Le monde en 2024 et son impact sur l’Algérie

29/11/2023 mis à jour: 00:45
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Le monde subit de nombreux changements qui affectent tous les pays, y compris l’Algérie. Ceci implique ipso facto une adaptation des visions à long terme et des politiques publiques pour épouser les nouveaux trends et demeurer compétitif. 

Au titre de ces facteurs qui influencent et redessinent la carte du monde sur les plans géostratégique et macroéconomique, notons, entre autres, la guerre en Ukraine et au Moyen-Orient (deux conflits majeurs parmi les 500 conflits que compte le monde), la refonte de la carte mondiale des ressources énergétiques, la décarbonisation en progrès et la révolution économique en cours induite par les avancées rapides de l’Intelligence artificielle générative (IAG) qui va bouleverser toutes les activités dans le monde, que ce soit notre façon de travailler, de nous déplacer, d’étudier, de nous soigner ou de nous nourrir. 

Déjà, 2023 se démarque de 2022, et 2024 sera davantage plus différente que l’année en cours. Bien entendu, l’Algérie sera affectée par ces changements au niveau du contexte international. Cet article va analyser les grands dossiers dans le monde en 2024 et discuter des impacts sur l’Algérie et des ajustements de politique publique qui doivent être mis en place.

Le contexte politique international en 2024
 

les élections à travers le monde dont certaines auront des implications géostratégiques : (1) près de 70 pays (soit 4,2 milliards d’habitants ou 50% de la population mondiale) vont organiser des élections présidentielles, législatives et municipales. Parmi ces pays, notons huit des plus peuplés dans le monde, soit le Bangladesh, le Brésil, l’Indonésie, l’Inde, le Mexique, le Pakistan, la Russie et les Etats-Unis ; (2) certains scrutins vont avoir des impacts géostratégiques, notamment : (i) Taïwan où le parti au pouvoir reste favori, ce qui pourrait peser sur les relations avec la Chine ; et (ii) les Etats-Unis dont le résultat final (qui pourrait être déterminé par quelques dizaines de milliers d’électeurs dans quelques swing states) devra avoir des impacts systémiques (de la politique climatique au soutien militaire à l’Ukraine); (3) Les deux continents comptant le plus grand nombre de pays votant en 2024 sont l’Europe (22, dont l’Ukraine) et l’Afrique et le Moyen- Orient (15, dont l’Algérie) ; et (4) Les élections européennes de juin 2024 se dérouleront sur fond d’émigration en hausse (un million de demandes d’asile sont attendus) et la montée de gouvernements d’extrême droite dans divers pays de l’UE. Il est à anticiper un basculement du Parlement vers la droite.

La guerre en Ukraine : enlisement du conflit et stratégie d’attentisme de la Russie. 

Le rapport de forces entre l’Ukraine et la Russie jouant en faveur de cette dernière pour des raisons économiques, financières et politiques, il incombait alors aux Etats-Unis et à l’Europe occidentale d’apporter un appui militaire et financier conséquent pour favoriser la résistance de l’Ukraine. Ce ne fut pas le cas car cela impliquait d’adopter des économies de guerre pour produire les armements nécessaires en appui d’une guerre longue. La Russie (qui opère en économie de guerre et a su contourner les sanctions internationales) a aisément endigué la contre-offensive récente de l’Ukraine. La guerre est désormais dans une situation d’enlisement. 
 

En 2024 ni l’Europe ni les Etats-Unis ne seront encore en mesure de fournir à l’Ukraine le soutien militaire et économique nécessaire à un long combat. De plus, l’Ukraine pourrait perdre le soutien des Etats-Unis, dans le cas d’un retour au pouvoir éventuel de M. Trump. Pour la Russie, la bonne stratégie est celle de l’attente qui est en place d’autant que la guerre au Moyen-Orient est en train de briser son isolement et de modifier les alliances géostratégiques.

La guerre au Moyen-Orient a remis le fait colonial palestinien sur la table et est en train de redéfinir toute la géopolitique de la région. Le soutien de Washington à Israël (qui se rend coupable de crimes contre l’humanité en conduisant une punition collective et sanglante des civils palestiniens à Ghaza) a compromis la crédibilité de Washington dans la région et dans les pays du Sud Global. Même si les menaces d’un élargissement du conflit ne sont pas encore totalement écartées, d’ores et déjà, cela signifie que les Etats-Unis devront faire de la décolonisation de la Palestine la pièce maîtresse de leur diplomatie globale. Ils sont désormais contraints d’élaborer une nouvelle stratégie pour le Moyen-Orient et forcer une voie crédible vers un futur Etat palestinien viable, condition sine qua non d’un retour de la paix et de la sécurité dans cette région (solution qui désormais a l’appui de la planète).

