Une enquête, réalisée par le Centre d’information et de documentation sur les droits de l’enfant et de la femme (Ciddef) sur les opinions et attitudes des Algériens, vis-à-vis de la valeur d’égalité entre hommes et femmes, a donné des résultats hallucinants.
Réalisée par le Ciddef (Centre d’information et de documentation sur les droits de l’enfant et de la femme), la fin de l’année 2022, et publiée en juin dernier, l’enquête sur les opinions et les attitudes des Algériens vis-à-vis de la valeur d’égalité entre hommes et femmes et des droits des enfants montre qu’une partie de la société algérienne, particulièrement les hommes, reste toujours l’otage du modèle traditionnel des droits des femmes et de leur rôle dans la société.
Une des conclusions à laquelle l’auteur de l’enquête est parvenu en relevant toutefois des évolutions assez nettes dans certains domaines. Les enquêteurs ont travaillé sur deux échantillons représentatifs – les adultes de plus de 18 ans et les adolescents âgés entre 15 et 17 ans – et font la comparaison avec les résultats de deux enquêtes similaires réalisées dix ans, voire vingt ans plus tôt (2000-2008-2022).
«Que les opinions des hommes diffèrent de celles des femmes sur l’adhésion à la valeur de l’égalité des genres ne soient, certes, pas inattendues. Toutefois, il est assez remarquable de constater que cette différence balaie tout le large éventail des thématiques abordées (mariage, divorce, tutelle, garde des enfants, participation à la vie économique, etc.).
Les seules questions ou configuration et proportions (des opinions des deux populations) se rapprochant un peu, sans se confondre, sont celles qui sont fortement normées par le religieux (l’héritage, la polygamie...), il est intéressant de noter que ce type de questions révèle quand même des réponses qui expriment une forme de détachement discret de la norme, que ce soit chez les hommes ou chez les femmes», précise l’auteur de l’enquête.
Ainsi, sur la question sensible de l’héritage, par exemple, 31% des femmes, soit le tiers, considèrent qu’un partage égalitaire de l’héritage serait «une bonne chose» contre 16% chez les hommes. La surprise, note l’enquête, se trouve plutôt du côté des opinions qui touchent à des questions plus «neutres», telles que l’exercice d’un travail. Un cinquième des hommes et un peu plus de la moitié des femmes (55%) pensent qu’une femme est libre de travailler si elle le souhaite.
Le reste – soit la majorité des hommes et l’autre moitié des femmes – pense plutôt que ce travail doit être soumis à des conditions. Pour cette large catégorie, le travail de la femme doit être justifié. Les opinions des adolescents sont similaires à celles des adultes hommes et celles des adolescentes similaires à celles des adultes femmes. Pour ce qui est de la perception des rôles féminins et masculins au sein de la société, «les réponses aux questionnaires reflètent les inerties, les avancées, les résistances et les visions conflictuelles qu’elles peuvent sous-tendre».
Ainsi, entretenir la maison et s’occuper des enfants – les tâches dévolues exclusivement aux femmes – font l’objet d’un consensus général chez les adultes et les adolescents, puisque 84% des adultes et 88% des adolescents estiment que l’entretien de la maison relève exclusivement de la femme, et 75% aussi bien pour les adultes que pour les adolescents déclarent que s’occuper des enfants est une tâche exclusive de la femme. Les deux autres rôles : l’éducation des enfants et dans une moindre mesure, le suivi de leur scolarité «sont dans le même registre et s’accommodent du schéma traditionnel», explique-t-on dans le rapport d’enquête.
90% des personnes interrogées s’opposent au mariage forcé
Mais, faut-il relever, 71% des hommes revendiquent l’éducation des enfants, 65% le suivi de leur scolarité, et les deux catégories pensent que c’est le rôle à la fois de l’homme et de la femme. Cependant, le rôle économique des femmes n’est toujours pas accepté, puisque seulement 15% des adultes hommes le conçoivent. Par contre, un tiers des femmes adultes considèrent que travailler pour gagner de l’argent et subvenir aux besoins du foyer, sans que cela ne soit conditionné comme relevant également du rôle des femmes. Les mêmes proportions sont constatées chez les adolescents.
Quant à la question relative au pouvoir de décision au sein du foyer (prendre les décisions importantes à la maison), il faut relever que 40% des hommes et 70% des femmes sont pour le partage de ce pouvoir entre les conjoints. Par contre, 39% des adultes (20% des femmes et 58% des hommes) affirment que le pouvoir décisionnel doit rester entre les mains des hommes. Par ailleurs, la majorité des célibataires n’accepte de se marier qu’avec le conjoint de leur propre choix, soit 64% des hommes et 73% des femmes. Les jeunes adoptent la même position que les adultes.
