C’est la première fois qu’un haut responsable américain se prononce en faveur d’un cessez-le-feu dans la bande de Ghaza en 150 jours d’une guerre totale contre le peuple palestinien.
Il y a comme un fléchissement de la politique américaine vis-à-vis de la guerre contre Ghaza, vous ne trouvez pas ? Après avoir soutenu de manière inconditionnelle l’offensive militaire israélienne et sa machine de destruction massive qui a fait plus de 30 500 morts en 150 jours d’une guerre totale contre la population de Ghaza, et après s’être crânement opposée à tous les projets de résolution du Conseil de sécurité de l’ONU appelant à un cessez-le-feu dans l’enclave martyrisée, l’administration américaine se démarque de manière assez spectaculaire de son grand allié de toujours.
Dimanche, la vice-présidente américaine, Kamala Harris, a appelé à un «cessez-le-feu immédiat» dans la bande de Ghaza, et ce, à la veille de son entretien avec Benny Gantz, membre du cabinet de guerre de Benyamin Netanyahu.Et c’est bien la première fois qu’un responsable américain de haut rang se prononce en faveur de la cessation des hostilités dans la bande de Ghaza.
Selon un compte-rendu du New York Times, «Mme Harris a dénoncé les conditions désastreuses à Ghaza, qualifiant la situation de ‘catastrophe humanitaire’». «Il s’agit de son appréciation la plus cinglante à ce jour du conflit au Moyen-Orient, qui a tué plus de 30 000 Palestiniens, selon les autorités sanitaires de Ghaza, et placé l’enclave au bord de la famine», poursuit le New York Times.
«Ce que nous voyons chaque jour à Ghaza est dévastateur», a martelé Mme Harris. «Nous avons vu des familles manger des feuilles ou de la nourriture pour animaux. Des femmes qui donnent naissance à des bébés mal nourris avec peu ou pas de soins médicaux. Et des enfants qui meurent de malnutrition et de déshydratation.
Comme je l’ai dit à plusieurs reprises, trop de Palestiniens innocents ont été tués», a-t-elle encore dénoncé. «Et compte tenu de l’immense ampleur des souffrances à Ghaza, il doit y avoir un cessez-le-feu immédiat, pendant au moins les six prochaines semaines», a plaidé la vice-présidente des Etats-Unis, avant de lancer : «Le Hamas dit vouloir un cessez-le-feu, eh bien, il y a un accord sur la table.»
Largage humanitaire
Mme Harris a évoqué la situation à Ghaza dans un discours prononcé ce dimanche à Selma, en Alabama, à l’occasion de la commémoration du 59e anniversaire du «Bloody Sunday» ou «dimanche sanglant». Cela réfère à un événement marquant de l’histoire du mouvement des luttes pour les droits civiques aux Etats-Unis.
Ce fameux «Bloody Sunday», une marche qui avait eu lieu le dimanche 7 mars 1965 à Montgomery, capitale de l’Etat de l’Alabama, au sud des Etats-Unis, pour réclamer les droits des Noirs, avait été réprimée dans le sang.
Pour revenir au ton général de ce discours qui marque un tournant dans la position des Etats-Unis vis-à-vis de la question palestinienne, le New York Times note : «Cela fait écho à un ton plus aigu de la part de la Maison-Blanche, alors que son mécontentement à l’égard d’Israël s’accroît. Le mois dernier, le Président a qualifié la réponse d’Israël à l’attaque menée par le Hamas du 7 octobre d’''exagérée''.»
Kamala Harris a appelé l’entité sioniste à permettre aux flux d’aide d’entrer sans entraves à Ghaza. «Le gouvernement israélien doit faire davantage pour augmenter de manière significative le flux d’aide», a-t-elle déclaré, d’après le New York Times.
«Pas d’excuses !» a-t-elle tranché. «Les gens à Ghaza meurent de faim. Les conditions sont inhumaines. Et notre humanité commune nous oblige à agir», a-t-elle souligné.
Kamala Harris a en outre «condamné une scène qui s’est déroulée jeudi, lorsque plus de 100 Ghazaouis désespérés de manger sont descendus sur un convoi humanitaire et ont été accueillis par ce que Mme Harris a appelé ''le chaos et les coups de feu'', après qu’Israël ait ouvert le feu sur la foule», rapporte le quotidien américain.
