Introduction
Après une analyse des contextes économique et énergétique mondiaux, cet article va analyser l’impact macroéconomique de la récente envolée des prix des hydrocarbures et avancer des propositions sur les prochaines étapes économiques.
Les fondamentaux du marché pétrolier et les perspectives pour 2022 et 2023
Les prix du pétrole brut Brent ont atteint 92 dollars le baril en février 2022, soit le niveau le plus haut depuis la mi-2014 (79,42 dollars le baril à fin 2021). Cette hausse de 15,5% reflète les fondamentaux économiques mais également les inquiétudes accrues des investisseurs qui ont intégré : (1) des perturbations éventuelles de l’approvisionnement en pétrole en raison des tensions géostratégiques en Ukraine ; et (2) une remontée de la consommation de brut au vu de l’affaiblissement du variant Omicron.
Pour le reste de l’année 2022, absentes des tensions géostratégiques et l’émergence d’un nouveau variant de la covid-19, il est prévu une offre de pétrole de 101 millions de barils/jour par rapport à une consommation de 100,61 millions de barils/jour. Ce léger surplus résulterait d’une hausse de 5,2 % de la production de pétrole des pays non membres de l’OPEP (OPEP+). Cette dynamique devrait conduire à une baisse du prix du baril de dollars 89 dollars le baril à fin mars 2022 à 75 dollars à fin décembre 2022. Pour 2023, l’offre de pétrole devrait atteindre 103,47 millions de barils/jour (avec une hausse de 3% de la part d’OPEP +) par rapport à une demande de 102,48 millions de barils/jour. De ce fait, le prix du baril devrait passer de 72 dollars le baril au cours du premier trimestre à 66 dollars le baril au quatrième trimestre de 2023 (soit une baisse de 12 %). La contribution de l’OPEP à l’offre mondiale stagnerait, devant passer de 31,56 millions de barils/jour en 2021 à des projections de 34,16 millions de barils/jour en 2022 et 34,53 millions de barils/jour en 2023 (une hausse de 1%).
Le contexte économique mondial
Est marqué par cinq éléments fondamentaux :
- Une croissance en léger retrait par rapport à 2021. La croissance mondiale devrait baisser de 5,9 % en 2021 à 4,4 % en 2022, principalement en raison de la hausse des prix de l’énergie, des perturbations de l’approvisionnement et des contraintes dans les politiques économiques des Etats-Unis et de la Chine. Pour 2023, la croissance devrait encore ralentir à 3,8 %.
- Une inflation en hausse continue : qui devrait persister, les perturbations de la chaîne d’approvisionnement et les prix élevés de l’énergie devant se poursuivre au cours des prochaines mois de 2022. En supposant une atténuation des déséquilibres entre l’offre et la demande et un resserrement des politiques monétaires des grands pays, l’inflation mondiale devrait être contenue à 3,9 % pour les pays avances et 5,9 % pour les pays émergents en 2022.
- Changement de l’orientation de la politique monétaire. Les grandes banques centrales sont sur le point de démanteler l’assouplissement quantitatif en place depuis le début de la pandémie et augmenter les taux directeurs, mesures qui ne manqueront pas de resserrer les conditions financières globales, déclencher des reflux de capitaux des pays émergents et en développement et déprécier les monnaies nationales, avec les risques de ralentir l’activité économie globale, restreindre l’accès aux financements et accroître les services de la dette.
- Pénuries de produits de base. Les stocks de certains des produits de base les plus importants de l’économie mondiale (métaux industriels, énergie, matières premières agricoles et denrées alimentaires) sont à des niveaux historiquement bas alors que la demande en plein essor. Un facteur de perturbation des économies dans le monde.
- Autres risques mondiaux : la probabilité de catastrophes naturelles majeures reste élevée.
L’impact de la hausse des prix du pétrole sur l’économie mondiale
Le premier effet est le transfert de richesses des pays importateurs en direction des pays exportateurs et le recyclage de ces mêmes richesses au niveau des banques internationales. Le second effet (à terme toutefois), c’est l’émergence d’un déséquilibre économique mondial qui va résulter de cycles économiques asynchrones : une expansion économique au niveau de certains pays (exportateurs, avancés et émergents) qui ne pourrait compenser le recul d’activité économique dans une autre partie du monde (pays importateurs et émergents). Ceci va donc entraîner une baisse de la demande de biens et de services, une chute des échanges commerciaux et un ralentissement économique mondial.
