Essais nucléaires français en Algérie : Paris persiste dans son refus d’assumer ses responsabilités

13/02/2022 mis à jour: 01:18
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Premier tir expérimental de l’arme atomique française au sud de l’Algérie, en plein désert du Tanezrouft, le samedi 13 février 1960 / Photo : D. R.

Le 13 février 2022 (aujourd’hui) marquera le 62e anniversaire de l’explosion de la première bombe nucléaire française dite «Gerboise bleue» à Reggane. Seize autres essais ont suivi dont trois atmosphériques et treize souterrains à In Ekker, près de Tamanrasset.

La France a complété son programme par 35 essais complémentaires à Hammoudia, dans la région de Reganne, et 5 expérimentations dans une à In Ekker. Les essais nucléaires ont ainsi totalisé des explosions de 500 kilotonnes (KT), 130 KT à Reganne en essais atmosphériques et 370 KT à In Ekker, au Hoggar en essais souterrains.

Le premier tir à lui seul a développé une puissance de feu équivalente à 70 kilotonnes de TNT, soit quatre fois plus puissante que celle de Hiroshima mais également supérieure à la puissance cumulée de ces trois bombes américaine (Trinity, 19 kt), soviétique (RDS-1, 22 kt) et britannique (Hurricane, 25 kt).

La France se dérobe à ses responsabilités

Depuis la fin des essais en 1966 et malgré les promesses, aucune initiative n’est venue de Paris afin de réhabiliter les deux anciens sites d’essais nucléaires français, à Reggane et In Ekker et les espaces environnants, ni de fournir une assistance sanitaire aux victimes que les services de santé algériens continuent à enregistrer. Plus grave encore, la France refuse obstinément de fournir aux autorités algériennes les cartes d’enfouissement des déchets nucléaires.

Elle s’est dotée d’un socle juridique en promulguant une loi en 2008, qui interdit l’accès aux archives des essais nucléaires. Le Parlement français a son tour a adopté la loi Morin relative à l’indemnisation des victimes le 5 janvier 2010, cette loi a été rédigée de telle façon qu’aucune victime algérienne ne puisse être indemnisée.

Face aux demandes réitérées d’Alger, Paris a accepté de signer un accord intergouvernemental de coopération pour le développement et les utilisations pacifiques de l’énergie nucléaire, d’une durée de 20 ans, le 21 juin 2008. Malheureusement, ce cadre qui aurait pu ouvrir le champ à un véritable travail d’assainissement de ce contentieux est resté lettre morte.

Les autorités françaises ont toujours minimisé les effets des essais nucléaires sur les habitants et l’environnement. Ils avancent même comme argument le rapport de l’AIEA de 1999. Sauf que ce dernier est entaché d’un intolérable conflit d’intérêt. Dans la mission de l’AIEA figurait un Français parmi les cinq experts, Jean-Francois Sornein, qui a effectué toute sa carrière au CEA-DAM, organisme en charge des essais nucléaires français au Sahara. De plus, la mission a été effectuée en 1995 et ce n’est qu’en 1999 que son rapport a été publié !

Des victimes continuent à être enregistrées

De nouveaux travaux de recherche permettent aujourd’hui de mieux connaître les conséquences des irradiations nucléaires non seulement sur les victimes directes, mais aussi sur leur descendance.

Ainsi, une étude publiée en 2007 a montré une augmentation «d’un facteur 10 du taux de malformations congénitales dans la descendance des vétérans exposés aux essais nucléaires (8,5 pour les petits-enfants), et un taux de fausses couches 2,75 fois supérieur, par rapport à un groupe témoin». Une étude néo-zélandaise de 2008 a montré cinquante ans après l’irradiation, la présence d’altérations de l’ADN trois fois plus importantes que pour un groupe contrôle chez 50 vétérans des essais nucléaires britanniques des années 1957 et 1958 à Christmas Island.

Une étude française menée chez des malades polynésiennes atteintes de cancers de la thyroïde a retrouvé le même résultat. Une équipe internationale de généticiens biélorusses, russes et anglais a mis en évidence un certain temps après l’accident de Tchernobyl «un nombre élevé d’aberrations chromosomiques chez les habitants des zones contaminées».

Des marqueurs particuliers du génome, les «minisatellites», ont été utilisés, ils ont révélé un taux élevé de mutations «spontanées». Certains travaux insistent aujourd’hui sur l’effet délétère de petites doses inhalées de façon chronique.

Des effets biologiques peuvent être induits par les faibles doses de radiations sur les cellules avec élimination de ces cellules par le système immunitaire ou conservation de ces cellules mais avec constitution d’une anomalie héréditaire qui va être transmise par les cellules germinales, ou une modification du caractère génétique qui va toucher les cellules somatiques, entraînant l’apparition d’un cancer.

