Entre transition énergétique, changement climatique et création d’une économie émergente : L’Algérie doit d’abord assainir et viabiliser ses finances publiques

02/06/2024 mis à jour: 10:03
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Des finances publiques viables sont une priorité stratégique pour appuyer le retour de l’Algérie à une croissance forte et saine et surtout la faire évoluer en direction d’une nouvelle économie émergente. Présentement, cette viabilité est affaiblie par : (1) des inefficiences structurelles en matière de gestion budgétaire ; (2) l’absence de règles budgétaires pour faire face à la volatilité du marché pétrolier ; et (3) des défis systémiques tels que la pression démographique, le changement climatique et la transition énergétique. 

Dès 2021, les autorités articulaient un programme de réformes fiscales visant à maintenir la viabilité budgétaire dans le contexte d’une stratégie de diversification économique. Trois ans plus tard, les marges de manœuvre budgétaires exceptionnelles obtenues à la faveur d’une hausse des prix des hydrocarbures en 2021 (réouverture de l’économie mondiale) et en 2022 (guerre en Ukraine) ont rétréci sans pour autant compenser l’orientation budgétaire expansionniste et les politiques procycliques qui compromettent la stabilité macroéconomique (affaiblissement de la croissance, montée de l’inflation et hausse de l’endettement public intérieur). 

De plus, un affaiblissement de l’activité économique mondiale du fait des tensions géostratégiques et les aléas marquants du marché des hydrocarbures vont certainement accentuer la fragilisation des finances publiques du pays, compliquer une reprise économique saine et durable et retarder la marche de l’Algérie vers une économie émergente. De ce fait, le retour à des finances publiques viables est une priorité stratégique qui doit être appuyée par la mise en place : (1)  de mesures fortes et ambitieuses pour mobiliser plus de recettes fiscales, rationaliser les dépenses courantes et renforcer l’efficience des investissements publics ; et (2) d’un cadre qui pourrait guider les politiques visant à restaurer et à maintenir la viabilité des finances publiques et de la dette publique, dans un contexte de forte incertitude des prix du pétrole. Discutons de tous ces points.  


Les politiques procycliques et expansionnistes dans le domaine budgétaire ont entraîné une hausse de la dette publique en 2023. Selon le FMI, le déficit primaire global hors pétrole avait atteint 26,6% alors que l’endettement public se situait à 54,6% du PIB. En l’absence de réformes, les projections du FMI à fin 2029 pour ces deux indicateurs restent défavorables : (1) le déficit budgétaire hors hydrocarbures chuterait à 18,7% du PIB hors pétrole (un niveau excédant largement la norme de 10%) en raison d’une faible progression du ratio des recettes fiscales/PIB hors pétrole à 14,3% (reflétant, entre autres, une croissance faible de 2,1%) et d’un niveau de dépenses en baisse mais qui se situerait toutefois à 37,4% du PIB hors pétrole ; et (2) l’endettement public va continuer à s’accroître pour atteindre 62,7% du PIB. 


La non-viabilité des finances publiques reflète la taille du secteur public, les inefficiences structurelles du budget et la volatilité inhérente au secteur des hydrocarbures  

La taille du secteur public : est très importante (46% de contribution à la formation de la valeur ajoutée) et inclut une myriade d’entités publiques (400 entreprises publiques), plusieurs fonds sociaux, de nombreuses institutions non financières, des banques publiques, une administration postale et des démembrements locaux.
 

Les inefficiences structurelles du budget : (1) La faiblesse des recettes fiscales : elles se situent à 12,8% du PIB hors pétrole (16,8% du PIB hors pétrole en 2009) par rapport à un potentiel de 18% du PIB, soit un écart de 5,2 points de pourcentage reflétant : (I) une politique fiscale inadéquate et incohérente ; (II) une administration fiscale et douanière inefficiente souffrant de problèmes de gouvernance ; et (III) une prolifération d’exonérations fiscales qui ne répondent plus aux défis économiques de l’heure ; (2) Le poids considérable de la masse salariale et des transferts : soit 92,6% par rapport au total des dépenses courantes, dont 52,8% pour les seuls transferts en 2023 ou environ $30 milliards) ; (3) L’inefficience des dépenses en capital (efficacité marginale du capital de 8 pour 1 (3 pour 1 pour les pays émergents), retards et surcoûts) ; (4) Une structure inadéquate de financement du déficit budgétaire qui ne préserve pas un équilibre vital entre croissance économique et viabilité des finances publiques ; et (5) d’autres contraintes, dont les chocs macroéconomiques externes (fréquents) ; les garanties implicites et explicites accordées aux entreprises publiques (19% du PIB sur deux décennies); le déséquilibre financier du système de retraites (550 milliards de DA) ; les partenariats public-privé ; et le poids financier des administrations locales (438 milliards de DA en 2023). 
La domination du pétrole dans l’économie et ses implications.

