Vous avez certainement entendu parler des célèbres toiles de maîtres «Femmes d’Alger dans leur appartement», d’Eugène Delacroix (1834), et «Les Femmes d’Alger», de Pablo Picasso (1955). Mais connaissez-vous les autres «Femmes d’Alger», celles du peintre et graphiste algérien Mustapha Boutadjine ?
Je me suis évidemment inspiré et j’ai fait référence aux tableaux de Delacroix et de Picasso pour créer cette exposition de collage à l’occasion du 50e anniversaire de l’indépendance de l’Algérie. Eugène et Pablo ont fait les leurs, et là c’est Mustapha qui fait ses ‘Femmes d’Alger’. C’est tout à fait un autre style…», s’amuse-t-il à répondre quand on lui demande d’où lui est venue l’inspiration pour cette œuvre. Celle-ci a été réalisée il y a 10 ans, sous forme de 14 tableaux qui «ont été exposés dans plusieurs galeries en France et dans d’autres pays».
Gardant toujours le sourire, dissimulé par son épaisse moustache à la Staline, l’artiste se montre fier de retravailler cette exposition pour la montrer au grand public avec un format inédit : «J’ai sélectionné douze tableaux qui ont été imprimés sur 4 grandes bâches, chacune avec 3 portraits de révolutionnaires algériennes et de leurs amies résistantes d’autres nationalités, françaises, suisses, etc. Les premières ont été des femmes combattantes, assassinées, torturées ou violées.
Les secondes les ont défendues et soutenues par tous les moyens dont elles disposaient jusqu’à la victoire de la Révolution algérienne.» Il s’agit, par ordre de leur positionnement sur l’exposition à ciel ouvert, de : Djamila Bouhired, Germaine Tillion, Hassiba Ben Bouali, Simone de Beauvoir, Louisette Ighil Ahriz, Raymonde Peschard, Djamila Boupacha, Jacqueline Guerroudj, Ourida Meddad, Gisèle Halimi, Baya El Kahla et Annie Fiorio-Steiner. Ces portraits géants, de femmes géantes avec leur bravoure et courage, habillent depuis plusieurs semaines les murs d’un bâtiment au cœur du quartier de Ménilmontant.
Ce qui ne laisse pas indifférents les riverains et les milliers de touristes qui passent par là, quotidiennement. «C’est tout un symbole de fêter le 60e anniversaire de l’indépendance de cette manière, de surcroît avec le peuple français et en plein Paris, la capitale de l’ancienne puissance coloniale. C’est un vrai pied de nez à la colonisation et ses nostalgiques», se réjouit l’ancien étudiant et enseignant à l’École des beaux-arts d’Alger.
Tout en nous montrant dans son atelier la technique de collage qu’il utilise pour finir un portrait de l’historien Jean-Luc Einaudi, grand ami de l’Algérie et auteur de La Bataille de Paris (17 octobre 1961), décédé en mars 2014, notre hôte souligne que son œuvre «sert à vulgariser l’histoire de France qu’elle partage avec l’Algérie. Ici, beaucoup de gens ne connaissent pas bien, voire ignorent tout de la colonisation française et particulièrement de la Guerre d’Algérie.
Dès le premier jour du dévoilement des portraits sur le boulevard de Ménilmontant, j’ai reçu plusieurs messages de sympathie de la part du public français, de vive voix et sur les réseaux sociaux. Depuis, plusieurs institutions culturelles m’ont même invité pour exposer». L’exposition «Les Femmes d’Alger» a également un objectif bien défini : réhabiliter le rôle primordial des femmes algériennes et leurs amies dans la lutte de libération nationale.
«C’est plus qu’un hommage à ces grandes femmes. C’est un message fort pour dénoncer la minimisation du rôle des femmes dans le combat anticolonial et particulièrement durant la révolution algérienne par le pouvoir post-indépendance, qui leur signifia indirectement : ‘Maintenant, rentrez chez-vous et occupez-vous de la cuisine’. Moi, je voulais rappeler et saluer leur courage perpétuel», explique Boutadjine avec un ton soudainement plus grave.
Derrière cette initiative, tel il l’indique lui-même, se cachent l’association La Vallée fertile et la librairie Libre Ère, qui occupe le rez-de-chaussée du bâtiment accueillant ladite expo. «Chaque année, on organise une grande activité autour d’une thématique particulière. Cette année, c’est la commémoration du 60e anniversaire de l’indépendance de l’Algérie en rendant hommage aux femmes résistantes, d’hier et d’aujourd’hui. Donc, nous avons fait appel à Mustapha pour cette exposition et organisé des conférences ainsi qu’un gala», précise Hafid, gérant de Libre Ère et fondateur de La Vallée fertile.
Ce Franco-marocain est fier d’avoir mené ce projet avec des amis et d’autres habitants du quartier d’origines diverses. Il se dit très content de «voir, chaque jour, pas mal de passants s’arrêter devant la librairie, échanger et prendre des photos des portraits suspendus sur les murs. Cela aide à faire connaître le combat de ces résistantes, et à le transmettre aux nouvelles générations».
C’est le cas de Yasmine, 11 ans, accompagnée par son père Ibrahim, la cinquantaine, d’origine égyptienne. «Merci à l’artiste de me faire découvrir l’histoire de ces femmes, que je trouve belles et courageuses. Je ne savais pas qu’il y avait des Françaises parmi elles. Je vais essayer de lire plus sur ce qu’elles ont fait», promet cette jeune habituée du Libre Ère.