Le barrage de Tichy-Haf n’est plus qu’à 6% de ses capacités : Béjaïa, les forages de la discorde

13/05/2023 mis à jour: 03:51
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Le niveau du barrage Tichy-Haf continue de baisser inexorablement - Photo : D. R.

A l’heure où les autorités en charge de la gestion des ressources en eau entreprennent de nouveaux forages pour pallier l’assèchement du barrage de Tichy-Haf et alimenter Béjaïa et les grands centres urbains, l’inquiétude monte dans les villages de la haute vallée de la Sahel Soummam, qui craignent une répartition inéquitable de cette ressource vitale.

L’alerte a été donnée la semaine dernière par des citoyens, riverains du lit de l’oued Sahel Soummam, qui sont tombés sur un chantier de forage de trois sondes non loin de leurs propriétés. Renseignements pris auprès des hommes du chantier en question, il s’avère que ces employés étaient mandatés par la direction de l’hydraulique de Béjaïa afin de réaliser une batterie de forages à travers toute la vallée en amont de la ville d’Akbou. Le barrage de Tichy-Haf, le principal réservoir, qui alimente une majeure partie de la wilaya, étant à sec ou en voie de l’être dans les tout prochains jours, l’objectif est d’alimenter, comme stipulé par «l’ordre de service à l’entrepreneur» issu de la direction des ressources en eau de la wilaya de Béjaïa.

Le Marché n° 06/2023, dont nous avons pu consulter une copie, porte sur la réalisation, équipement, électrification et raccordement de dix forages pour le renforcement de l’AEP des communes de Béjaïa, Oued Ghir. Depuis, c’est le branle-bas de combat à travers les villages et communes de la haute vallée de Sahel Soummam : Akbou, Ighram, Aït Rzine, Ighil Ali, Boudjellil et Tazmalt. Les nouveaux forages sont tous situés dans le périmètre où se trouvent déjà les puits et forages qui alimentent les communes d’Ighil Ali, Aït Rzine, Tazmalt, Boudjellil, Ighram et Akbou.

La région est densément peuplée et cela représente des dizaines de milliers de foyers qui puisent tous de la même grande nappe réputée s’étendre de M'chedallah (Maillot anciennement) jusqu’à Ighzer Amokrane. Les inquiétudes sont grandes : les nouveaux forages, profonds de 150 à 200 mètres et pourvus de pompes puissantes, pourraient rapidement mettre hors service les anciens puits, qui ne sont ni assez profonds ni bien équipés en motopompes. A terme, ces communes de la haute Soummam, qui ont déjà beaucoup de mal à alimenter leurs populations, pourraient fort bien se retrouver sans eau.

L’information s’est répandue comme une traînée de poudre et des contacts ont commencé à se nouer parmi les représentants des villages, du mouvement associatif ainsi que des élus communaux. D’abord pour vérifier les informations, ensuite pour essayer d’adopter une démarche commune. La riposte n’a pas tardé à venir sous forme de lettre, après plusieurs réunions de coordination des représentants de villages et de communes.

Dans cette lettre ouverte adressée au wali de Béjaïa, des associations, des notables et des représentants des villages relevant des communes d’Akbou, Ighram, Aït Rzine, Ighil Ali et Boudjellil s’insurgent et expriment leur «opposition, refus et mécontentement quant aux dangers et menaces que représentent ces 10 forages sur la nappe phréatique existante, sachant que cette dernière alimente l’ensemble des communes suscitées». Les signataires relèvent que, même approfondis à plusieurs reprises, l’ensemble des puits existant dans cette zone sont actuellement à sec, poussant de plus en plus d’agriculteurs à cesser leurs activités. «La nappe n’est plus suffisamment rechargée par les apports pluvieux et la fonte des neiges et, qui plus est, soumise à une exploitation outrancière et anarchique».

Se disant «conscients de l’importance de l’eau en tant qu’élément fondamental et bien commun pour la survie des êtres vivants», les signataires précisent qu’ils ne seront «jamais contre l’approvisionnement en eau pour d’autres localités avoisinantes», mais tiennent à faire part de leur «frayeur et inquiétude» de voir «l’affaiblissement ou même la disparition de cette nappe phréatique» d’autant plus que les volumes prélevés seront grands et constants et que dans cette zone comprise entre Allaghan et Bouzeroual, le nombre de forages est déjà très important.