Un quart des hommes et des adolescents accepte de concéder aux parents ce choix, dans le cas où ce dernier leur convient. Cet avis est minoritaire chez les femmes, mais 90% des personnes interrogées s’opposent au mariage forcé, alors que 80% des femmes et 62% des hommes se déclarent contre la légalisation du mariage précoce par le juge. De même que 80% des femmes et 73% des hommes sont contre le mariage religieux (mariage à la Fatiha) non précédé par un mariage civil.
La polygamie n’est pas réprouvée, mais 41% des adultes et 36% d’adolescents sont défavorables à son abolition, parmi lesquels 61,5% des hommes et 27,9% des femmes. Les adolescents défavorables à la polygamie représentent 47% et les adolescentes 25,3%. Cependant, il faut relever que 16,5% de femmes célibataires ou mariées accepteraient un mari polygame. Sur la question de la tutelle des enfants, l’enquête montre que la majorité des adultes, soit 80% des hommes et 84% des adolescents, pensent qu’elle doit être partagée entre le père et la mère.
Les femmes et les adolescentes sont plus nombreuses à opter pour une tutelle mutuelle avec 90%, pour les premières, et 70%, pour les secondes. Ceux qui sont pour une tutelle exclusive du père représentent 20% et sont le plus souvent des hommes, soit 28% chez les hommes et 10% chez les femmes. Selon le sondage, la violence et la polygamie constituent (pour les deux tiers des hommes et 90% des femmes) un «motif raisonnable» pour une demande de divorce par la femme.
60% des femmes et 76% des hommes contre le partage égal de l’héritage
A rappeler que le code de la famille permet aux hommes de divorcer quel que soit le motif avancé, avec quelques restrictions, cependant, introduites en 2005. Par contre, pour les femmes, la demande de divorce n’est acceptée que dans certains cas.
Ainsi, les deux tiers des hommes et la plupart des femmes trouvent «raisonnable» qu’une femme veuille divorcer parce que son époux est violent (pas moins des deux tiers des hommes et la quasi-totalité des femmes (90%) ou parce qu’il désire prendre une autre épouse (40% des homme et 60% des femmes et bien plus chez les adolescents) que pour des motifs liés à l’interdiction du travail ou encore à la poursuite des études, dont les proportions chutent de manière importante, aussi bien chez les adultes que les adolescents. Par contre, en ce qui concerne la garde des enfants, après un divorce, la majorité, interrogée (60% des adultes 70% des adolescents), est pour la consultation de l’enfant, contre le tiers qui reste opposé.
Mais les avis sont partagés en ce qui concerne le maintien de la garde par la femme divorcée qui se remarie. Pas moins de 58% (de l’ensemble des adultes) et 60% des adolescent(e)s déclarent qu’elles ne devraient pas en être déchues.
Les plus opposés sont les hommes, avec près de 50% qui estiment qu’elles devraient perdre la garde, pour un peu moins d’un tiers des femmes. Pour ce qui est de l’héritage, les Algériens sont majoritairement défavorables à l’idée d’un partage égal de l’héritage entre hommes et femmes, mais près d’un cinquième d’entre eux pense que ce serait «une bonne chose». Le sondage montre qu’un tiers des femmes pense que s’orienter vers un partage égalitaire de l’héritage serait «une bonne chose».
A ce pourcentage, s’ajoute celui des femmes qui estiment que c’est une bonne chose, mais évoquent la réserve religieuse, ce qui donne, précise l’enquête, 40,3% de l’opinion féminine qui, au moins, n’en exclut pas l’éventualité. Les hommes qui partagent cette opinion représentent 22,6% seulement. Toutefois, ces mêmes personnes, révèlent les enquêteurs, «ne sont pas pour autant prêtes à faire une donation de leur vivant pour corriger ces inégalités (quasiment la totalité)», tout en précisant que la pratique de la «donation» est peu courante dans la société.
Si d’une façon globale, les adultes sont majoritairement opposés à l’idée d’un partage égal de l’héritage, souligne l’enquête, qu’ils soient femmes (60%) ou hommes (76%), les adolescents (filles et garçons) «semblent bien plus ouverts à la question, avec toujours une différence selon que l’on soit fille ou garçon : 60% et 47% qui disent que l’égalité dans l’héritage est une bonne chose». Par ailleurs, sur le «droit» qu’aurait l’époux de frapper son épouse, 4 Algériens sur 10, soit 40%, et 7 Algériennes sur 10, soit 70%, se disent contre la violence physique à l’égard des femmes.
La même proportion est constatée chez les adolescents contre une infime minorité qui défend le «droit à la violence sur l’épouse». Cependant, la majorité (60%) des hommes se réfugie dans la légitimation de «frapper dans certains cas seulement». Un tiers des femmes, 30% des adolescentes et 55% des adolescents partagent cet avis, d’une part. D’autre part, 6% des femmes interrogées affirment avoir été frappées (au sein du ménage où elles vivent) au moins une fois, au point d’avoir mal, au cours des 12 mois qui ont précédé l’enquête.