Après la commémoration du centenaire de la conquête française en Algérie, les réactions des Algériens ne se sont pas fait attendre. D’abord, les campagnes de boycott, ensuite la résistance anticoloniale par les partis politiques et les associations.
Comme au mois de mai 1931 au club Ettaraki d’Alger, où un groupe d’intellectuels et savants musulmans crée l’Association des Oulémas musulmans algériens (AOMA), dont la figure de proue n’était autre que le chef de file du mouvement réformiste, cheikh Abdelhamid Benbadis (1889-1940), qui a été élu président de l’association.
Ce mouvement est à l´origine de la création de plusieurs associations et troupes théâtrales d´expression arabe. La majeure partie des associations comportent des dénominations ayant une fibre nationaliste telle que en 1932, An Nahda (la Renaissance) et El Hillel (Le croissant), en 1933, Mouhibi El Fen (Les amis de l’art), en 1937, Echabab El Feni (La jeunesse artistique), en 1938, El Hillel Ettamtili El Kassentini (Croissant artistique constantinois), El Badr (pleine lune), en 1940 Le Lever de l’aurore, en 1942, l’Étoile polaire, en 1951, El Amal (L’Espoir), dont la charge est fortement symbolique et porteuse de beaucoup d’espoir pour une révolution culturelle annoncée.
Une troupe pas comme les autres
Dans l’espoir d’avoir un jour leur indépendance, tout en pratiquant un théâtre engagé, des jeunes Constantinois se constituent en troupe théâtrale dirigée par un jeune nationaliste, membre de l’organisation secrète à Constantine nommé Hacène Bencheikh Lefgoun.
Il fonda sa propre troupe théâtrale au mois de juin 1951 avec les membres de la troupe le Lever de l’aurore et les élèves des Médersas Essalem et El Kettania. Désormais, le jeune Hacène annonce la couleur, en donnant à sa troupe le nom d’El Amal El Masrahi (l’Espoir théâtral). Son but est la représentation et la divulgation dans la ville et dans le département de Constantine des pièces théâtrales arabes et de la musique classique arabe.
La troupe se compose de Hacène Bencheikh Lefgoun (président), El Hadj Mokhnache (directeur artistique), L’Houas Belmili, Rabah Mérouani, Salah Rehailia, Salah Chaabani, Mohamed Salah Rahmouni et Ali Ghabouli. L’histoire fascinante de cette troupe commence dans les dédales des rues au pavé bien battu de la vieille ville, dans le centre historique d’Essouika, autrefois bastion de la Révolution. Pas loin de la Zaouia Taïbia.
À proximité de l’école Mouloud Belabed (ex-Arago), sur la rue Bourahla (ex-rue Damon), au n°3, lieu de résidence de Si Hacène Bencheikh Lefgoun, se tenaient les réunions ainsi que les répétitions d’El Amal El Masrahi, où tous les anciens comédiens de Constantine sont passés par là.
A commencer par Mohamed Salah Touache, Ouachen Mohamed dit Kasi Kssentini, Abderrahmane Achek Youcef, Hacène Belhadj, Mohamed Salah Bensebagh, Mohamed Esseghir Bensebaini, Khellil Belghechi dit Zouaoui, Mohamed Salah Benachour, Abdelmadjid Zaïn… pour ne citer que ceux là.
Une fois bien répété, le premier spectacle fut donné. C’est un vaudeville en trois actes intitulé «Zouadj lamhatem» (mariage imposé), de la plume de Abderrahmane Achek Youcef, en arabe parlé, interprété par Kasi Kssentini, H. Belhadj, M. Zaghad, H. Bouzid, M. S. Touache, A. Zaïn, A. Acheuk Youcef et H. Bencheikh Lefgoun. Suivi par une comédie Messel men taynek en trois actes écrite par Mohamed Seghir. Par la suite, une autre pièce intitulée Ami Ali Ettamaa comédie en trois actes de H. Bencheikh Lefgoun et Le boxeur malgré lui de Ouachene Mohamed dit Kaci Kssentini.
Tant qu’il y a une scène
Hacene Bencheikh Lefgoun entame ses premiers pas au théâtre en 1948, avec la troupe de Mohamed Derdour, le Lever de l’aurore, l’association El Hilel Ettemtili El Kasentini et la troupe de Mohamed Salah Touache.
D’ailleurs, tant qu’il y a une scène, Hacène cultive sa passion. Il s’exprime, se libère, et comme l’espoir fait vivre, il continue son petit bonhomme de chemin, il toque la porte du théâtre municipal de Constantine dans l’espoir d’apprendre et de développer sa passion pour être un professionnel du spectacle. Et un beau matin du 12 janvier 1950, son rêve s’exauce.