Les grands dossiers économiques en 2024 : 

une recomposition en cours de la géographie énergétique en faveur des énergies propres. La transition vers une énergie propre favorise l’émergence de nouvelles superpuissances vertes et redessine progressivement la carte des ressources énergétiques. Les pays disposant de réserves de lithium, de cuivre et de nickel sont au centre de la nouvelle carte énergétique tandis que les pays producteurs d’énergies fossiles voient leur prééminence graduellement s’effacer. L’accès à ces ressources vertes a d’ores et déjà (1) déclenché une forte concurrence entre les nations ; (2) redéfinit un nouveau cadre géopolitique et commercial mondial ; et (3) crée une ligne de fracture entre les groupes pro et anticlimat.

La poursuite de la lutte contre l’inflation mais au prix d’une récession. En 2023, l’économie mondiale a tenu bon. Nonobstant un resserrement progressif des conditions monétaires depuis le début de 2022, la croissance économique américaine a été au rendez-vous en 2023 (2,1% selon le FMI), l’Europe a réduit sa dépendance par rapport au gaz russe sans dommage structurel majeur (0,7% de croissance) et l’inflation mondiale semble amorcer un trend baissier sans forte augmentation du chômage, avec des marchés du travail qui ont davantage supprimé des postes vacants plutôt que des emplois actifs. Tout semble indiquer que l’économie mondiale a réussi un atterrissage en douceur en 2023. Pour 2024, l’économie mondiale restera fragile. En effet, même si nous assistons à une décélération de l’inflation, cette dernière restera trop élevée ; la politique économique au niveau mondial fera l’objet d’une recherche d’un équilibre difficile ; et même si l’Amérique évitera de nouveau une récession, ce ne sera pas le cas pour les autres pôles de croissance (Europe et Chine). 
 

Deux sources d’inflation persistantes : (1) des marchés du travail encore sous pression qui poussent à la hausse les salaires nominaux ; et (2) l’augmentation du prix du baril de pétrole en cas de prolongation des coupes de production de l’Arabie Saoudite et de la Russie et des effets de la guerre au Moyen-Orient. 
 

Si de nouvelles hausses de taux de la part des grandes banques centrales peuvent être exclues en raison de la fragilité de l’économie européenne, du ralentissement de la croissance en Chine et du fort endettement public de nombreuses économies dans le monde, en revanche, il est prématuré de les voir baisser les taux. En outre, la robustesse de l’économie américaine est soutenue par des niveaux d’emprunts publics énormes ($1657 milliards en 2023, portant la dette totale à $25909 milliards soit 98,4% du PIB) pour financer des déficits budgétaires énormes (plus de 7% du PIB en 2023) et qui devraient le rester en 2024 pour des raisons de politique intérieure (les Républicains seront favorables au renouvellement des réductions d’impôts de 2018, dont beaucoup expirent en 2025. Les démocrates hésiteront, en outre, à les laisser expirer complètement. Un tel contexte n’est pas favorable à la poursuite des hausses de taux d’intérêt.
Risque de crise bancaire aux Etats-Unis : Globalement, le secteur bancaire américain reste stable, du fait des mesures prises par les autorités fédérales en mai 2023. Toutefois, des vulnérabilités croissantes exposent au moins certaines institutions à des risques à court terme, en raison de pressions en termes de financement et de déficit de capitaux, selon la Banque fédérale de réserve de New York.

L’économie mondiale à moyen et long termes : d’où viendra la croissance future ? 

La stabilisation des relations Etats-Unis-Chine : pour trois raisons : (1) les échanges commerciaux entre la Chine et les Etats-Unis sont de $500 milliards et de nombreux pays comptant la Chine comme principal partenaire commercial ne suivraient pas, Washington rendant ainsi un découplage économique extrêmement coûteux (par contre, un découplage partiel interviendra sur les questions de sécurité) ; (2) la Chine est trop grande pour que l’Amérique puisse l’envahir ou pour imposer un changement intérieur et l’inverse est également vrai d’autant plus que ni la Chine ni les Etats-Unis ne constituent une menace existentielle pour l’autre ; et (3) de nombreux dossiers mondiaux (changement climatique et pandémies pour n’en citer que les deux plus importants) exigent une coopération internationale. In fine, ne restent aux Etats-Unis et la Chine que la voie de la « coexistence compétitive» (selon le Financial Times). 
 

