Guerre contre Ghaza : Le forcing intéressé de Washington

10/01/2024 mis à jour: 03:18
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Le président turc, Recep Tayyip Erdogan, recevant le secrétaire d’Etat américain, Antony Blinken - Photo : D. R.

Joe Biden aura clôturé sa première mandature à la Maison-Blanche sur une implication directe et inédite dans un conflit armé au Moyen-Orient, marquée par un soutien militaire et diplomatique sans précédent à Tel-Aviv.

C’est un fait avec lequel Joe Biden apprend à composer : avant-hier, lors d’une cérémonie commémorative dans une église à Charleston, en Caroline du Sud, le président américain a vu sa prise de parole interrompue par des appels à imposer le cessez-le-feu à Ghaza.

L’incident, vite étouffé par d’autres appels à la reconduction de l’homme à la tête de la Maison-Blanche pour un nouveau mandat, illustre le climat dans lequel Washington s’apprête a vivre les dix mois avant l’élection présidentielle, hautement décisive pour le pays, mais aussi pour la géopolitique mondiale, le 5 novembre prochain.

Joe Biden aura donc clôturé l’avant-dernière année de sa mandature à la Maison-Blanche sur une implication directe, voire inédite, dans un conflit au Moyen-Orient, marquée par un soutien militaire et diplomatique sans précédent à Tel-Aviv.

L’engagement de l’administration américaine a dérogé à une règle que Washington s’est promis d’observer depuis plus d’une décennie : recentrer sa politique sur l’interne et ne plus retomber dans les travers désastreux que lui a coûté l’interventionnisme politico-militaire en Afghanistan et en Irak notamment.

Il est évident que les penchants personnels assumés de Biden pour Israël et l’onde de choc du séisme provoqué par les attaques du Hamas, le 7 octobre dernier, ont pesé dans la balance pour revoir des porte-avions américains se redéployer dans la région, et des officiers et diplomates de haut rang participer à la décision opérationnelle à Tel-Aviv et lui assurer la couverture internationale dans le contexte de la guerre qui dure depuis trois mois.

Mauvais calculs politiques ou impératif de force majeure, l’engagement américain, aussi bien dans la forme que dans son contenu, a soulevé des vagues jusque dans des segments influents de l’establishment et provoqué une érosion continue dans les réservoirs électoraux des démocrates.

Faute de mieux, ces derniers misent sur l’octogénaire Biden pour ne pas devoir passer la main aux républicains à la Maison-Blanche dans 10 mois. Dix courts mois à l’échelle des enjeux politiques qui se présentent au States, d’autant plus déterminants que la candidature de Donald Trump dans le camp adverse est vécue comme une menace pour la stabilité et la démocratie dans le pays.

La hantise d’un conflit étendu

L’administration américaine actuelle a donc tout intérêt à voir retomber au plus vite la vive tension au Moyen-Orient et désamorcer le potentiel d’extension du conflit, pour pouvoir se concentrer sur la course à la Maison-Blanche et ses fracas annoncés.

Et pour enfin permettre à Biden d’animer ses meetings sans le risque de se faire chahuter par les militants pacifistes, de plus en plus nombreux et bruyants. Le chaos d’une déflagration régionale au-delà des frontières actuelles de la guerre, impliquant l’Iran, le Liban ou le Yémen serait un véritable cauchemar pour Washington durant l’année électorale qui commence.

«C’est un moment de profonde tension dans la région. C’est un conflit qui pourrait aisément métastaser, causant encore plus d’insécurité et plus de souffrances», a notamment averti le secrétaire d’Etat américain lors d’une conférence de presse animée conjointement avec le Premier ministre qatari, Mohammed Ben Abderrahmane Al Thani.

Anthony Blinken effectue depuis quelques jours sa quatrième visite au Moyen-Orient depuis le début du conflit, avec cette fois, la mission première de contenir le risque d’un embrasement dans la région, et l’objectif passe obligatoirement par un changement rapide de la donne à Ghaza.

Les deux précédentes tournées du diplomate, centrées sur des appels à des trêves humanitaires et la prise de «mesures concrètes» par l’armée israélienne pour la protection des civils palestiniens, ont plus procédé du management de crise et des opérations RP (relations publiques) que de la diplomatie proprement dite.

Elles ne visaient concrètement que des effets médiatiques censés nuancer l’appréciation fortement négative, dans l’opinion internationale, du soutien américain au gouvernement criminel de Tel-Aviv.

Après le soutien tapageur accordé à l’Etat hébreu durant les premières semaines du conflit, Washington a dû se rendre à l’évidence que la folie meurtrière de Netanyahu et de son gouvernement ne peuvent pas laisser l’opinion internationale indifférente.

L’indignation dans le monde est allée crescendo, débordant jusque dans les universités et le mouvement social américains, avec des répliques de plus en plus réelles dans la sphère politique.

Il a fallu donc rectifier le discours et afficher de la distance avec Israël, même si dans les faits Washington a continué à veiller à la neutralisation du Conseil de sécurité de l’ONU, par un recours systématique au veto à chaque évocation du cessez-le-feu, et à acheminer des aides militaires et financières conséquentes à Tel-Aviv.

... Et on reparle de «Normalisation»

La Jordanie, le Qatar, les Emirats arabes unis et l’Arabie Saoudite sont les pays arabes concernés par le périple de Blinken, et il semble que la tournée va au-delà de son objet déclaré : à en croire les déclarations du diplomate en chef de la Maison-Blanche, les dirigeants arabes avec lesquels il s’est entretenu sont disposés à coopérer avec les Etats-Unis pour contribuer à la reconstruction et à la stabilisation de la Bande de Ghaza.

Bien plus, il affirme que l’état d’esprit de certains d’entre eux redevient favorable à l’établissement de relations «normalisées» avec Israël.

L’Arabie Saoudite, qui avait suspendu des négociations avec Tel-Aviv sur une éventuelle normalisation diplomatique une semaine après le début des raids meurtriers sur Ghaza, afficherait un «intérêt clair» aujourd’hui à renouer les pourparlers, selon les déclarations du même Blinken à l’issue d’une entrevue avant-hier avec le vrai maître de Riyad, le prince héritier Mohammed Ben Salmane.

Que s’est-il donc passé et qu’a donc promis Washington à ses interlocuteurs arabes dans la région pour que la tension générée par la guerre contre Ghaza puisse refluer au point de rouvrir des discussions sur la normalisation ?

On n’en sait pas grand-chose à l’heure actuelle, même s’il est manifeste que l’ensemble du voisinage arabe dans la région voudrait voir se clore au plus vite cette parenthèse explosive de guerre, quitte à aller très loin dans les concessions.

C’est en tout cas avec cette main tendue arabe que le diplomate américain s’est rendu hier à Tel-Aviv, où il doit convaincre le gouvernement Netanyahu, son cabinet de guerre élargi notamment, de la nécessité stratégique de passer à la «troisième phase» de l’opération militaire : des actions plus ciblées et un retrait des troupes vers la frontière de l’enclave palestinienne.

Il y a quelques jours, le gouvernement de l'entité sioniste avait mis sur la table un plan de gestion pour l’après-guerre axé sur la constitution d’une administration civile palestinienne «non hostile», excluant de fait donc l’Autorité palestinienne, et le maintien d’un contrôle militaire hébreu sur les territoires de Ghaza.

Ce plan, qui paraît plus participer d’une tactique de négociation, ne recueille pas l’aval de l’administration Biden qui, elle, plaide pour une implication de l’Autorité palestinienne et des partenaires arabes dans l’après-guerre. 


 

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