La nappe albienne, plus grande réserve d’eau souterraine au monde connue à ce jour, s’étire sur un million de kilomètres carrés et s’étend sur les territoires algérien (70%), libyen (20%) et tunisien (10%), en continu de l’Atlas saharien dans le Nord jusqu’au Tassili du Hoggar au Sud.
La pénurie, le stress hydrique, le lourd impact du réchauffement climatique, la crise et les conflits liés à l’eau douce sont en augmentation un peu partout dans le monde. Plus d’un milliard de personnes vivent dans des régions où l’eau est rare, et 3,5 milliards de personnes pourraient connaître une pénurie d’eau d’ici 2025.
Les eaux souterraines constituent près de 99% de toutes les réserves d’eau liquide douce sur terre. Les bassins transfrontaliers représentent environ 60% de ces ressources, au service de 2,8 milliards de personnes, soit 42% de la population mondiale, selon les données du Fonds pour l’environnement mondial (FEM) et du World Resources Institute (WRI).
Considérant tous ces facteurs et tant d’autres, la gestion de l’eau douce et les écosystèmes transfrontaliers partagés, fortement complexes, est confrontée à une myriade de menaces interconnectées, de besoins, de défis et de frontières politiques, et ce n’est justement pas pour rien que les enjeux, posés d’abord au niveau mondial puis national, par la gestion des gigantesques aquifères albiens, communément appelés Système aquifère du Sahara septentrional (SASS), sont omniprésents dans les agendas internationaux de la géopolitique de l’or bleu.
Les tout derniers étant la 10e édition de la Conférence sur les eaux internationales (IWC), tenue du 23 au 26 septembre 2024 à Punta Del Este, en Uruguay, et la 10e réunion des Parties à la convention sur la protection et l’utilisation des cours d’eaux transfrontalières et des lacs internationaux, du 23 au 25 octobre dernier à Ljubljana, en Slovénie. L’accent y ayant été mis sur les mécanismes et garde-fous à mettre en place aux fins de la protection/conservations des cours d’eaux transfrontalières et des lacs internationaux ainsi que sur l’impératif de l’utilisation des ressources en eau non-conventionnelles.
La nappe albienne, plus grande réserve d’eau souterraine au monde connue à ce jour, s’étirant sur un million de kilomètres carrés qui s’étend sur les territoires algérien (70%), libyen (20%) et tunisien (10%), en continu de l’Atlas saharien dans le Nord jusqu’au Tassili du Hoggar au Sud, serait, aux yeux des experts de la Commission économique des Nations unies pour l’Europe (CEE-ONU), sous la menace de l’épuisement et de la dégradation.
Deux phénomènes qui risquent de s’exacerber compte tenu des données, du groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) relatives à la disponibilité de réserves en eau, aux variations saisonnières et inter-annuelles de la pluviométrie, à la fréquence des inondations et à la sévérité des épisodes de sécheresse.
Pis encore, ils sont susceptibles d’impacter gravement les réserves d’eau souterraine mondiales, eu égard à l’impressionnant gisement d’or bleu dont regorge le SASS ; environ 60 000 milliards de mètres cubes, d’après les estimations de Grace (Gravity Recovery and Climate Experiment) de la NASA et du Deutsches Zentrum für Luft - und Raumfahrt (Centre aérospatial allemand (DLR), réserves équivalant 60 000 fois les capacités de Beni Haroun (Mila), le plus grand barrage en Algérie.
Un nouvel accord et des interrogations
Et si pour le moment, ces aquifères albiens en partage ne constituent pas «un catalyseur de conflits diplomatiques et, encore moins, un casus belli - acte de nature à motiver une déclaration de «guerre» entre les trois pays que l’Institut des ressources mondiales (WRI) a classés «sous le seuil de la pauvreté hydrique» et parmi les 33 pays du monde appelés à connaître un stress hydrique très intense à l’horizon 2040, la signature, en avril 2024, d’un nouvel accord entre Alger, Tunis et Tripoli, portant création d’un mécanisme de concertation sur la gestion des eaux souterraines communes dans le Sahara septentrional, a suscité nombre d’interrogations auprès des spécialistes en géopolitique de l’eau et autres observateurs. Surtout que les trois parties étaient déjà liées par un accord tripartite conclu en 2008, fixant les quotas de chaque pays.
A ce propos, faut-il le rappeler, un «litige» avait opposé, en 2016, l’Algérie et la Libye lorsque l’Institut national de recherche agronomique (INRA) reprochait aux autorités libyennes de «provoquer une détérioration de la nappe albienne en procédant à un pompage massif qui ne respecte pas les règles fixées conjointement par les pays riverains».
