Même l’issue désespérée de fuir vers le sud de l’enclave palestinienne ne se passe pas sans risques pour les centaines de milliers de civils accablés par une longue semaine de bombardements acharnés.
Insensibles aux appels de l’ONU, aux condamnations de plusieurs dirigeants non occidentaux et aux alertes des organisations humanitaires, les porte-parole de l’armée israélienne ont réitéré hier l’ultimatum sommant la population du nord de la bande de Ghaza d’évacuer en masse vers le sud.
Des dizaines de milliers de Palestiniens habitant cette région martyre étaient déjà en quête éperdue de lieux de refuge depuis le début du déchaînement de la violence aveugle de la machine de guerre israélienne, et le mouvement s’est accentué les dernières 48 heures sous la menace explicite d’une opération militaire punitive, une offensive terrestre probablement, ciblant le territoire du nord.
Un «créneau» compris entre 10h et 16h a été ainsi proposé aux Ghazaouis. Mais même cette issue désespérée ne se passe pas sans risques pour les centaines de milliers de civils accablés. Des images diffusées hier par la chaîne Al Jazeera ont montré des Palestiniens qui ont obtempéré à l’ordre d’évacuation et qui ont quand même été ciblés par des tirs de l’armée israélienne.
Les porte-parole du Hamas affirment que près de 70 Palestiniens sur les routes de l’exode ont péri sous les tirs israéliens. L’Onu avait estimé à plus de 400 000 le nombre de Ghazaouis déplacés en interne depuis le déchaînement des raids sur Ghaza, alors que l’Unicef avait, vendredi dernier, alerté sur le fait que prés d’un million d’habitants étaient exposés sans aucune possibilité de fuite ou de «lieux sûrs» aux raids israéliens.
En somme, la volonté de Tel-Aviv de vider le territoire de Ghaza d’une partie de sa population semble de plus en plus centrale dans les nouvelles visées israéliennes. Elias Sanbar, écrivain palestinien de renom cité hier par Mediapart, analyse que «Benyamin Netanyahu souhaite, en coordination avec Washington, convaincre l’Egypte d’ouvrir sa frontière avec Ghaza en vue d’un ‘‘sauvetage des civils’’. Sous cette appellation humanitaire, git la volonté de vider Ghaza de son peuple».
Morgues débordées, camions frigorifiques pour les morts…
Les exactions se poursuivent couvertes par un soutien occidental qui atteint le seuil de la complicité assumée. Le directeur d’un hôpital à Ghaza a émis un véritable SOS, dans la journée d’hier, après avoir reçu l’ultimatum d’évacuer le personnel et les 150 malades et blessés pris en charge par l’établissement. D’autres structures de santé ont dû se rabattre sur des camions frigorifiques pour la conservation des dépouilles en attendant leur mise en terre, faute de place dans les morgues.
Cibler les civils, pour une punition collective, les personnels hospitaliers… des cas parmi tant d’autres qui s’ajoutent à la très longue liste des atrocités et des atteintes aux lois de la guerre et au droit international humanitaire (DIH) que Tel-Aviv foule aux pieds avec ostentation depuis le début des hostilités. Selon le ministère palestinien de la Santé, le bilan des victimes a dépassé hier dans la matinée les 2200 morts, dont un tiers d’enfants, et approche les 9000 blessés.
La vindicte répressive israélienne a part ailleurs tué plus de 54 Palestiniens et fait plus de 1000 blessés en Cisjordanie depuis une semaine. Pour leur part, les porte-parole du Hamas ont annoncé, hier, la mort de 11 otages, parmi les près de 150 présumés détenus par le mouvement, durant les dernières 24 heures.
Alors que les Etats-Unis et le bloc occidental continuent à afficher un alignement sans nuances derrière le gouvernement Netanyahu et son «droit à se défendre», quitte à faire l’impasse sur les seuils d’horreur commis par Tsahal, des voix s’élèvent pour réclamer un cessez-le-feu immédiat, et à tout le moins l’ouverture de couloirs humanitaires pour éviter le génocide à la population.
Qui va arrêter le massacre ?
Après les appels décidément inaudibles du secrétaire général de l’Onu, dont le staff et les agences ont dès les premiers jours averti contre les conséquences désastreuses de l’expédition punitive israélienne sur les civils, ceux mitigés de la plupart des dirigeants arabes et de la Turquie, la Russie de Vladimir Poutine est la première «puissance» à lancer une initiative diplomatique visant à desserrer l’étau sur l’enclave palestinienne.
Un projet de résolution portant arrêt immédiat des hostilités a été distribué par les diplomates russes avant-hier lors d’une séance à huis clos du Conseil de sécurité de l’ONU et consacré à l’escalade en terres palestiniennes. Selon l’agence de presse Reuters, le projet dénonce la violence contre les civils et appelle à la libération de tous les otages détenus par la résistance palestinienne.
Vladimir Poutine a déclaré avant-hier que Moscou était prête à faire la médiation entre les deux parties en conflit, avertissant contre les effets désastreux d’une opération terrestre qui ne ferait qu’aggraver le sort des populations sur place. Une initiative que le mouvement Hamas accueille favorablement, en suggérant sa disposition à s’inscrire dans un processus de médiation visant à lever le siège sur Ghaza.
Pour sa part, l’Arabie Saoudite a annoncé hier suspendre les négociations sur une éventuelle normalisation de ses relations avec Israël. Un processus que l’on disait fort avancé avant les assauts des brigades d’El Qassam le 7 octobre contre des cibles israéliennes et le déchaînement de l’enfer israélien sur Ghaza. Il était évident que le rapprochement israélo-saoudien, même parrainé par les Américains, allait être l’une des victimes collatérales de l’escalade subite en territoires palestiniens.
Le prince héritier MBS, qui a tenté ces derniers jours, sans succès, d’arracher des accords sur des trêves et couloirs humanitaires à Ghaza auprès de ses partenaires américains, ne pouvait pas prendre le risque, plus longtemps, de ne pas se déterminer sur la suite du processus avec Tel-Aviv, sous peine de voir sa cote de popularité subir une chute dangereuse pour ses lendemains de souverain.