Entre lutte contre inflation, crise de liquidité et une éventuelle crise de solvabilité dans le monde : Quel nouveau rôle pour le système bancaire algérien ?

15/04/2023 mis à jour: 01:23
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Photo : D. R.

La lutte contre l’inflation mondiale, par le biais, entre autres, d’un relèvement des taux d’intérêt directeurs, est porteuse de risques sérieux de déstabilisation du secteur financier mondial. Une partie de ce dernier pourrait désormais faire face à une crise de solvabilité après avoir subi une crise de liquidité le mois dernier.

Au début de 2022, les banques centrales des économies avancées et de nombreux marchés émergents ont un processus de normalisation de la politique monétaire (par le biais d’une remontée des taux d’intérêt directeurs) pour empêcher les pressions inflationnistes de s’enraciner davantage.

Si ce resserrement des conditions financières mondiales a mis fin à une longue période de taux d’intérêt bas et de liquidité abondante, il a, dans son sillage, mis sous pression les marchés financiers (chute des prix des actifs et liquidité du marché), les institutions financières non bancaires (par le biais de leurs emprunts pour investissements et usages d’instruments financiers complexes) et les banques (pression sur le capital et la liquidité et faillites).

Il a également entraîné la faillite de certaines banques aux Etats-Unis et en Europe. Si les mesures fortes mises en place par les autorités monétaires mondiales en matière d’accès à la liquidité ont réduit les tensions, les risques de déstabilisation financière ne sont pas toutefois écartés.

Les coûts de ce financement exceptionnel et l’existence de poches de vulnérabilités financières élevées construites au fil des dernières années du fait des politiques monétaires libérales, des erreurs de supervision et de la mauvaise gestion des banques pourraient conduire à une éventuelle crise de solvabilité, notamment dans un contexte de resserrement continu de la politique monétaire à l’échelle mondiale.

La surveillance du système bancaire et des intermédiaires financiers non bancaires qui fournissent des services financiers et du crédit et soutiennent la croissance économique est plus que jamais d’actualité pour permettre aux banques centrales de continuer de lutter contre l’inflation.

Pour ce qui est de l’Algérie, les risques ne sont pas d’origine externe (vu son découplage du système financier international) mais plutôt d’ordre domestique (vu l’obsolescence du système financier) et c’est à une véritable réforme en profondeur qu’il faut procéder si le pays souhaite réussir une ouverture du capital des banques.

Discutons de ces points

Les impacts et risques du secteur bancaire face à la hausse des taux d’intérêt. La fin des taux d’intérêt historiquement bas a été une opportunité pour les banques mais également une source de risques majeurs avec pour conséquence dans cette phase initiale une crise de liquidité que les autorités monétaires à travers le monde ont pu encadrer.

Les risques d’une transition vers une crise de solvabilité ne sont pas du tout à écarter dans la mesure où des deux côtés de l’Atlan¬tique, nous voyons émerger une réa¬lité beaucoup plus complexe.

L’objectif principal d’une hausse des taux d’intérêt  est de lutter contre les fortes pressions inflationnistes (illustrées notamment par une surchauffe des marchés immobilier et du travail) tout en procédant à un atterrissage en douceur de l’économie pour éviter une récession.

L’augmentation du loyer de l’argent (4,75% aux Etats-Unis et 3,75% dans la zone euro) est en train d’éroder progressivement la demande et ralentir l’output (taux de croissance revu à la baisse en 2023 à 2,9% par rapport à 3,4% en 2022 aux Etats-Unis et 1% pour la zone euro par rapport à 3,6% en 2023).

Par ailleurs, le marché du travail demeure encore solide (avec un taux de chômage à 3,6% aux Etats-Unis et 6,6% en zone Euro en 2023) avec des fortes demandes en travail dues à de nombreux facteurs (changement de carrières, décès de nombreux travailleurs, restrictions sur les immigrations, etc.). A contrario, le marché immobilier aux Etats-Unis a chuté de 3% en 2022 et devrait baisser de 5% en 2023 en réaction aux hausses des taux d’intérêt.

La hausse des taux d’intérêt est source d’opportunités limitées et de risques variés pour les banques. 
(1) Au titre des opportunités, mentionnons le renforcement de leurs profits en raison de l’écart croissant entre ce qu’elles facturent aux emprunteurs et ce qu’elles paient pour les dépôts. (2) Pour ce qui est des défis, notons : (i) une baisse des dépôts : la différence nette des taux d’intérêts conduit les déposants à orienter leurs ressources vers les fonds du marché monétaire et la cryptographie.