Par ailleurs, des expositions faibles mais chroniques ont des effets plus marqués chez les enfants, car ces derniers ont des organismes en croissance, c’est-à-dire porteurs de cellules en division.

Les radiations peuvent plus facilement affecter les molécules d’ADN. Ainsi, différentes études montrent que les essais nucléaires sont susceptibles d’engendrer des effets sur la santé qui peuvent sauter une génération ou deux et apparaître par la suite. Une telle éventualité doit être sérieusement prise en considération dès à présent en menant des études par séquençage systématique de l’ADN chez les parents et des enfants exposés ou enfants de personnes exposées afin de mesurer directement le taux de mutations et d’objectiver la réalité des pathologies génétiques transmises sur un mode transgénérationnel.

En Algérie, le nombre de cancers a explosé, quel est le pourcentage qui peut être lié aux effets à long terme des essais nucléaires ?

Le mont Tan Afella laisse planer un grand risque

Dix-sept essais souterrains ont concerné le mont Tan Afella près d’In Ekker. Les essais souterrains ont produit une quantité importante de déchets radioactifs qui sont en principe piégés dans la roche.

Le Tan Afella dans le Hoggar peut être considéré à ce propos comme un véritable site de stockage de déchets radioactifs à haute activité et à vie longue. 375 kilotonnes de plutonium ont été injectés dans ses entrailles. Le risque de remontée radioactive à partir des galeries, «cheminées» et des puits de forage bouchés lors des essais demeure une éventualité très probable.

Il doit même être considéré comme un risque majeur qu’il faut prendre en considération. La région du Hoggar vit sous la menace d’une fuite de gaz radioactif confiné dans la roche basaltique.

En Polynésie, un exemple qui ressemble à l’Algérie, le ministère français de la Défense a reconnu en 2006 «que près d’un tiers des tirs souterrains ont produit des fuites de gaz et d’autres matières nucléaires vers la surface des sols». Le Tan Afella, une immense montagne de granit peut-elle résister à toutes ces décharges nucléaires ?

Le regretté Bruno Barrillot, président de l’association des vétérans AVEN avait préconisé une surveillance géomécanique du mont Tan Afella pour suivre l’évolution des failles et des fissures existantes.

Face au mutisme français, l’ANP monte au créneau

En février 2021, le général Bouzid Boufrioua a appelé la France à «assumer ses responsabilités historiques» et à «décontaminer» les sites des essais nucléaires effectués dans le Sahara algérien dans les années soixante.

Il a notamment déploré que La France «continue de persister dans son refus de livrer les cartes révélant la localisation de ses déchets nucléaires». Il remarque que la remise des cartes des sites d’enfouissement des déchets radioactifs est «un droit que l’Etat algérien revendique fortement, sans oublier la question de l’indemnisation des victimes algériennes des essais». Il estime, en effet, que les essais nucléaires ont entraîné un «grand nombre de victimes parmi la population locale et des dégâts à l’environnement qui perdurent hélas jusqu’à nos jours». (journal Le Figaro du 7 février 2021).

Entrée en vigueur du Traité sur l’interdiction des armes nucléaires (TIAN)

Le TIAN est entré en vigueur le 22 janvier 2021 après sa ratification par cinquante Etats. Ce nouveau traité vise à dénucléariser le monde. Non seulement, il interdit toute activité liée au nucléaire : «mettre au point, mettre à l’essai, acquérir, posséder, stocker, employer ou menacer d’employer des armes nucléaires» mais surtout en ce qui concerne l’Algérie, il «oblige les Etats parties à fournir une assistance suffisante aux victimes des essais ou de l’utilisation d’armes nucléaires, et à prendre les mesures requises pour remettre en état l’environnement dans les zones contaminées par des activités liées aux essais ou à l’utilisation d’armes nucléaires». (Article 6) L’article 7 prévoit également que «les Etats parties s’engagent à coopérer et fournir une assistance internationale pour soutenir la mise en œuvre du Traité».

L’Autriche devra accueillir, en mars 2022, la première réunion des Etats parties à Vienne. Est-ce le début de la fin d’un contentieux de 62 ans ? Ce n’est pas évident, puisque la France refuse de signer le TIAN et encourage même la falsification de l’histoire. 

Un colloque organisé à Paris du 19 au 22 janvier 2022 et intitulé «Des essais au désert ? Pour une histoire comparée et transnationale des sites d’essais nucléaires», ne fait aucune mention du Sahara algérien, siège pourtant de tous les essais nucléaires français au Sahara. Aucun des intervenants invités ne connaît la problématique sanitaire et environnementale des essais français au Sahara ! 

Les organisateurs de ce colloque en omettant sciemment d’inclure le Sahara algérien, veulent-ils créditer une nouvelle politique d’occultation au moment où la France est interpellée sur ses crimes antérieurs ? 

Pr Mostéfa Khiati

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