Le vendredi 20 septembre 1996, la nouvelle de l’assassinat du chanteur Cheb Aziz avait fait le tour de la ville de Constantine. Elle s’est propagée dans plusieurs autres villes comme Skikda et Sétif, où le défunt comptait de nombreux amis. Aziz était l’une des figures populaires de la chanson algérienne dans les années 1990.
Cette fin tragique survenue à l’occasion d’une fête de mariage dans un quartier situé sur les hauteurs de la ville de Constantine avait mis en émoi son entourage, ses amis au quartier de l’Emir Abdelkader (ex-Faubourg Lamy) et au sein de toute la population constantinoise.
Contacté par El Watan, son ami d’enfance, Hassan Gheddab, dit Sammoura, était la seule personne à avoir accepté d’apporter son témoignage. Il se rappelle jusqu’à ce jour des moindres détails de cette nuit macabre. «C’était dans la journée du jeudi 19 septembre 1996, Aziz avait été invité à une fête de mariage par un ami de longue date, habitant le site de Carrière Gance, non loin de son quartier de Faubourg Lamy. Aziz m’avait demandé de l’accompagner ; je lui avais conseillé de ne pas y aller. C’était trop dangereux», a révélé Sammoura à El Watan.
Aziz s’est déplacé quand même, malgré les mises en garde de ses amis. «Il n’était pas allé pour chanter comme cela a été évoqué dans certains articles de presse de l’époque», a rappelé Hassan Gheddab. «Dans la soirée, vers 23h, au moment où il dînait, Aziz avait été approché par deux personnes, qui avaient demandé à lui parler. Il avait accepté de les suivre. J’avais appris par la suite auprès de certains témoins que deux autres personnes l’attendaient dehors.
Les quatre avaient emmené Aziz avec une autre personne vers une destination inconnue», a ajouté notre interlocuteur. «J’étais en déplacement à Batna. J’avais appris la triste nouvelle à mon retour le lendemain», se rappelle-t-il.
Tôt dans la matinée du vendredi 20 septembre 1996, le corps d’Aziz, qui portait les traces de balles et de mutilations, avait été retrouvé par un agent de l’Algérienne des eaux (ADE), sur un regard d’égout situé à environ 200 m du siège de la 12e sûreté urbaine, ouvert quelques mois auparavant sur le boulevard de Djebel Ouahch. Avec son ancien ami Sammoura, El Watan est revenu sur les lieux du drame. Un site accidenté, d’accès difficile situé sur une descente entre le lieudit Carrière Gance et Fedj Errih.
Ces deux sites qui abritaient deux bidonvilles éradiqués se trouvaient non loin de la cité Emir Abdelkader. Aziz aurait été emmené de Carrière Gance vers une forêt située en contrebas de Fedj Errih, où il aurait été abattu. Son corps aurait été traîné par terre sur plusieurs centaines de mètres jusqu’au lieu où il avait été retrouvé. Une foule impressionnante avait accompagné la dépouille d’Aziz, dans la triste journée du samedi 21 septembre 1996, vers sa dernière demeure au cimetière de Djebel Ouahch.
Un garçon aux qualités humaines
De son vrai nom Bechiri Boudjemaâ, Aziz est né le 25 janvier 1968 dans une maison située à la rue Terki Youcef, dans le quartier de l’Emir Abdelkader, plus connu par Faubourg Lamy. Cette maison se trouve en contrebas de la station du téléphérique. Aziz est le cinquième enfant d’une famille nombreuse, modeste et conservatrice. Selon tous ceux qui l’ont connu, il était un garçon calme, timide, discret, pas trop bavard, mais surtout bien éduqué et très apprécié par ses voisins. Après avoir passé son enfance et sa jeunesse dans ce lieu, sa famille déménage vers Djebel Ouahch.
Il est inscrit à l’école primaire Ibn Toufayl dans son quartier de l’Emir Abdelkader, avant de rejoindre le CEM Ben Badis, puis le lycée Redha Houhou.
Durant cette période, il s’est distingué dans l’animation des fêtes scolaires qui ont révélé ses talents de chanteur. «Il avait une forte passion pour le chant, mais il avait surtout un don et une belle voix», évoque son ami Sammoura, qui rappelle ses débuts artistiques avec Aziz à la fin des années 1980. «Nous avions formé notre premier groupe amateur à Faubourg Lamy ; nous faisions les répétitions avec des instruments rudimentaires sur le terrain Tennoudji, moi je jouais à la derbouka, puis nous avions commencé à animer les fêtes de mariage avec des moyens vraiment modestes», a-t-il révélé.