Pas seulement : l’Observatoire du Sahara et du Sahel (OSS) chargé, depuis bien des lustres, de la gestion dudit mécanisme, en aurait été dessaisi pour des raisons, à ce jour, inexpliquées : «Il est indéniable que la nappe albienne, partagée entre l’Algérie, la Tunisie et la Libye, représente un enjeu crucial en termes de gestion durable de l’eau, surtout face aux défis du changement climatique et de l’augmentation de la demande en ressources hydriques. Cependant, je me dois de vous informer qu’à ce jour, l’Observatoire du Sahara et du Sahel (OSS) n’héberge plus le mécanisme de concertation du projet SASS (Système aquifère du Sahara septentrional), qui encadrait la coopération autour de cette précieuse ressource partagée.
De ce fait, il ne me serait pas possible de répondre à certaines questions techniques ou institutionnelles sur la gestion actuelle de la nappe albienne», a confirmé, dans une déclaration à notre rédaction, Mohamedou Ould Baba SY (mauritanien), Directeur du Département eau à l’OSS. Fondée en 1992 et installée à Tunis depuis 2000, cette organisation internationale à vocation africaine a pour rôle principal de «créer et de soutenir des partenariats pour relever ensemble les défis liés à la gestion des ressources en eau, ainsi qu’à la mise en œuvre des accords internationaux sur la dégradation des terres, la biodiversité et le changement climatique en Afrique».
Forte de 34 pays membres, dont 27 africains et 7 non-africains, l’Organisation collabore avec 12 entités représentatives d’Afrique de l’Ouest, de l’Est et du Nord, ainsi qu’avec plusieurs agences des Nations unies et Organisations non gouvernementales. L’utilisation de la télédétection et des images satellitaires dans l’amélioration de connaissance, de la gestion concertée et de l’exploitation rationnelle du SASS est de plus en plus recommandée par différents organismes, institutions et agences onusiennes.
Contactée à ce sujet, Mustapha Mimouni (algérien), le chef de la Division système d’information géographique & télédétection à l’OSS s’est abstenu de tout commentaire. Il en est de même pour Charles Baubion (français), expert en gouvernance de risques à la Direction de la gouvernance publique de l’Organisation pour la coopération et le développement économiques (OCDE).
Curieux silence radio à L’OSS
Malgré notre insistance, cet hydrologue de formation, qui travaille dans les domaines de la gestion des risques et la gestion des ressources en eau en Chine, Europe, Afrique du Nord et à l’international, au niveau des politiques publiques et scientifiques, s’est, lui aussi, gardé de s’exprimer sur la nappe albienne et le pacte tripartite y afférent nouvellement scellé, prétextant ne plus s’occuper «des sujets liés à l’eau à l’OCDE».
Pourtant, M. Baubion est parmi les experts qui maîtrisent le mieux ce, visiblement, sensible dossier ; il avait participé à une étude exhaustive sur la gestion concertée du bassin transfrontalier depuis 1998 à 2008, date de signature du premier accord liant les pays l’exploitant en partage. Du côté tunisien, nos maintes tentatives de satisfaire notre «curiosité» sont restées vaines.
Dr Aïssa Hlaimi, responsable des ressources hydrauliques au ministère de l’Agriculture tunisien et auteur d’une autre étude réalisée pour le compte de la Commission économique des Nations unies pour l’Europe (UNECE), portant toujours sur la gestion du SASS, également joint par mail, n’a pas daigné nous répondre.
C’est dire le caractère complexe, délicat et sensible que revêt, apparemment, le dossier de la nappe albienne, surtout dans un contexte où les risques émergents liés au changement climatique et l’eau sont devenus géopolitiquement extrêmement difficiles à gérer. D’où le placement par les sociétés d’assurance des changements climatiques dans le Top 3 de ces risques émergents.
La question que d’aucuns se posent : en cas d’atteintes ou d’incident majeurs, accidentels ou volontaires, la pollution des eaux souterraines anciennes et profondes, en partage entre plusieurs pays, ou la dégradation des ouvrages riverains, peuvent-ils être couverts par le système assurantiel ? «L’assurabilité de tout ce qui a trait aux ressources, dites sensibles, comme les eaux transfrontalières et les infrastructures associés ne nous concerne pas. Elle est du ressort exclusif de l’Etat. L’Etat se constitue comme client du marché, il s’assure et se réassure lui-même sur le marché international. C’est une question de stratégie et d’orientation qui relève de la souveraineté.
Il y a des arbitrages à faire. Les assurances est un secteur consommateurs d’informations. Il y a des informations sensibles, d’ordre stratégique et confidentiel, qui ne peuvent être partagées. Les autorités mettent en place des schémas spécifiques qui sortent du cadre des assurances et qui relèvent de la souveraineté du pays. Les ressources naturelles stratégiques est un domaine assez particulier qui échappe à la sphère économique classique», nous a précisé Widad Belhouchet, PDG de la compagnie CASH Assurances, en marge d’une rencontre sur «L’Assurance, un levier de résilience et d’accompagnement économique».