Le maintien des essais nucléaires et chimiques au Sahara a été âprement débattu et négocié point par point à Evian, pour finalement aboutir à un accord, qui figure dans une annexe en marge de la conclusion finale des pourparlers bilatéraux.
Avant d’opter pour le Sahara, les stratèges militaro-scientifiques du CEA et de l’état-major des armées français ont, d’abord, exploré dans d’autres régions : l’Argentella, en Corse, les Pyrénées, les îles Kerguelen et même les îles Samoa en Océanie. Finalement c’est le Sahara qui est choisi, dès 1957, pour être le CSEM (Centre saharien des expérimentations militaires). Et c’est le désert du Tanezrouft, à 50 km de la ville de Reggane, qui va être le théâtre des explosions atomiques à l’air libre.
Les critères qui ont joué en faveur, si je puis dire, du Sahara, sont son immensité territoriale, sa faible densité en nombre d’habitants, sa discrétion (les bases nucléaires occupaient une surface de 108 000 km2), sa proximité avec la métropole et une main-d’œuvre locale abondante et peu chère.
En 1958, lorsque le général Ailleret, commandant interarmées des armes spéciales, est chargé de l’organisation des essais nucléaires, il donne une étrange explication, pour le moins hallucinante, pour justifier le choix du Sahara : «Le choix le plus remarquable était l’absence totale, je dis bien totale, de vie animale ou végétale… La sécheresse presque absolue avait fait son œuvre, tout était mort… Il apparaissait clairement que ce serait l’endroit idéal pour faire des explosions nucléaires, sans danger pour les voisins, puisqu’il n’y en a pas.»
Et que dire de la déclaration du délégué français Jules Moch devant l’Assemblée des Nations unies le 5 novembre 1959, voilà ce qu’il disait : «Les populations de tous les Etats voisins du Sahara, Maroc, Tunisie, Libye, courront moins de danger que les habitants de la Californie et de la Sibérie qui n’en coururent aucun, le Sahara se prête mieux que tout autre région à cette expérimentation, parce que le site choisi est à la fois désert et beaucoup plus proche que les atolls des antipodes de la France.»
Or, à cette époque, la population de la région du Touat comptait 40 000 personnes et la ville de Reggane abritait 5000 âmes.
Mais, il faudrait rappeler, qu’en réalité, le choix du Sahara est bien antérieur à 1957. Ce fut un long processus militaro-scientifique. En fait, la militarisation du Sahara remonte au tout début des années trente.
C’est en 1930 que fut créé le premier centre d’essais des armes chimiques en Algérie, c’était dans la région de Touggourt, à Chegga exactement. Puis, au milieu des années trente, ce centre a déménagé dans la région de Béchar. Une base militaire ultra secrète, son nom de code est B2 Namous. C’est l’un des plus vastes centres d’expérimentation d’armes chimiques et bactériologiques au monde. Ce centre intéressait beaucoup de pays. Dans les années cinquante, c’est le début de la guerre froide. B2 Namous accueillait des manœuvres offensives de l’OTAN avec armes chimiques et bactériologiques.
L’un des officiers qui étaient à B2 Namous me confia que régulièrement, des experts militaires américains séjournaient sur la base chimique… Puis, au milieu des années cinquante, les recherches relatives aux armements chimiques et bactériologiques et leurs productions sont tombées en désuétude. Les bombardements d’Hiroshima et de Nagasaki ont démontré leur efficacité dévastatrice. Désormais, c’est l’atome et non les gaz toxiques qui mobilise les moyens et intéresse les ingénieurs du CEA et les stratèges militaires français.
Toutes ces activités délétères pour la santé des populations, pour l’environnement et pour l’écosystème ont continué après le 19 mars 1962.
Le maintien des expérimentations militaires dans l’Algérie indépendante
Le maintien des essais nucléaires et chimiques au Sahara a été âprement débattu et négocié point par point à Evian, pour finalement aboutir à un accord, qui figure dans une annexe en marge de la conclusion finale des pourparlers bilatéraux. Dans cette annexe, à aucun moment les termes de nucléaire, d’atome ou de chimique sont mentionnés. Si le cas de la base navale de Mers El Kébir et l’utilisation de l’espace arien sont largement documentés, en revanche pour ce qui est des essais nucléaires, ils sont évoqués en quatre lignes dans des termes sibyllins : «La France disposera pendant cinq ans des aérodromes de Colomb-Béchar, Reggane et In Amguel, afin de poursuivre des expériences scientifiques, la France maintiendra au Sahara, pendant cinq ans, ses installations expérimentales.»
Pourtant, les questions relatives aux expérimentations nucléaires et chimiques qui se sont déroulées au Sahara ont été longuement débattues et ont constitué la principale pierre d’achoppement des pourparlers d’Evian. Et pour cause, la délégation française a entamé ces négociations avec une feuille précisant la voie à suivre.