Deux données importantes : (a) aux Etats-Unis, les retraits des dépôts bancaires (rémunérés à 1%) ont atteint 3,3 % du total et les ressources placées au niveau des fonds du marché monétaire (rémunérées à 4%) (source FED) ; et (b) pour la zone euro, les retraits se sont élevés à €214 milliards au cours des cinq derniers mois (dont €71,4 milliards d’euros pour le mois de février 2023), soit 1,5% du total des dépôts (source BCE).

Les banques européennes ont pu remplacer une partie des dépôts par des obligations sécurisées (adossées à un pool de prêts immobiliers) ; (ii) la dégradation du capital et de la liquidité des banques du fait de la faiblesse des portefeuilles : la relation inverse entre les prix des obligations et les taux d’intérêt signifie que les fortes augmentations de ces derniers ont fait baisser la valeur des obligations à taux fixe détenues comme investissements, y compris celles des banques.

De nombreuses banques ont augmenté leurs avoirs en obligations pendant la pandémie, lorsque les dépôts étaient abondants et la demande de prêts et les rendements faibles. Les pertes subies (non réalisées) resteront toutefois sur le papier.

Cependant, d’autres banques pourraient faire face à des pertes réelles si elles doivent vendre des titres pour des liquidités ou pour d’autres raisons. De ce fait, ces pertes ne manqueraient pas de peser négativement sur la liquidité, le financement, les bénéfices et éventuellement le capital des banques ; (iii) la baisse de la valorisation de l’immobilier commercial : les prêts immobiliers commerciaux des banques sont particulièrement vulnérables aux hausses des taux d’intérêt.

En plus de ces dernières, les investisseurs immobiliers doivent faire face à des valorisations plus faibles (dues aux nouvelles habitudes post-pandémie de travail et d’achat). Aux Etats-Unis, l’immobilier commercial atteint 2/5 des crédits totaux contre 6% dans la zone euro ; (iv) la baisse de la qualité de certains crédits privés : notamment ceux soumis à des intérêts à des taux variables dont la hausse peut mettre en difficulté les entreprises surendettées en alourdissant le service de leurs dettes; et (v) la hausse des coûts de financement : bien que d’autres sources de financement soient disponibles, elles deviennent plus chères lorsque les taux augmentent, car les investisseurs exigent des rendements plus élevés.

Les responsabilités de la crise de liquidité des banques sont à imputer aux banques, aux autorités de régulation et aux fonds de spéculation.

Des enquêtes menées à ce jour sur les origines de la récente crise de liquidité de mars dernier, il ressort qu’en plus des facteurs internes (mauvaise gestion, non-respect des normes de supervision, fort endettement), la chute de SVB et de Signature, le quasi-crash de First Republic et les difficultés d’autres banques régionales américaines sont également dues aux carences de la FED dans sa mission de supervision.

Cette dernière avait, en effet, encouragé les banques à acheter des titres souverains considérés comme très liquides et n’a pas fait respecter des normes réglementaires améliorées, y compris des exigences plus strictes en matière de capital, de liquidité, de tests de résistance et de plans de résolution par les banques dont les actifs se situent entre $100 et $250 milliards.

Les autres acteurs de cette crise de liquidité sont les fonds spéculateurs qui ont procédé à des ventes à découvert (short selling) sur la SVB, First Republic, le Crédit Suisse et la Deutsche Bank et engrangé $7 milliards.

D’une crise de liquidité à une éventuelle crise de solvabilité ? Certes, les autorités ont pris un ensemble de mesures visant à faciliter l’accès des banques à un financement pour faire face aux besoins des déposants. Ces fonds restent, toutefois, coûteux (4,68% plus 10 points de base aux Etats-Unis). Tout aussi chers sont les autres sources fédérales de financement. De ce fait, les bénéfices seront réduits vu les difficultés à mobiliser de nouveaux dépôts.

De plus, la situation des petites et moyennes banques dont les actifs sont inférieurs à $250 milliards n’est pas solide. Si nous ajoutons l’assèchement de certains marchés du crédit, il est légitime de poser le problème de la rentabilité et de solvabilité à terme de nombreuses petites et moyennes banques. Les fonds spéculateurs continuent de mener des ventes à découvert en prévision de problèmes plus profonds au niveau de ces banques. Un signe inquiétant.

