Encore une autre nuit d’horreur, la 39e, à Ghaza, plus particulièrement à l’hôpital Al Shifa, l’un des plus importants établissements hospitaliers, qui abrite environ 650 malades, dont une centaine en soins intensifs, en plus d’environ 500 membres du personnel médical et 4 à 5000 enfants, femmes et personnes âgées déplacés, dans des conditions catastrophiques après une panne de courant due à l’épuisement du carburant.
Les systèmes d’oxygène, les réservoirs d’eau, la maternité ou encore l’unité cardiovasculaire ont été endommagés et mis hors service, par les bombardements durant près de six jours de siège. Tout la nuit, des appels de détresse sont lancés par le personnel médical, les malades et le responsable du complexe hospitalier, à travers les réseaux sociaux.
Les images et les vidéos postées montrent des situations désastreuses où de nombreux cadavres de malades décédés sont entassés dans une des cours de l’hôpital, alors que des dizaines de nouveau-nés prématurés privés de couveuses sont en souffrance respiratoire, des familles de malades et des déplacés font le va-et-vient, sous les bruits assourdissants des bombardements. Dehors, une trentaine de chars et de bulldozer s’apprêtent à donner l’assaut. Avec des hauts parleurs, l’armée d’occupation exige des occupants de se rendre les mains levées et de rejoindre la cour intérieure sur fond de tirs nourris.
Le personnel médical refuse de laisser les malades seuls. Il s’affaire à creuser une fosse pour enterrer la centaine de morts n’ayant pas pu être inhumés à cause des bombardements. Les premières images et vidéos diffusées par des chaînes de télévision et sur les réseaux sociaux montrent des scènes terrifiantes de tirs de roquettes aux alentours de l’hôpital, où des corps de femmes, d’enfants et d’adultes jonchent les rues.
Le directeur de la santé de Ghaza déclare à la chaîne qatarie Al Jazeera, que cet assaut «vise à faire pression sur les médecins qui refusent de laisser les malades». Les premiers bâtiments occupés par l’armée israélienne sont ceux des services de chirurgie et d’urgence, où s’est retranchée une bonne partie du personnel médical et des malades. A ce moment, la porte-parole du Pentagone justifie l’attaque.
Elle affirme que l’hôpital est utilisé par le Hamas et le Jihad islamique. La déclaration s’apparente à une carte blanche donnée à l’armée d’occupation pour franchir la ligne rouge. Du jamais-vu ! La situation s’enlise à l’intérieur du complexe médical. Les appels à la reddition sur fond de tirs d’armes à feu provoque la panique chez de nombreux déplacés et de malades. Le personnel médical prend attache avec le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) et l’exhorte à réagir pour s’assurer que les centaines de personnes se trouvant dans l’enceinte de l’hôpital ne soient pas ciblées.
Dans une déclaration à Al Jazeera, la ministre palestinienne de la Santé, Mai Al Kaila, tient «les forces d’occupation entièrement responsables de la vie du personnel médical, des patients et des personnes déplacées dans le complexe» et «met en garde contre les conséquences catastrophiques pour les patients et le personnel médical en cas de raid» de l’armée d’occupation sur l’hôpital.
Le département des droits de l’homme à l’Organisation de libération de Palestine (OLP) qualifie l’assaut de «poursuite de la guerre de génocide commis contre les civils palestiniens à Ghaza et en Cisjordanie» tout en appelant «la société civile active du monde à intervenir immédiatement pour mettre fin à cette agression continue contre notre peuple palestinien et pour arrêter la guerre de génocide contre les enfants et les femmes de Palestine».
En réponse à ses appels, le porte-parole de l’armée israélienne déclare à la chaîne américaine CNN : «Nous entrons à l’hôpital Al Shifa avec une mission, peut-être à l’endroit où nous vaincrions Hamas et libérerons les otages.»
«Aucun État ne nous a fait pression pour arrêter !»
Sur les ondes de la radio de l’armée sioniste, un responsable précise : «L’opération menée à l’hôpital Al Shifa s’élargira selon les besoins. Les pressions que nous subissons viennent plus des médias. Aucun Etat ne nous fait pression pour arrêter.» Au complexe médical, les militaires sont déjà à l’intérieur et entament l’interrogatoire avec le personnel médical, alors que les tirs n’ont pas cessé. De la fumée, de la poussière rendent l’air irrespirable, selon le correspondant de l’agence de presse palestinienne Wafa. Les téléphones des familles des déplacés et des malades sont confisqués. Les premiers groupes de malades sont évacués vers l’extérieur.
Le chef de service des brûlés de l’hôpital Al Shifa accuse le CICR de «collusion» avec l’entité sioniste, pour n’avoir pas empêché l’attaque contre l’établissement, en disant «qu’il n’y a rien qui justifie la présence des otages à l’intérieur des bâtiments».
Le bloc opératoire, le service de médecine interne, celui de néphrologie et la réception sont envahis par les militaires puissamment armés, alors que des bombardements des sous-sols font vibrer les murs, éclater les vitres et voler des portes et des équipements médicaux. Toutes les salles sont fouillées. Pendant ce temps, les coups de feu ne se sont pas arrêtés.
Des dizaines de déplacés et des membres du personnel médical sont transférés dans l’arrière-cour de l’hôpital pour être interrogés, sous la surveillance de tireurs d’élite postés sur les toits des bâtiments. Selon des témoignages-vidéos et vocaux diffusés sur les réseaux sociaux par de nombreux médecins, les tirs ne proviennent que des soldats de l’armée d’occupation.