 A fin 2023, le pétrole et le gaz représentaient 20% de la valeur ajoutée, 90,6% des exportations et 57,8% de la fiscalité totale (FMI). Certes, les ressources pétrolières contribuent au financement de subventions importantes (4414 milliards de DA en 2023) et de dépenses d’investissement appuyant la croissance économique (2397 milliards de DA en 2023). En revanche, elles sont caractérisées par un certain nombre de faiblesses.  


• Le pétrole est une ressource naturelle non renouvelable et épuisable (durée de vie à fin 2040) et va devenir obsolète à l’avenir en raison de la décarbonisation mondiale. Ce qui pose les problèmes de l’équité intergénérationnelle, de la viabilité budgétaire à long terme et de la diversification de la croissance économique.


• Les chocs pétroliers sont répétitifs (1986, 2014, 2020, 2021, 2022). Ce qui entraîne une forte volatilité des prix. Ainsi un boom au cours des années 2000 (dû à la demande croissante des marchés émergents, dont la Chine) sera suivi d’une contraction au cours du second semestre 2014 (en raison à la fois de facteurs liés à l’offre et à la demande) et d’une nouvelle hausse (sous l’effet de la réouverture de l’économie mondiale à mi-2021 et à la guerre en Ukraine au début 2022). Ces fluctuations impactent les recettes fiscales et les revenus des exportations qui en retour influencent le taux de change du dinar algérien dont les variations (dépréciations ou appréciations) contraignent les échanges extérieurs, l’inflation et les dettes extérieures des secteurs public et privé. 


• Les fluctuations des prix du pétrole compliquent la conception et la mise en œuvre de la politique budgétaire et posent les défis de la viabilité des finances publiques et de la stabilité macroéconomique (base de la croissance économique). 


Le recours à des politiques publiques expansionnistes et procycliques. En effet, en cas de hausse des ressources pétrolières, la dépense publique augmente et en cas de baisse, elle chute. Les politiques procycliques défavorisent la croissance, affectent négativement la dynamique de l’endettement et accentuent les déséquilibres budgétaires. 
Les autres défis systémiques qui vont amplifier les pressions sur les finances publiques du pays. 

(1) L’incertitude à court et moyen terme des prix des hydrocarbures du fait de l’ajustement relatif de l’offre et de la demande mondiales, ce qui accentuerait la volatilité du marché pétrolier ; (2) La décarbonisation : A plus long terme, la transition énergétique est susceptible de réduire la demande mondiale de combustibles fossiles, faire chuter les prix internationaux du pétrole et du gaz à long terme et risque d’aggraver les déficits budgétaires et la dette publique ; (3) La réduction des émissions nationales des gaz à effet de serre (GES) qui va impliquer des ressources publiques pour favoriser l’adoption de technologies à faibles émissions de carbone et pour aider les populations les plus vulnérables à faire face aux changements liés à la transition énergétique ; (4) La pression démographique : la population de l’Algérie devrait atteindre 60,9 millions en 2050, soit une augmentation de 15,1 millions de personnes en l’espace d’un quart de siècle, avec une hausse de la part de la tranche de la population en âge de travailler ; et (5) Le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières de l’Union européenne (UE) qui permet à cette dernière de fixer un prix au carbone émis lors de la production de biens à forte intensité de carbone qui entrent dans son espace et encourager une production industrielle plus propre dans les pays tiers. Vu que l’UE est le principal marché d’exportation de l’Algérie, cela pourrait affecter la compétitivité de certaines exportations algériennes hors hydrocarbures à forte intensité énergétique (ciments, engrais et produits sidérurgiques ayant rapporté $2,8 milliards en 2023 sur un total de $4,7 milliards d’exportations hors hydrocarbures). 


Quelle stratégie de reprise du contrôle des finances publiques algériennes ? 