Le cas de l’Algérie
Pour ce qui est de l’Algérie, la hausse du prix du baril va se traduire par des effets nets positifs. Examinons cela en détail ci-dessous.
- Les hypothèses macroéconomiques de la loi de finances initiale (LFI) 2022. Cette dernière a été bâtie sur : (1) un taux de croissance de 3,28 %, croissance tirée par l’agriculture (4,54 %), le BTP ((4,69%), l’industrie (4,13 %), les services marchands (4,60 %) et les hydrocarbures (0,59%) ; (2) un taux de change de 149,3 DA/1 dollar (soit une dépréciation de 10% par rapport au taux de DA135/1 dollar de fin 2021) ; (3) un prix de référence du baril de pétrole de 45 dollars (pour le budget) et de 50 dollars pour le marché ; (4) un taux d’inflation de 3,67%. Ces hypothèses, déjà très optimistes au moment de la préparation de la LFI 2022, ne rendent plus compte de la réalité actuelle.
- L’impact en 2022 des nouveaux prix du baril sur :
a. Les comptes extérieurs. Sur la base d’un prix moyen de 82 dollars, les recettes d’exportations devraient passer de 27,9 milliards dollars à 41 milliards dollars. Les importations devraient passer de 31,8 milliards dollars à 41 milliards dollars en raison de la forte inflation au niveau mondial qui devrait persister en 2022 et éventuellement au début de 2023. Compte tenu des autres éléments de la balance des paiements (services, recettes primaires et recettes secondaires), le compte courant devrait se situer à 4,2 % du PIB, comparativement à 7,5 % du PIB dans le cadrage macroéconomique de la LFI 2022. Certes, une amélioration de 3,3 points de pourcentage du PIB résultant de facteurs exogènes et non de politiques publiques de réajustement de l’économie nationale. Donc une situation précaire.
b. Les réserves internationales de change. De 43,8 milliards en 2021, elles passeraient à environ 35,8 milliards dollars au vu des niveaux attendus des échanges commerciaux externes, du service de la dette et du niveau de couverture du déficit extérieur. Le marché parallèle ne devrait pas enregistrer de baisse vu le manque de confiance des agents économiques vis-à-vis de la monnaie nationale.
c. Les finances publiques. Les recettes globales devraient atteindre 6579 milliards de DA par rapport à 5683,22 de DA dans la LFI 2022 (résultat de la dépréciation du DA, de la hausse de 997 milliards des recettes pétrolières et de la perte de 150 milliards de DA suite au récent gel des impôts et taxes sur certains produits alimentaires, le e-commerce, les téléphones portables, les matériels informatiques à usage personnel et les start-up.
Avec des dépenses totales inchangées de 9751 milliards de DA, le déficit global atteindrait 3230 milliards de DA par rapport à 4175,2 milliards de DA dans la LFI 2022. Pour le solde global du Trésor qui inclut le déficit de la CNR, il se situerait à 3984 milliards de DA comparativement à 4929,3 milliards de DA, soit une amélioration de 945 milliards de DA.
En termes de PIB, le déficit global passerait de 18,1 % du PIB à 13,1 % du PIB tandis que le solde budgétaire du Trésor se situerait à 16,3 % du PIB (par rapport à 21,4% du PIB). Un déficit colossal et dont la réduction est due de nouveau à des facteurs exogènes temporaires. Des finances publiques intenables.
d. L’inflation. L’indice des prix à la consommation d’Alger actuel ne capte pas un certain nombre de facteurs (qualité des produits, substitutions, nouveaux biens) ce qui entraîne une surestimation d’au moins 0,5 % au vu de la pondération présente. Simultanément, d’autres éléments tendent à sous-estimer l’inflation (contrôles de prix de 26 % des produits alimentaires qui représentent 43 % du panier ; qualité et faiblesses du traitement des données ; la sous-évaluation du dinar de près de 30%) sous-estiment en moyenne l’inflation d’au moins 3,5 points. Soit une sous-évaluation technique nette de 3 points.
