les neurosciences. Sans oublier, la maîtrise de l’histoire de la pédagogie universelle : connaître ses différentes doctrines pédagogiques qui ont traversé les siècles afin de mieux assimiler les progrès enregistrés actuellement en matière de méthodes d’enseignement et d’évaluation.
Dans la réalité et pour des raisons restées jusque là obscures, ni les enseignants recrutés ne reçoivent de formation initiale appropriée, ni les ENS ne forment selon les vrais besoins du métier, notamment dans les Sciences citées ci-dessus. Plus grave, les ENS ne dispensent pas suffisamment de modules de pédagogie pratique. Elles mettent l’accent quasi exclusivement sur la formation académique. Or, former de bons mathématiciens ne signifie pas former de bons enseignants en mathématiques – pour ne citer que cette spécialité. Quant aux milliers d’enseignants recrutés sur concours chaque année, ils feront face aux difficiles exigences du métier avec pour seul viatique, un remake des chantiers d’été initiées au lendemain de l’indépendance pour former à la va –vite les moniteurs et instructeurs dont le pays a urgemment besoin. Les quinze jours de «formation accélérée» dont ils bénéficieront sont une atteinte à la noblesse de ce métier d’enseignant. Et pourtant l’Algérie peut s’enorgueillir de posséder une cinquantaine d’Instituts de formation d’enseignants dont la mission originelle était… la formation initiale !
Depuis le début des années 1990, point de formation initiale ne serait-ce que pour les enseignants du primaire et du moyen. Des infrastructures construites à grands renforts de sommes sonnantes et trébuchantes qui végètent, sous-utilisées et dépouillées de leur mission première. Certaines ont été offertes à d’autres institutions, les autres servent à des sessions de perfectionnement aux différentes catégories de personnels du secteur. Le sort réservé à ces 50 instituts de formation ainsi que le mode de recrutement des enseignants constituent une preuve concrète «d’une gouvernance orientée davantage sur des logiques administratives et d’une gestion inefficace des moyens» (dixit le rapport de la Cour des comptes).
Ce décor ainsi planté que doit-on attendre d’un enseignant muni d’un tel profil de «non-formation» ? Qu’il sorte de l’ENS ou recruté sur un semblant de concours et sans formation initiale, l’enseignant algérien doit affronter sa classe en étant dépourvu de la ‘’boîte à outils’’ du vrai enseignant – comprendre par là, la maîtrise de l’acte pédagogique dans toute ses nuances et sa complexité. Voilà que ses prestations, déjà chahutées par son manque de formation, se voient aggravées par des programmes obèses et des contenus de manuels déconnectés du réel de l’enfant/adolescent. N’ayant pas de prise sur la méthode d’enseignement officielle dite d’Approche par les compétences – un concept brumeux s’il en est - cet enseignant va droit vers la solution de facilité. Il aura recours à la bonne vieille «pédagogie de la salive» : lire son cours comme dans un amphithéâtre et aux élèves de recopier à des fins de… mémorisation. Quel sera le résultat de cette « logique administrative» ? A lire dans les performances des élèves – plus particulièrement dans le taux de redoublement en 1re année de chaque cycle. Ces taux sont ceux délivrés par la Conférence d’évaluation de la réforme organisée par le MEN en juillet 2015 :
- 25%de redoublants en 1re année du collège pour les lauréats de fin du primaire
- 30% en 1re année secondaire pour les lauréats du BEM (Brevet).
- Quant aux bacheliers, la 1re année universitaire constituera une véritable saignée –des sources avancent le taux effarant de 50% dans certaines filières.
Le taux de redoublement n’est pas le seul critère pour évaluer les prestations pédagogiques. On pourra citer les moyennes nationales au bac dans des disciplines de spécialité : les langues, les mathématiques, les sciences physiques. Depuis le lancement de la réforme en 2003, le MEN informe l’opinion publique des moyennes obtenues par les bacheliers dans ces disciplines de spécialité. Et régulièrement d’année en année, ces moyennes nationales sont loin de répondre aux attentes : soit une perte sèche au vu des efforts financiers déployés par l’Etat.
Si sur le plan macro, l’Etat algérien a de tout temps offert au secteur de l’éducation nationale des moyens conséquents, d’autres indicateurs sur le plan micro nous donnent à voir la pertinence des constats et des conclusions émanant du rapport de la Cour des comptes. Et là aussi, c’est de l’argent mal utilisé pour ne pas dire déboursé à perte. Nous citerons les rythmes scolaires imposés à l’enfant algérien en opposition à ses rythmes biologiques. Listons quelques dérives, telles que données par la Conférence d’évaluation de la réforme de juillet 2015. Depuis, rien n’a changé :
- L’année scolaire algérienne est l’une des plus courtes au monde en leçons effectivement dispensées, et ce, malgré un programme surchargé et des journées scolaires harassantes.
- Les vacances scolaires (y compris les jours fériés) sont les plus longues.
- Selon les normes internationales, le volume horaire hebdomadaire de la langue d’enseignement ne doit pas dépasser les 20% du volume horaire global. Chez nous on vogue allégrement entre 50 et 60%. Ce qui a pour conséquence d’amoindrir le volume horaire des autres matières d’enseignement
- Au moment où l’on parle de moderniser l’école via les TIC et les méthodes d’enseignement, l’horaire de travail d’un PEM ou d’un PES est resté inchangé depuis pratiquement six décennies.
- Le statut particulier des personnels de l’éducation a vu, dès sa première mouture en 2008, une inflation de grades : du jamais vu dans les annales !
- Le double emploi et parfois l’inutilité de certaines structures – offices et Centre nationaux – qui sont autant de niches budgétivores. Il serait opportun d’envisager une fusion avec mutualisation des moyens – après une profonde réflexion et un audit sur les missions de chaque structure (ONEC, ONEFD, ONAA, CNDP, CNIPDITIC, ONPS….)
En conclusion, on ne peut qu’adhérer à la conclusion du rapport de la Cour des comptes qui recommande «de mettre en œuvre une gouvernance orientée par une vision stratégique et économique». Dommage que soit passé sous silence le document intitulé «Ecole algérienne : enjeux horizon 2030» élaboré en 2016 suite aux recommandations de la Conférence nationale d’évaluation de la réforme (juillet 2015). N’est-il pas temps d’y jeter un coup d’œil ?
Par Ahmed Tessa , Pédagogue et auteur