Au final, tout en réitérant leur opposition au projet, les membres de la société civile des communes et villages concernés disent soutenir les efforts des pouvoirs publics pour planifier et concevoir des réseaux d’approvisionnement en eau efficaces, résilients et plus performants, comme «l’aménagement de retenues et de réservoirs d’eau au niveau des lits d’oueds de toute la wilaya, permettant de stocker les eaux pluviales durant l’hiver», pour pouvoir la distribuer durant les saisons sèches.

Ce que la lettre ouverte ne dit pas est que le mécontentement vient également du fait que lorsque le barrage de Tichy-Haf a été mis en service en 2009 pour alimenter les 25 communes sises dans le couloir Akbou-Béjaïa, les localités en amont d’Akbou, telles que Tazmalt, Ath Mellikeche, Boudjellil, Aït Rzine et Ighram, ont été exclues du partage des eaux. Aujourd’hui que Tichy-Haf est à sec, c’est vers les eaux des territoires de ces communes que l’on se tourne pour alimenter le chef-lieu de wilaya et les grands centres urbains, au risque de les exclure encore une fois du partage de cette ressource vitale et de plus en plus rare.

Certains agriculteurs et citoyens rencontrés dans leurs villages tiennent également à relever les «attitudes méprisantes» de certains fonctionnaires de l’hydraulique, qui agissent «comme en terrain conquis» en mettant les citoyens devant le fait accompli quand ils entament un projet de forage. «Ils n’ont demandé l’avis de personne avant d’entamer leurs forages. Ni les élus APC ni les représentants des villages», s’insurge un habitant de Tizi Tegrart.

A plusieurs reprises de par le passé, lors du passage des oléoducs, des gazoducs ou de l’autoroute, des conflits ont éclaté entre les pouvoirs publics et les villages limitrophes du cours d’eau Sahel Soummam à propos de la propriété des parcelles le long des berges. Les habitants des villages, dont certains ont des siècles d’existence, estiment que ces terres cultivées depuis toujours par leurs ancêtres leur appartiennent de fait. Seule l’eau relève du domaine public.

Ils doivent donc être consultés et avisés pour tout projet venant à être réalisé sur ces terres. Pour les services de l’hydraulique, ces terres relèvent de leur domaine. Ils estiment être dans leur bon droit et n’avoir de compte à rendre à personne. Les citoyens qui y vivent depuis des siècles ont d’autres visions et estiment être les propriétaires légitimes des terrains. «Nous ne sommes pas contre ces forages. L’eau est sacrée car c’est la vie. C’est un bien commun et vital dont personne ne doit être privé. Seulement, ce projet ne doit pas se faire à notre détriment. Il faut partager équitablement cette ressource», dit le même habitant de Tizi Tegrart.

Contactés par nos soins, les présidents d’APC de Boudjellil, Aït Rzine et Ighil Ali se disent prêts au dialogue avec les autorités locales pour trouver une issue à ce problème. «Nous avons seulement 3 forages et ils ne suffisent pas pour alimenter les 15 villages et 15 000 habitants de la commune. Certains villages et quartiers sont alimentés une fois tous les 20 jours», affirme Chetrat Abdelhamid, le P/APC d’Aït Rzine.

Même son de cloche pour le P/APC d’Ighil Ali, commune dont les villages sont disséminés sur un vaste territoire montagneux. «Nous avons trois forages et ils ne suffisent pas aux besoins de la population, d’autant plus que certains villages comme Moka, Belaguel et Qalaa, sont en zone de montagne difficile d’accès et ne reçoivent de l’eau que très rarement», affirme Amirouche Hafsi. A l’heure où s’écrivent ces lignes, des contacts sont entrepris tous azimuts entre élus communaux, représentants de villages et membres du mouvement associatif afin de nouer le dialogue avec les autorités de wilaya et tenter de trouver une solution satisfaisante pour toutes les parties. 

 


 

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