Les risques pesant sur les établissements financiers non bancaires (EFNB). Ces derniers qui incluent une gamme variée d’établissements (casinos et clubs de jeux de cartes, sociétés de valeurs mobilières et de matières premières telles que courtiers/négociants, conseillers en placement, fonds communs de placement, fonds spéculatifs ou négociants en matières premières, entreprises de services monétaires, compagnies d’assurance, établissements de prêt ou de financement et exploitants de systèmes de cartes de crédit) ont enregistré une forte expansion depuis la crise financière (50% des actifs financiers mondiaux).

Le problème de leur stabilité financière se pose donc avec acuité d’autant plus que la hausse des taux d’intérêt a fait ressortir trois sources de vulnérabilités, dont leur endettement élevé (avec notamment le recours à des produits financiers dérivés dangereux), une asymétrie en termes de liquidité (usage de ressources courtes pour financer des besoins à moyen et long terme) et surtout un enchevêtrement de liens entre EFNB et entre EFNB et banques.

En contexte d’inflation, le stress dans lequel pourrait se retrouver ces EFNB exige non pas des appuis financiers pour les soutenir mais une forte supervision, un respect rigoureux de la réglementation et un suivi statistiques rigoureux.

Conclusion : Le renforcement de la supervision des banques et des EFNB ainsi que des marchés du crédit est incontournable pour poursuivre la politique de lutte contre l’inflation sans que cette dernière ne mène au chaos.

Algérie : Réformer le système bancaire et financier algérien (SBFA) pour donner une chance à l’ouverture du capital des banques et à l’internationalisation de leurs activités dans un marché fortement concurrentiel et en contexte de forte inflation. Ces derniers jours, dans le sillage du nouveau projet de loi sur la monnaie et le crédit, le débat économique est de nouveau centré sur l’ouverture du capital des banques publiques et l’internationalisation de leurs activités. Quatre points importants à souligner à cet effet :

1. Ces objectifs sont importants pour la mise en place d’un SBFA qui permettra d’assurer une synergie entre les activités réelles et financières, mobiliser l’épargne interne et externe et améliorer l’allocation des ressources tout en dotant le pays d’une profondeur stratégique externe.

2. Pour que ces objectifs soient réalisables et couronnés de succès, il est important de les inscrire dans le cadre d’une réforme en profondeur du SBFA qui est contraint par de multiples problèmes techniques et structurels.

Ces derniers portent sur : (1) la programmation monétaire (qui articule les objectifs des secteurs monétaire et bancaire en relation avec la politique macroéconomique) ; (2) la gestion de la liquidité ; (3) la prévention des crises systémiques ;  (4) la supervision des risques bancaires ; (5) la gouvernance des banques d’Etat ; (6) l’inefficacité de la gestion des programmes confiés aux banques publiques en matière d’appui au crédit ; (7) l’absence d’un cadre réglementaire pour la microfinance privée ; et (8) l’inadéquation des mécanismes de garantie publique des programmes de crédit.

3. Toutes ces faiblesses sont bien identifiées dans le projet de loi sur la monnaie et le crédit (LMC). Dans ce contexte, l’adoption de ce dernier va offrir un excellent cadre juridique sur lequel bâtir la nouvelle architecture financière, monétaire et de change du pays.

4. Le défi reste l’opérationnalité de la LMC qui implique ipso facto : (1) des réformes incontournables sur les plans macroéconomique, structurel et sectoriel ; (2) l’intégration de ces réformes dans le contexte d’une stratégie à long terme de création d’une économie productive, diversifiée, résiliente et inclusive : Le suivi rigoureux de ces réformes pour les faire aboutir.

5.  D’autres réformes devraient renforcer la qualité du nouveau SBFA, en l’occurrence : (1) la redéfinition du rôle de l’état dans le secteur bancaire et financier, y compris la privatisation partielle de certaines institutions publiques bancaires et non bancaires ; (2) la numérisation du secteur dans sa globalité conformément à une stratégie de numérisation de l’économie, y compris la mise en place de nouvelles formes de paiement modernes pour réduire les coûts de transaction, accroître l’inclusion financière et attirer des agents non bancarisés dans le système financier ; (3) la redynamisation du marché boursier dans le contexte d’une politique d’offre de nouveaux instruments d’épargne et de diversification des sources de financement de l’économie ; (4)  la promotion de la concurrence ; (5) le renforcement du régime des garanties et sûretés ; et (6) la transition vers un cadre macroprudentiel capable d’atténuer le risque de liquidité systémique. A. B.
 

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