Réagissant à son tour, l’ONG Médecins sans frontières (MSF) déclare que les tirs ont touché trois de ses locaux, qui hébergent ses équipes médicales et leurs familles, soit «plus de 65 enfants qui n’ont plus de nourriture depuis plus de 24 heures». Le chef de service des brûlés évoque, sur la chaîne Al Jazeera, des tirs d’obus et de balles aux alentours et à l’intérieur de l’hôpital dans le but de semer la terreur parmi les patients et les personnes déplacées.
Après des heures de terreur, la radio de l’armée d’occupation annonce : «Pas d’informations sur la présence d’otages à l’hôpital Al Shifa, l’opération de recherche se poursuit, aucun blessé dans nos rangs.» Pendant ce temps, l’hôpital s’est transformé en véritable caserne et les malades maintenus dehors dans des conditions désastreuses. Ni armes ni otages ne sont trouvés dans l’enceinte de l’établissement. Les Américains, par la voix du porte-parole du Conseil de sécurité nationale de la Maison-Blanche, reviennent sur leurs affirmations.
Dans une déclaration faite hier à l’AFP, un responsable affirme : «Nous ne soutenons pas des frappes aériennes contre un hôpital et nous ne voulons pas voir d’échanges de tirs dans un hôpital où des personnes innocentes, démunies, malades cherchant à recevoir des soins, sont prises entre deux feux. Les hôpitaux et les patients doivent être protégés.» Cependant, le Premier ministre israélien, Benyamin Netanyahu, dans un message à son armée, s’est contenté de dire : «On nous avait demandé de ne pas pénétrer dans Ghaza ? Eh bien, nous y sommes quand même entrés.
On nous a dit que nous n’arriverions pas à l’entrée de la ville de Ghaza, nous y sommes arrivés. On nous a dit que nous ne pourrions pas entrer dans l’hôpital Al Shifa, nous y sommes !» L’attaque contre l’hôpital de Ghaza, qui a horrifié le secrétaire général des Nations unis, Antonio Guterres, n’était pour le chef du gouvernement de l’entité sioniste qu’un défi relevé au prix de nombreuses victimes civiles, principalement des malades, des enfants et des femmes, sans défense.
Le chef des Affaires humanitaires de l’ONU, Martin Griffiths, a demandé hier que «le carnage à Ghaza» cesse. Le crime est dénoncé par l’Autorité palestinienne, mais aussi par la Jordanie, qui a fustigé «le silence» du Conseil de sécurité de l’ONU qui autorise «la barbarie et couvre des crimes de guerre», avant d’appeler à une «intervention internationale pour protéger les civils».
Durant la journée d’hier, l’armée d’occupation poursuivait toujours les bombardements ciblant Ghaza, faisant des dizaines de morts parmi les civils. L’horreur n’en finit pas. Elle se nourrit de la complicité, de la passivité et du silence des gouvernements qui dirigent le monde. En début de soirée, les forces d’occupation «s’étaient retranchées dans les étages inférieurs du complexe d’Al Shifa et utilisaient des membres du personnel médical et des déplacés comme boucliers humains», annonce dans un flash info le ministère de la Santé à Ghaza.
L’ONU demande que «le carnage à Ghaza» cesse
Le chef des Affaires humanitaires de l’ONU, Martin Griffiths, a demandé hier que «le carnage à Ghaza» cesse, dans ce territoire assiégé et bombardé par Israël. «Alors que le carnage à Ghaza atteint chaque jour de nouveaux niveaux d’horreur, le monde continue d’être sous le choc, alors que des hôpitaux sont la cible de tirs, que des bébés prématurés meurent et qu’une population entière est privée de moyens essentiels de subsistance», a déclaré M. Griffiths dans un communiqué. «Cela ne peut pas continuer», a-t-il affirmé, avant de présenter un plan en dix points visant à faciliter et soutenir l’aide humanitaire à Ghaza. Il demande, par ailleurs, aux belligérants de «respecter le droit humanitaire international, d’accepter un cessez-le-feu humanitaire et de mettre fin aux combats». M. Griffiths demande aux parties, ainsi qu’à tous ceux qui ont une influence sur elles et à la communauté internationale dans son ensemble, «de faire tout ce qui est en leur pouvoir» pour mettre en œuvre son plan humanitaire en dix points. Le haut responsable onusien leur demande de faciliter l’acheminement de l’aide dans toute la Bande de Ghaza, d’ouvrir des points de passage supplémentaires pour l’aide mais aussi pour les «camions commerciaux», y compris à Kerem Shalom et d’autoriser les livraisons de carburant pour permettre le transport de l’aide. Il souhaite aussi une augmentation des «lieux sûrs» pour les personnes déplacées dans Ghaza notamment dans les écoles, une amélioration du système de notifications sur les combats afin d’épargner les civils et la mise en place de centres de distribution de l’aide. Enfin, il demande que les civils puissent se rendre dans des zones plus sûres, le financement de la réponse humanitaire, qui s’élève actuellement à 1,2 milliard de dollars, et la mise en œuvre d’un cessez-le -feu humanitaire pour permettre le redémarrage des services et du commerce de base. «Le monde doit agir avant qu’il ne soit trop tard», a-t-il conclu. R.I