Ajoutons les facteurs exogènes (inflation mondiale au niveau de nos partenaires commerciaux de 6% - 8%), les effets négatifs des politiques publiques en place (faiblesse de l’offre, monétisation du déficit budgétaire, dépréciation du taux de change du DA) et les contraintes structurelles (chaos des circuits de distribution), l’inflation serait ainsi sous-évaluée d’au moins 3 autres points. Au total, la variation des indices des prix à la consommation serait sous-estimée d’environ 6 points. Ce qui porterait la variation de l’indice des prix à la consommation à environ 9,5% en 2022.
e. La monnaie nationale. Mécaniquement, une hausse du prix du pétrole contribuerait à une appréciation de la monnaie nationale. Cependant, au vu des anticipations inflationnistes fortement ancrées au niveau des consommateurs et des impacts limités d’un baril plus élevé sur les équilibres économiques du pays, la valeur de la monnaie nationale va continuer à reculer dans un ordre de 10 % environ.
f. La croissance économique. En l’absence d’un effet-volume significatif au niveau de la branche hydrocarbures (vu l’importance de la demande intérieure et des limites de l’offre de pétrole) et des taux de croissance élevés déjà projetés dans le cadre de la LFI 2022, le gain à attendre est limité (soit au plus 1 point de croissance additionnel en termes réels). Le taux de croissance pour 2022 devrait se situer à environ 4-4,5 %. Une grande partie de cette croissance résulte des retombées indirectes de la hausse des prix des hydrocarbures.
Prochaines étapes
La remontée des prix du pétrole est un facteur exogène temporaire qui apporte un répit au pays.
Vu les incertitudes au niveau mondial, il faut tirer le maximum de profit de cette hausse pour s’attaquer aux dommages structurels que l’économie nationale a subi sous l’effet des restrictions commerciales, financières et économiques externes, des rigidités structurelles et des politiques publiques incohérentes et qui ont été exacerbés par la faiblesse des mesures mises en place pour combattre les impacts négatifs des chocs sanitaire et pétrolier de mars 2020. Dans ce contexte difficile socialement et économiquement, les prochaines semaines devraient permettre aux autorités :
- De réactualiser le cadrage macroéconomique à moyen terme ainsi que le cadrage budgétaire à moyen terme.
- D’adopter le plus rapidement possible (inutile d’attendre juin 2022) une loi de finances complémentaire pour prendre en considération les développements domestiques et internationaux. Ce serait l’occasion également de réduire le déficit budgétaire global. Avec des recettes budgétaires en hausse, des dépenses courantes inchangées (6311,5 milliards de DA y compris une hausse limitée des petits salaires compensée par des gels de certaines dépenses non prioritaires) et une réduction du niveau des engagements de dépenses en équipements de 1547 milliards de DA (pour les ramener à 2000 milliards de DA, ce qui est déjà un montant considérable), le déficit global pourrait être ramené à 13,2 % du PIB par rapport à 18,4 % du PIB dans la LFI 2022. Un signal important qui permettra de jeter les bases d’un processus de réforme au cours des prochaines années. La LFC 2022 devrait s’inscrire dans une démarche à moyen et long terme.
- De reprendre la publication des statistiques économiques de base. En période de crise profonde comme celle que vit le pays (et de nombreux autres pays du monde), la transparence statistique est un élément fondamental dans la prise en charge des défis du pays. Dans ce sens, une publication des données macroéconomiques de base participe du besoin fondamental de gagner l’adhésion de la population au processus de renouveau économiques du pays et éviter les rumeurs et fausses nouvelles. Les citoyens soufrent déjà de l’inflation, des pénuries et du chômage. Rien ne justifie par conséquent l’absence de données de base au niveau des sites des grands institutions concernées.
Déclarer l’année 2023 comme l’année du lancement du processus global de réformes pour refonder l’économie algérienne. Ceci impliquera de travailler au cours des mois prochaines avec l’aide des experts nationaux et internationaux sur une vision intérimaire 2050, une stratégie décennale 2023-2030 avec des objectifs simples autour de laquelle serait articulée un premier plan d’action 2023-2025.
Ce dernier sera destiné à entamer le processus de rétablissement des fondamentaux macroéconomiques (lutte contre l’inflation, déficit budgétaire, déséquilibre extérieur), renforcer la gestion macroéconomique du pays (qui est incontournable) et établir des priorités dans les réformes structurelles et les politiques sectorielles dont le pays a tant besoin pour créer de la croissance économique élargie et saine, lancer la transition énergétique, créer des emplois pour réduire le stock des chômeurs (2 millions de personnes) et employer les flux des nouveaux demandeurs (200,000 annuellement) et réduire la pauvreté.
Par Abdelrahmi Bessaha.
Expert international en macroéconomie