Après ces débuts, le jeune chanteur fera des émules quelques années plus tard. Tous ceux qui l’on côtoyé reconnaissaient ses qualités humaines. Il chantait gratuitement dans les fêtes de mariage. Il avait même aidé de nombreuses personnes dans le besoin. On l’appelait le chanteur des pauvres ou le prince des chômeurs. «Aziz était d’une grande générosité, aimé par tous et partout, un vrai artiste qui n’avait jamais pensé à amasser de l’argent ou faire fortune. Il lui est arrivé de donner de l’argent à des nécessiteux, alors qu’il n’avait même pas de quoi payer les frais de transport pour rentrer chez lui», a témoigné Hassan Gheddab.
Un artiste populaire
Aziz avait fait sa popularité en animant les fêtes de mariage dans la ville de Constantine. Il était sollicité partout. Il n’hésitait pas à répondre à toutes les demandes. D’ailleurs, c’était lors d’une fête de mariage à la cité Sakiet Sidi Youcef (ex-La Bum) dans la banlieue nord de la ville de Constantine que des invités venus de Skikda l’avaient remarqué et invité à animer des fêtes dans leur ville.
Ce sera le début d’une longue histoire d’amour avec cette ville où Aziz sera adopté comme un enfant chéri. Depuis, il n’avait jamais cessé d’y faire des va-et-vient jusqu’aux derniers jours de sa vie. Comme pour tout artiste amateur, les débuts de Cheb Aziz avaient été très difficiles. Ses deux premières cassettes enregistrées chez un éditeur à Batna n’avaient pas eu le succès attendu. Il a fallu attendre le début des années 1990, pour voir Aziz percer avec une chanson qui aura un énorme succès : Lehwa oua drara.
C’est en interprétant en arabe le style chaoui, auquel il donnera un nouveau cachet et une nouvelle portée qu’il fera long feu. Il avait réussi à populariser et faire apprécier ce genre musical auprès du public algérien, alors qu’il était limité dans certaines régions de l’Est algérien. Le succès suivra en 1993 avec la chanson El Mesrara, qui a décroché le premier prix de la chanson maghrébine. Aziz passe à la radio et à la télévision. Le grand public le découvre grâce aux émissions télévisées Layali El Djazaïr et Bled Music, animées par Djallal Chandali. Il avait commencé à se frayer un chemin dans un espace musical dominé par les vedettes du raï. Mais son plus grand boom a été incontestablement le clip Yal Djemala qui avait crevé l’écran.
Les tubes se suivent et les succès aussi. On citera parmi ses plus célèbres chansons Aynik mlah, Yama lgued lgued, Lala Nouara, Ya babouret Rouhi Beslama que le public avait aimées et adoptéew. Parallèlement à une expérience dans le film Le château des vampires, du réalisateur Ali Aïssaoui, Aziz enchaîne les succès avec les titres Ghzali, Choufou Ya ness, Bent bladi, Narek ya bounarine.
Il a puisé du répertoire chaoui, mais il a chanté aussi les genres sraoui, moderne et constantinois. Durant sa courte carrière (une dizaine d’années), il avait rivalisé avec les grands artistes et s’est fait une place à une époque marquée par une rude concurrence. Il avait offert à son public des moments de bonheur inoubliables, en chantant l’amour, la fraternité, la tolérance et l’espoir, malgré la menace terroriste.
Aziz était parti à l’âge de 28 ans au moment où il était en pleine ascension. Il aurait pu faire une grande carrière, mais le destin en a décidé autrement. Il avait été le troisième chanteur assassiné en Algérie par les groupes armés intégristes, après Cheb Hasni (né la même année que Aziz), vedette du raï, tué à Oran en septembre 1994, suivi par Rachid Baba Ahmed, chanteur et producteur de musique raï, qui a connu le même sort le 15 février 1995.
Pour tout ce qu’il avait fait, Cheb Aziz restera vivant dans les esprits de tous ses fans qui adoraient ses chansons, ses amis et tous ceux qui l’avaient connu en cette dure époque de la décennie noire, et qui continuent de le porter dans leur cœur.