Réunion à distance du bureau du parlement tunisien. Examen prévu de l’annulation des mesures exceptionnelles. Ghannouchi a mis huit mois pour riposter contre le coup de force de Saïed. Interrogations sur les tenants et les aboutissants d’un tel choix.
Longtemps confiné et prudent, Rached Ghannouchi, le président gelé de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP), a surgi lundi 28 mars 2022, pour annoncer avoir tenu, le jour-même, une réunion du bureau de l’ARP.
Lequel bureau a appelé à deux assemblées plénières à distance, les mercredi 30 mars et samedi 2 avril, pour examiner des projets de lois, dont l’un porte sur l’annulation des mesures exceptionnelles décrétées le 25 juillet 2021 par le président de la République. C’est la 1re fois, depuis le coup de force du président Saïed, que l’ARP décide de riposter.
Qu’est-ce qui a poussé Ghannouchi à faire une telle démarche ? L’Assemblée des représentants du peuple (ARP), gelée par les mesures exceptionnelles du 25 juillet 2021, est quasiment absente dans le paysage politique.
Les activités de «citoyens contre le putsch», groupe politique hétéroclite formé après le 25 juillet, animé par l’universitaire Jawher Ben Mbarek, se sont réduites à des réunions dans les cafés. Plus de marches, ni de rassemblements comme lors des premières semaines. Les ténors ne sont plus aussi prisés sur les plateaux télévisés et les émissions des radios.
Pourtant, les lignes éditoriales de la majorité des médias ont gardé leur opposition au président Saïed. Ce sont plutôt ces visages, associés à l’échec d’une décennie, que les éditorialistes ont fini par comprendre qu’ils ne drainent plus l’audimat, ni les téléspectateurs. La rue rejette la classe politique et cette ARP et la considère à l’origine de la crise.
Il est toutefois vrai que, si un tel rejet est consommé sur le plan local, la majorité des diplomates internationaux continue à considérer l’ARP comme légitime. «Les chancelleries étrangères et leurs schémas figés de la démocratie ne vibrent pas au même rythme que l’état des lieux en Tunisie», reconnaît incognito un ambassadeur. Le porte-parole gelé de l’ARP, l’islamiste Meher Medhioub, continue à représenter le Parlement dans les instances internationales.
Laquelle reconnaissance internationale a ressuscité les députés locaux. «Ils ne peuvent pas continuer à nous défendre, si nous jetons l’éponge», admet le député gelé Walid Jalled, de Tahya Tounes, dans une réunion privée. «La communauté internationale surfe d’habitude au rythme des légaux s’ils se manifestent», ajoute-t-il. Et c’est ainsi qu’est venue l’idée de cette plénière à distance et de ce projet de loi pour annuler les mesures exceptionnelles du 25 Juillet.
Bouleversements
Les islamistes d’Ennahdha, majoritaires au bureau de l’ARP, ont pu donc rallier les deux vice-présidents, Samira Chaouachi et Tarek Fetiti, acquis tous les deux à la cause de Ghannouchi, ainsi que Soufiane Toubal (Qalb Tounes) et Abdellatif Aloui (Qarama), pour obtenir le quorum nécessaire à la tenue de la réunion du bureau. Trois autres vice-présidents appartiennent à Ennahdha.
Huit membres du bureau étaient présents à cette réunion virtuelle, alors que cinq étaient absents. Il s’agit de Mabrouk Kourchid, Abir Moussi, Hafedh Zouari, Khaled Krichi et Samia Abbou. Les groupes politiques représentés ne constituent pas la majorité de l’ARP, surtout si l’on constate que 10 députés sont démissionnaires du bloc d’Ennahdha.
Les islamistes ne disposent plus que de 42 députés, Qalb Tounes de 28 et Al Qarama de 18. Si tout le monde sera présent, acte réalisé en présentiel, ils seraient 88 députés. Toutefois, comme l’a dit Jawher Ben Mbarek, « cette dynamique est, en elle-même, une réussite pour les légaux».
La centrale syndicale UGTT n’a jamais caché son opposition à la mainmise du président Saïed sur toutes les institutions du pays. Néanmoins, son Secrétaire général, Noureddine Taboubi, a pris ses distances par rapport à cette tentative de ressusciter l’ARP. «L’UGTT est contre le retour à l’avant 25 Juillet», a-t-il clairement dit, avant-hier, sur Mosaïque Fm.
«Nous appelons toutefois le président Saïed à un Dialogue national, ouvert aux organisations nationales, pour sauver le pays», a-t-il ajouté. Pour sa part, le député gelé du parti Chaâb, Haykel Mekki, s’est dit opposé au retour à l’avant 25 juillet, accusant les manipulateurs d’un tel stratagème d’être «au service de l’étranger et de vouloir plonger la Tunisie dans le chaos à l’instar de la Libye».
Il est clair, selon plusieurs observateurs sur place à Tunis, que cette plénière à distance est un message adressé à l’étranger pour dire que les parlementaires élus tunisiens n’ont pas abdiqué.