La révolution de l’Intelligence artificielle générative (IAG) :  Cette dernière se concentre sur la création de données, de contenus ou de choses artistiques, de façon indépendante. Elle diffère de l’intelligence artificielle classique (IAC) qui se concentre, quant à elle, sur des tâches spécifiques telles que la classification, la prédiction ou la résolution de problèmes. 

L’IAG va permettre, selon les économistes américains de l’Université de Stanford James Manyika et Michael Spence (Prix Nobel d’économie 2001), de devenir le principal moteur de la croissance mondiale sur le moyen et long termes, croissance bloquée par des facteurs structurels dont : (1) l’obsolescence du modèle de croissance actuel qui dépend d’une hausse massive mais insoutenable de la capacité de production en Chine et dans d’autres économies émergentes ; (2) la baisse marquée de la productivité du travail, notamment aux Etats-Unis où elle se situe seulement à 0,16% ; (3) le vieillissement de la population au niveau des pays qui comptent pour plus de 75% de la production économique mondiale, amoindrissant ainsi fortement l’offre de travail ; et (4) la fin prochaine des chaînes de valeur construites sur le principe de l’efficacité et de l’avantage comparatif dans un monde fracturé sur le plan géostratégique. Pour peu qu’elle soit bien encadrée sur le plan international pour contenir ces effets pervers et qu’elle soit ancrée dans des nouvelles approches, l’IAG pourrait, selon les mêmes économistes, générer plus de $4000 milliards de revenus additionnels (qui viendraient s’ajouter aux $11,000 milliards que devraient créer l’IAC. Des enjeux colossaux.    

Algérie : relever les défis externes et internes, se projeter sur l’avenir et réformer profondément sans plus tarder pour hisser le pays au rang de pays émergent en 2050. 
 

Le monde change et continuera de changer en 2024 et sur le moyen et long termes. Il est de plus en plus compétitif. L’Algérie sera affectée à court terme positivement par certains développements externes (les guerres font remonter les prix du pétrole) et négativement (inflation mondiale, politiques industrielles et fractures géoéconomiques). 

A long terme, la transition écologique et le développement de l’IAC et IAG vont transformer l’économie mondiale en profondeur ainsi que l’économie algérienne dans son fonctionnement. Le pays fait également face à des contraintes internes (volatilité et prééminence du pétrole, démographie en hausse, déséquilibres macroéconomiques, faible croissance, crise du coût de la vie et chômage élevé) et a une gouvernance économique inefficace qui bloque la création de richesse et accroît la pauvreté. C’est donc dès maintenant qu’il faut saisir tous ces changements et contraintes externes et internes et les intégrer dans la définition d’un nouveau modèle de développement économique et social inclusif. 

Le temps est notre plus grande contrainte car tous les pays du monde sont engagés dans ce processus d’adaptation aux nouvelles réalités mondiales et internes car il n’y a qu’une seule économie mondiale dans laquelle tout un chacun devra opérer. De ce fait, le renouveau de l’Algérie et sa prééminence au niveau mondial passera ainsi par la seule voie d’une économie diversifiée et intégrée aux nouvelles chaînes de valeur, un commerce extérieur dynamique ouvert et restructuré autour d’une gamme de biens à forte valeur ajoutée, un système financier profond et intégré au système financier mondial afin de mobiliser des capitaux devant appuyer le développement du pays, une plus grande numérisation de tous les secteurs d’activité économique (y compris la création d’un écosystème favorable à l’intelligence artificielle et un système éducatif très performant. 

Commençons en 2024 ce processus de transformation et basons-le sur une doctrine intérimaire axée sur les trois prochaines décennies pour hisser le pays au rang de pays émergent (avec un revenu par tête d’habitant devant quadrupler pour atteindre $15000), des stratégies décennales permettant la réalisation d’objectifs intermédiaires devant nous mener progressivement vers le but final et des plans d’action triennaux (moins complexes à gérer vu les incertitudes de ce monde). 

Au titre du premier plan d’action couvrant la période 2024-2026, ciblons une stabilisation macroéconomique (budget soutenable, inflation sous contrôle, taux de change approprié), le lancement d’une première vague de réformes structurelles pour relancer la croissance et jeter les bases d’une plus grande diversification, et des stratégies sectorielles cohérentes pour ancrer l’appareil productif sur toutes les nouvelles technologies qui permettent de renforcer la productivité du travail et favoriser une croissance élargie, saine et inclusive. 

 

Par Abdelrahmi Bessaha , Expert international

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