De façon presque concomitante à cette sortie vigoureuse de la colistière de Joe Biden, les Américains ont largué, samedi dernier, par voie aérienne plusieurs tonnes d’aide humanitaire à l’aide de parachutes au profit de la population séquestrée de Ghaza.
Et là encore, c’est une première. De fait, c’est la première fois que les Etats-Unis envoient de l’aide humanitaire aux Palestiniens en 150 jours de massacres acharnés. Cette opération est intervenue deux jours après la boucherie de jeudi dernier qui a fait 116 morts et 760 blessés dans une opération de distribution d’aide qui a tourné au carnage.
Trois avions militaires américains ont ainsi largué 66 «colis» équivalant à plus de 38 000 repas dans une opération conjointe avec la Jordanie, a précisé un responsable du Commandement militaire américain pour le Moyen-Orient (Centcom) cité par l’AFP.
La veille de cette intervention humanitaire, Joe Biden avait déclaré que son pays allait participer «dans les prochains jours» aux largages d’aide humanitaire sur Ghaza. «Nous allons insister auprès d’Israël pour qu’il facilite l’entrée de davantage de camions (...) Il n’y a vraiment pas assez d’aide qui arrive à Ghaza», a insisté le président américain.
Le coût électoral d’un soutien aveugle à Israël
Il faut croire que ce changement significatif dans la position américaine n’est pas dicté exclusivement par des considérations «morales». Vraisemblablement, il est mû aussi par des calculs électoralistes.
«Mme Harris s’est exprimée à un moment où les conséquences politiques du soutien inébranlable de l’administration Biden à Israël commencent à se faire davantage sentir » décrypte le New York Times, avant de relever : «Alors que M. Biden critique de plus en plus la réponse d’Israël à l’attaque du 7 octobre, son rejet des appels à un cessez-le-feu permanent et une série de faux pas antérieurs en montrant un manque d’empathie envers les Palestiniens ont divisé le Parti démocrate. Ils ont également aliéné des électeurs clés, notamment les électeurs noirs, jeunes et arabes américains», affirme le journal américain.
Il y a quelques jours, le «candidat» Biden a remporté difficilement la primaire démocrate dans le Michigan, un Etat influent du Midwest. Toutefois, le Président sortant «a été sévèrement sanctionné pour son soutien à Israël dans cet Etat à forte population musulmane et arabe, un résultat qui pourrait être de mauvais augure pour ses chances de réélection», écrit le quotidien français La Croix.
«Selon de premières estimations, plus de 50 000 votes ''non engagés'', l’équivalent d’un vote blanc, ont été déposés dans les urnes de cet Etat, répondant à un appel à faire pression sur le président américain pour un cessez-le-feu immédiat à Ghaza», indique le journal français.
Et de préciser : «Des militants de cette région clé du Midwest avaient lancé la campagne ''Listen to Michigan'' (Ecoutez le Michigan), pour délivrer un ''message puissant et sans équivoque'' selon lequel le financement et le soutien de la guerre à Ghaza sont ''en contradiction avec les valeurs du Parti démocrate''.»
«Le président Biden finance les bombes qui tombent sur des proches de familles vivant ici-même dans le Michigan, des gens qui ont voté pour lui et qui se sentent complètement trahis», assène Layla Elabed, une responsable du groupe citée par le journal.
«Ce résultat est inquiétant pour le dirigeant démocrate, car il avait remporté de peu cet Etat face à Donald Trump il y a quatre ans. Chaque défection entame ses chances d’être réélu à la présidentielle de novembre», relève La Croix.
Et de faire remarquer : «A mesure que le nombre de victimes civiles augmente dans le conflit entre Israël et le Hamas, Joe Biden a vu son soutien s’éroder significativement parmi les musulmans et les Américains d’origine arabe, un électorat qui avait été décisif dans sa victoire face à Donald Trump en 2020.» Vous savez comment est surnommé Joe Biden par une partie des Américains en raison justement de son soutien (surtout aux premiers mois de la guerre contre Ghaza) à l’Etat hébreu ? «Genocide Joe».