46 modifications introduites au projet de la Constitution tunisienne du 30 juin; précisions et corrections sans toucher au fond ; le président Saïed attaché à un régime présidentiel fort, ne permettant même pas le moindre contrôle de son pouvoir.
Le président tunisien Kaïs Saïed a saisi l’occasion de son discours de félicitations pour l’Aïd, pour annoncer des rectifications à son projet de Constitution, publié le 30 juin dernier.
«Cela arrive partout dans le monde et on procède à des rectifications pour corriger», a-t-il annoncé. Des éclaircissements concernant le mode de scrutin «libre, secret et direct» et insistance sur «le cadre démocratique» dans l’application des «intentions de l’islam» ; mais, nul recul en ce qui concerne le contrôle des pouvoirs. Le président Saïed en est, semble-t-il, entièrement satisfait, puisqu’il n’y a pas touché, malgré les critiques fusant de toutes parts.
Persiste et signe
L’opinion publique n’était certes pas préparée à ces rectifications de la copie du projet de la Constitution, publiée sur le Journal officiel du 30 juin et devant faire l’objet du référendum du 25 juillet. Mais, le président Saïed a, semble-t-il, voulu nuancer son attachement à sa conception de la démocratie.
La nouvelle version introduit dans l’article 5, «dans un régime démocratique», en parlant de «la mission de l’Etat à réaliser les intentions de l’islam» et en réponse aux accusations de dérapage vers un Etat religieux.
Il y a eu également des précisions concernant le mode de scrutin parlementaire, en réponse aux accusations de dérapage vers un régime d’élections à partir des bases. La nouvelle copie a expressément dit vote «libre, secret et direct», pour contrer ces accusations.
La nouvelle version a aussi insisté sur les deux mandats du président de la République, séparés ou successifs ; elle a mis l’accent sur la fin des mesures exceptionnelles, une fois le Parlement élu. Sur les détails, le président Saïed a cherché à fournir les précisions adéquates.
Toutefois, concernant le fond de son projet politique, le Président tunisien n’a pas jugé utile d’introduire le moindre contrôle du pouvoir du président de la République par le Parlement ou la Cour constitutionnelle.
C’était pourtant l’un des points les plus critiqués par les constitutionnalistes, que ce soit le président coordinateur de la commission consultative pour la nouvelle République, Sadok Belaïd, ou les universitaires constitutionnalistes Slim Laghmani et Amine Mahfoudh. Ils ont critiqué ce volet «absence de contrôle» du pouvoir du président de la République, auquel le président Saïed semble attaché.
Critiques
Le texte modifiant le projet de constitution a maintenu, selon le Pr Slim Laghmani dans sa publication Facebook, la critique principale «un régime présidentialiste», puisque rien n’a été modifié à cet égard. En plus, ce Président est «irresponsable» ; son pouvoir n’est pas contrôlé et il peut décréter un état d’exception sans délai ni contrôle par la Cour constitutionnelle.
Le Pr Laghmani a également noté que le Président dispose de «trois types de décrets lois, lui permettant d’intervenir dans le domaine législatif», en plus de «référendum direct, législatif et, surtout, constitutionnel».
C’est dire que le projet de la nouvelle Constitution accorde au chef de l’Etat de larges pouvoirs législatifs, en plus de sa capacité à désigner et démettre le gouvernement, à part son droit de dissolution du Parlement (ou l’une des deux Chambres) en cas de deuxième motion de censure, sans parler de sa nomination des juges membres de la Cour constitutionnelle, sur présentation de candidatures.
Le Pr Laghmani a également souhaité une révision des délais de la campagne, suite aux modifications introduites le 8 juillet, ne serait-ce que pour une raison de bon sens. Ceux qui ont décidé de boycotter, ceux qui ont déclaré faire campagne et qui, après n’ont pas déclaré leur choix pour le «oui» ou pour le «non», et ceux qui ont choisi le «oui» ou le «non», tous peuvent avoir changé d’avis suite à ces modifications. Le président Saïed a considéré ces «modifications», comme un élément de la feuille de route.
Dans cette logique critique, Mme Selma Mabrouk, députée constituante, s’est, quant à elle, surtout attaquée au «manque de concertation, lors de l’élaboration du projet de Constitution, à soumettre le 25 juillet à la population». Mme Mabrouk a mis l’accent sur le fait que «les deux procédures consultatives n’ont permis ni droit de regard ni de contrôle sur le projet final». Plus encore, «le président de la République, en dépit de ce qu’énonce le préambule du texte, est de fait l’unique concepteur du projet de Constitution publié par ses soins par décret présidentiel aussi bien le 30 juin 2022, que le 8 juillet, avec des modifications». Et le pire, c’est ce prétendu dialogue national préalable, où seule une commission nommée par le Président a délibéré sur les propositions.
Eh bien, a ajouté Mme Mabrouk, le président de la commission, Sadok Belaïd et son suppléant le Pr Amine Mahfoudh ont clamé à qui veut les entendre que le texte publié par le Président n’a rien à voir avec leur proposition, notamment en matière de contrôle des pouvoirs ; volet n’ayant pas été touché par les modifications introduites le 8 juillet. C’est dire que le projet de la Constitution fait toujours polémique.