Il est artiste stagiaire au Théâtre que dirigeait un grand chanteur lyrique d’Opéra de Paris. Sur la même scène, il découvre les grands artistes algériens en tournée à l’époque à Constantine, et qui avaient pour noms Mahieddine Bachtarzi, Mohamed Touri, Zouina, Noria Kazdarli, Leila Hakim, Abou El Hassen, Missoum, Abdelhalim Raïs, Habib Reda et Keltoum.
D’ailleurs, en février de la même année, il obtient un «petit» rôle de figurant auprès du grand comédien de théâtre Youssef Wahbi et la diva de l’écran, Amina Rizk, lors de la série de représentations de la troupe égyptienne sur les planches du Théâtre municipal de Constantine.
Après avoir joué dans la cour des grands, il est sollicité au mois de mars 1954 pour endosser le rôle de (Cassio) aux côtés de la célébrissime Kaltoum qui campa le rôle de (Desdemone), Allel El Mouhib (Othello), Mustapha Kateb (Iago) et Farida Saboundji (Émilia), dans la célèbre comédie dramatique de Shakespeare Othello, en quatre actes. Adaptation en arabe de Tawfik El Madani, mise en scène de Mustapha Babes.
Décidément, le jeune Hacène joue dans tous les registres du théâtre. Il a évolué en compagnie d’une pléiade d’hommes de théâtre parmi les meilleurs qu’a connus la scène artistique de Constantine des années 1940 et 1950. A l’instar de Abderrahmene Achek Youcef, Mohamed Tchaker, Hamoudi Bouzid, Cheikh Benmalek, Mohamed Salah Touache, Kaci El Kasentini, Mohamed Salah Bensebagh, Mohamed Esseghir Bensebaini, Khellil Belghechi dit Zouaoui, et Mohamed Salah Benachour.
Au sein de cette troupe, il écrira et mettra en scène plusieurs pièces théâtrales. D’ailleurs, la troupe El Amel El Masrahi produira entre 1951 et 1956 plusieurs spectacles dont Ruse d’étudiant, Épouse d’aujourd’hui, Lafkirat and la Khadoudja, Moulat Eddar, Fautes de jeunes, Ghelief le guérisseur, Jour de Guigne, Didine el makhnet, Fakou bik, Yali tezzaouedj, Cheikh Belkacem, Le calvaire d’un aveugle, autant de pièces qui attireront à lui les feux de la rampe.
Les comédiens de cette troupe ont eu la chance d’être programmés au sein de la troupe sédentaire arabe pendant la saison théâtrale 1952-1953. A l’ouverture, un drame de Cherif Benabdellah en quatre actes et quatre tableaux intitulé La pendaison a été mis en scène toujours de Mustapha Babes.
Un metteur en scène constantinois méconnu dans l’histoire du théâtre arabe algérien. Faute de l’oubli, eh oui, comment se fait-il qu’un dramaturge hors pair, comédien, metteur en scène et même régisseur du théâtre arabe à Constantine dès janvier 1954 puisse être mis aux oubliettes. Une année après et pour la cause nationale, El Amal El Masrahi mettra en parenthèses ses activités artistiques, comme de nombreuses autres associations et troupes artistiques.
Deuxième acte de la troupe
A l’indépendance, la troupe reprend son aventure théâtrale avec l’émergence de nouveaux talents qui seront les épigones du 4e Art constantinois et feront par la suite les beaux jours du théâtre, de la télévision et du cinéma. L’on peut citer de manière non exhaustive : Adjabi Rabah, Zighmi Abderachid, Seghni Abderrahmane, Benzerari Hassen, Bachir Benmohamed, Noui Tayeb, Bounegab Mouloud, Torki Abdelmadjid et Hacène Bencheikh Lefgoun, les vedettes de la célèbre série mythique Aâssab oua awtar du réalisateur Mohamed Hazourli, ou bien celle d’El Bahalil avec Bachir Benmohamed, Zighmi Abderachid, Segueni Abderrahmane et Kadoum Hacène. Sans oublier le père de cette série Abderrahmane Achek Youcef. Avec tout ce monde-là, El Amal El Masrahi est devenu une véritable école d’art dramatique, où l’on peut ajouter d’autres futurs comédiens tels que Benharkou Ferhat, Hadjadj Lakhdar, Bouchemal Mohamed Kamel, Boucherit Mohamed, Allaoua Djeroua, Zaimeche Mohamed, Chouaib Abdeldjebar, Bousba Abdelkader, Bencheikh l’Houcine Faycal. Ils ont mis leur grain de sel dans pas mal de productions comme : Essoltane El hair, La grande trahison, Le pharmacien, Abbas (Othello) adaptation de Mohamed Tchaker, Un homme à vendre, Le pauvre, Kebche El Aïd, en 1965 Bonheur des fous, comédie de Zoubir Souissi, Honneur meurtri, L’école des maris et Les pères et les fils. Tel est le riche parcours d’une troupe théâtrale qui aura ravivé cette flamme porteuse de tous les espoirs.