Le conflit au Moyen-Orient prend une nouvelle dimension avec les frappes américano-britanniques menées contre des cibles houthies au Yémen, dans la nuit de jeudi à hier. Jusqu’ici, les Etats-Unis et leurs proches alliés, engagés solidairement dans un soutien inconditionnel à Israël dans sa guerre contre la Bande de Ghaza, avaient tout entrepris pour éviter un tel scénario, mais il est évident que la détermination des Houthis, jouissant de l’appui de Téhéran, a compté dans l’équation, brouillé les calculs de l’engagement occidental dans la région et eu raison de la réserve stratégique de Washington et son escorte de partenaires.
Des sites militaires dans des villes contrôlées par le mouvement Ansar Allah, nom officiel de l’organisation politique des Houthis, et identifiés comme étant les plateformes de lancement des attaques contre des objectifs maritimes en mer Rouge, ont été pris pour cibles par des avions de combat britanniques et des tirs de missiles américains, notamment dans la capitale Sanaa et les gouvernorats d’Al Hodeïda, Taïz, Hajjah et Saada.
Le porte-parole militaire du mouvement yéménite évoque un ensemble de 73 raids ayant fait 5 morts parmi les troupes houthies. «Notre pays fait face à une attaque massive par des navires américains et britanniques, des sous-marins et des avions», a réagi le vice-ministre des Affaires étrangères de l’organisation yéménite, Hussein Al Ezzi. Prenant le relais du chef du mouvement, Abdel Malek El Houthi, qui, jeudi dernier, avait menacé par anticipation de «riposte importante» toute attaque américaine, le ministre ajoute que «les Etats-Unis et la Grande-Bretagne doivent se préparer à payer un prix fort et supporter les lourdes conséquences de cette agression».
Pour leur part, les coalisés avec Washington (Australie, Bahreïn, Canada, Danemark, Allemagne, Pays-Bas, Nouvelle-Zélande, Corée du Sud, Royaume-Uni) ont tenu à préciser, dans une déclaration commune, que les attaques se présentaient comme un mal nécessaire, se contentaient d’être défensives et visaient une désescalade de la tension dans la région.
Dans la foulée, Joe Biden, le président américain, a salué le «succès» de l’opération, insistant sur le fait que la riposte intervenait après des mises en garde adressées régulièrement au mouvement houthi et que le seul but de la réaction des coalisés restait la protection du commerce international. «Ces frappes ciblées sont un message clair que les Etats-Unis et nos partenaires ne toléreront pas les attaques sur nos troupes (et) ne permettront pas à des acteurs hostiles de mettre en danger la liberté de navigation», a menacé Joe Biden sur un ton qui tranche avec une certaine retenue observée jusqu’ici et soulignant le caractère délicat des opérations et leur timing problématique.
Le piège Bab el Mandeb
Ne voulant pas compromettre un processus de négociation de paix entre son allié l’Arabie Saoudite et le mouvement rebelle houthi, après des années de guerre sanglante, Washington a plutôt misé sur la dissuasion pour contenir le foyer yéménite. Mais la plus grande hantise consiste en une extension régionale du conflit au-delà du contexte palestinien, que signerait symboliquement et militairement une intervention US en terre yéménite.
La Maison-Blanche déploie en effet un effort diplomatique appuyé pour éviter un débordement du conflit et une implication militaire de mouvements soutenant la résistance du Hamas à Ghaza (Hezbollah au Sud Liban et mouvement Ansar Allah au Yémen, notamment) et pouvant compter sur l’appui de l’Iran. Ce fut au demeurant l’objet principal de la mission diplomatique du secrétaire d’Etat américain la semaine dernière dans la région.
La mise en place d’une coalition internationale, il y a un mois sous impulsion US, pour sécuriser les passages au détroit de Bab El Mandeb, n’a finalement pas eu l’effet dissuasif escompté sur l’audace guerrière houthie. Bien au contraire, la constance des attaques observée depuis près de deux mois, malgré les avertissements occidentaux et onusiens, s’est muée en une recrudescence.
La semaine dernière, un palier supérieur dans les attaques ciblant les navires suspectés de liens avec l’économie israélienne a été enclenché : alors que 18 drones et 3 missiles, lancés à partir des bases yéménites, ont été interceptés par l’armada américano-britannique stationnée dans les eaux de la région, jeudi un missile antinavire portant le sceau houthi a été par ailleurs abattu par le bouclier des coalisés. La nuit de la même journée, Rishi Sunak, le Premier ministre britannique, a réuni d’urgence son gouvernement pour avaliser une participation militaire de son pays aux frappes américaines contre Ansar Allah.
Inquiétudes et condamnations à l’international
Les réactions dans le monde ont suivi les contours qui marquent les degrés et la nature des implications dans la guerre contre Ghaza. Les alliés occidentaux d’Israël ont globalement salué les frappes, l’Union européenne a même choisi le contexte pour annoncer la tenue, à partir de la semaine prochaine, de discussions au niveau de ses instances autour de l’objectif de mettre en place une force navale européenne pour la sécurisation des voix maritimes en appui à la coalition militaire qui vient de frapper au Yémen.
Les deux grandes puissances que sont la Chine et la Fédération de Russie expriment, quant à elles, de grandes réserves ou de franches condamnations. Alors que Pékin se soit dit «préoccupé» par les conséquences des attaques, Moscou accuse le bloc occidental de persister dans son attitude de mépris à l’encontre du droit international. «Les frappes sur le Yémen sont un exemple du dédain total du droit international par les Anglo-Saxons au nom d’une escalade dans la région, de leurs objectifs destructeurs», dénonce la porte-parole du ministère russe des Affaires étrangères, Maria Zakharova.
L’Iran, régulièrement cité comme le commanditaire direct des actions des mouvements de résistance «islamistes» hostiles à Israël, dont les Houthis, a pour sa part condamné les frappes.
Le porte-parole du ministère iranien des Affaires étrangères, Nasser Kanani, dénonce une «action arbitraire» et une «atteinte à la souveraineté du Yémen». Le président turc, Recep Tayyip Erdogan, s’élève, de son côté, contre ce qu’il qualifie de riposte «disproportionnée». «Toutes ces actions constituent un usage disproportionné de la force (…).
L’Amérique et Israël utilisent cette même force disproportionnée contre les Palestiniens et les Britanniques marchent dans les pas des Etats-Unis. Ils cherchent à créer un bain de sang en mer Rouge», charge-t-il. Enfin le mouvement Hamas prévient, dans un communiqué diffusé hier, que les frappes américano-britanniques vont avoir des «répercussions» inévitables sur la sécurité régionale.