L’identification des inefficiences structurelles, des risques et défis pesant sur les finances publiques du pays et leur prise en charge sont des étapes préliminaires cruciales. Elles permettent une bonne évaluation de l’espace budgétaire disponible et la mise en place d’outils adéquats pour favoriser la reprise et le maintien du contrôle des finances publiques. Cette étape est indispensable pour créer les conditions de la croissance économique et de l’emploi et faciliter la mise en place des réformes macroéconomiques, structurelles et sectorielles devant accompagner la transition vers une économie émergente. Dans ce contexte, une stratégie de contrôle des finances publiques (au centre de l’activité économique de tout pays) doit être définie en cohérence avec une stratégie de refondation de l’économie nationale. Les axes de cette stratégie budgétaire sont les suivants :


Axe 1 : Eliminer les inefficiences structurelles : à travers des mesures globales et cohérentes visant à : (1) faire progresser les recettes fiscales ordinaires à leur niveau potentiel et même dépasser ce dernier grâce à la diversification économique. Ceci permettrait aux futurs budgets de résister au déclin structurel du recours au niveau mondial à des énergies fossiles ; (2) restructurer et rationaliser les dépenses courantes, notamment la masse salariale et les subventions et transferts dans le cadre d’une approche progressive ;  (3) améliorer la qualité et l’impact économique des dépenses publiques d’investissement ; et (4) repenser le financement des déficits budgétaires en combinant des sources variées afin d’éviter des déséquilibres macroéconomiques dans un contexte de préservation de la viabilité à moyen terme des finances publiques (un article détaillé sur les réformes des finances publiques a déjà été consacré à ces questions). 


Axe 2 : Abandonner les politiques publiques procycliques et concevoir un régime de politique monétaire et budgétaire optimal en phase avec une économie dominée par les hydrocarbures. Alternativement, il serait alors opportun de laisser la monnaie s’apprécier en cas de chocs positifs des termes de l’échange et se déprécier en cas de chocs négatifs. Ce qui permettrait de répartir ainsi le poids de l’ajustement budgétaire aux chocs externes entre la politique budgétaire et la politique des changes. Cependant, ceci implique une coordination étroite entre les politiques budgétaire et monétaire pour s’assurer que cette dernière fonctionne autour d’un ancrage budgétaire crédible et durable et un ancrage nominal.


Axe 3 : Mettre en place un cadre budgétaire résilient et durable accompagné de règles opérationnelles pour guider la politique budgétaire dans un environnement marqué par des chocs importants et imprévisibles 
L’approche du revenu permanent utilisée précédemment perd désormais de l’intérêt pour deux raisons : (1) le raccourcissement de l’horizon de la richesse pétrolière (qui laisse peu de temps pour augmenter suffisamment l’épargne afin de stabiliser les dépenses à partir de la richesse permanente) ; et (2) elle s’est souvent révélée inadéquate, car elle ne prend pas en compte les retours sur investissement plus élevés. D’où le besoin de recourir à des règles budgétaires. 


Ces dernières sont devenues courantes au niveau des pays disposant de ressources naturelles abondantes. Elles ont été adoptées pour diverses raisons, y compris pour : (1) réduire le caractère procyclique de la politique budgétaire (Russie, Chili), limiter les risques du syndrome hollandais (Norvège), parvenir à une certaine équité intergénérationnelle (Norvège, Timor-Leste) et réduire la dette publique (Chili et Pérou). De plus, il a été constaté un recours au cours des deux dernières décennies par un nombre croissant de pays riches en ressources naturelles à des objectifs chiffrés pour orienter leur politique budgétaire. 
 

Pour ce qui est de l’Algérie, le secteur pétrolier va continuer à jouer un rôle clé dans l’économie et influencer les développements budgétaires. De ce fait, un cadre budgétaire à moyen terme pourrait aider l’Algérie à faire face à la volatilité accrue des recettes tirées des hydrocarbures et à préserver la viabilité budgétaire. Deux défis importants pour le pays. 

Dans ce contexte, le FMI propose à juste titre un volant budgétaire bien calibré pour protéger les finances publiques contre les chocs des prix des hydrocarbures et à maintenir une marge de manœuvre pour des politiques budgétaires contracycliques (visant à stimuler l’économie en phase de ralentissement et à la freiner en phase de surchauffe). Ce volant s’articulerait autour de deux piliers combinant : (1) le maintien de la dette publique en dessous d’un certain niveau ; et (2) un plancher d’épargne budgétaire constitué par une règle de lissage des prix du pétrole. Des travaux plus poussés devraient déterminer les niveaux quantitatifs pour ces deux piliers. 
 

Par Abdelrahmi Bessaha

Économiste et expert international

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