Dans une note secrète du ministère d’Etat chargé des Affaires algériennes, il est bien stipulé ceci : «Dans la négociation qui commence, la distinction entre l’Algérie et le Sahara est un des éléments de la thèse que doit soutenir la délégation française.» Maintenant, on sait que les questions militaires ont fait l’objet d’une annexe secrète en marge des déclarations d’Evian.
Cependant, l’article 32 stipule, en substance, que les activités qui s’y déroulent sont potentiellement nocives, voici ce que stipule cet article : «L’Etat français réparera, équitablement, les dommages éventuellement causés par les forces armées et les membres de ces forces à l’occasion du service et dûment constatés.»
Cette annexe demeure, toujours, inaccessible. Lors de leur publication, les Accords d’Evian ont été expurgés de toute référence aux essais nucléaires et chimiques. Une grande partie des archives couvrant cette époque sont classées «secret défense» pour une durée indéterminée.
A l’une de mes questions, qui fâchent, voici les réponses des membres des deux délégations, d’abord celle de Claude Chayet qui fut conseiller juridique de la délégation française : «Les essais nucléaires ont été âprement négociés et finalement on est tombé d’accord, mais ce que je vous dis là, vous ne le trouverez dans aucun document écrit.» Cela est corroboré par Pierre Messmer, pour qui ces questions avaient fait l’objet d’une annexe secrète.
A cette même question, Redha Malek, qui était le porte-parole de la délégation algérienne, face à mon insistance, voilà ce qu’il m’avait répondu, avec une pointe d’agacement : «Ils ont fait de gros investissements, c’est normal qu’on en tienne compte. Alors, on leur a dit de faire les explosions qu’ils ont à faire et qu’on en finisse au plus vite.»
En effet, le maintien des essais nucléaires après l’indépendance a bel et bien été négocié entre les deux délégations, précisément, lors des pourparlers du 11 au 18 février 1962 aux Rousses, dans le Jura.
Selon les négociateurs, la question du Sahara a constitué la principale pierre d’achoppement des pourparlers franco-algériens. Elle aurait, selon eux, retardé la fin de la guerre d’au moins une année. Car le Sahara, c’était le pétrole et le gaz, les expérimentations spatiales et nucléaires, mais aussi chimiques et bactériologiques (la conquête de l’espace à Béchar-Hammaguir, les essais nucléaires à Reggane et dans le Hoggar et chimiques et bactériologiques à B2 Namous).
Ainsi, contraint et forcé, de Gaulle finit par jeter l’éponge et renoncer au Sahara. «Vous leur direz qu’ils sont maîtres de leur destin, car nous ne voulons plus de cette boîte à chagrin», disait le général à Louis Joxe. Finalement, les Algériens ont obtenu l’essentiel de leurs revendications, la souveraineté sur l’ensemble du territoire national. Pour Vincent Labouret et Claude Chayet, les Accords d’Evian, c’était un entassement de conditions que les Algériens trouvaient inacceptables…
Une base militaire ultra-secrète
Finalement, la France est restée plus longtemps que prévu par les Accords d’Evian dans l’Algérie indépendante et pas que pour tester les bombes nucléaires. Ses premières velléités de conquête de l’espace ont été testées au Sahara. Depuis 1947 et jusqu’en 1967, la région de Béchar-Hammaguir était le lieu du Centre interarmées d’essais d’engins spéciaux. C’est là que les fusées Véronique, ancêtres de la fusée Ariane, ont été mises au point et expérimentées. C’est là aussi que se trouvait la rampe de lancement de la série des satellites Asterix, le premier satellite français qui a été lancé avec succès. Le centre a fermé, définitivement, en juillet 1967.
A part B2 Namous, toutes ces choses étaient plus ou moins connues. La base B2 Namous, dans la région de Beni Ounif. Une base militaire ultra-secrète. C’est l’un des plus vastes centres d’expérimentation d’armes chimiques et bactériologiques au monde. Un polygone d’essai de 6000 km2. On y a testé, à l’air libre, toutes sortes d’armes : des grenades, des mines, des obus, des bombes et même des missiles, tous porteurs de munitions chimiques et bactériologiques. Ce centre a fonctionné, dans le secret total, depuis les années 1930 et la date de fermeture demeure une énigme. D’après le journaliste Vincent Jauvert qui a eu accès aux archives, le centre aurait fermé en 1972. En revanche, un général algérien Rachid Benyelles, aujourd’hui retraité, dans le livre Dans les arcanes du pouvoir, situe la fermeture en 1986.
Quant à moi, j’ai eu l’occasion d’interviewer l’attaché militaire de l’ambassade de France à Alger, celui-ci soutient que le centre a fermé en 1982, et pour cause, c’est lui, en tant qu’attaché militaire, qui a procédé à la fermeture de la base et aux passations de pouvoirs aux autorités algériennes.
Par Larbi Benchiha
Cinéaste documentariste
Lien vidéo «Accords d’Evian»
https://youtu.be/kiygskPETlg