Les missions de maintien de la paix des Nations unies en Afrique sont en crise. Les pays hôtes de ces missions pressent l’ONU de hâter le retrait des soldats de la paix de leurs territoires. Le Mali vient de demander le «retrait sans délai» de la Minusma (Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali).
Le ministre des Affaires étrangères malien, Abdoulaye Diop, qui s’exprimait, jeudi 16 juin, devant les membres du Conseil de sécurité de l’ONU, a déclaré que le mandat de la mission onusienne «ne répond pas au défi sécuritaire». Pour le diplomate, «après plusieurs années de déploiement des forces de la Minusma sur le terrain, la situation sécuritaire, qui concernait jadis le Nord du pays, s’est progressivement dégradée dans les autres régions du Mali, notamment le Centre».
M. Dipo a estimé que les options proposées par le secrétaire général de l’ONU, António Guterres, dans son rapport sur l’examen interne de la Minusma ne répondent pas aux préoccupations et aux attentes exprimées par le Mali. «Ni les propositions du secrétaire général, encore moins le projet de résolution en cours de négociation par les membres de ce Conseil, n’apportent de réponse appropriée aux attentes des Maliens.
Ce projet de résolution conforte la récusation de la France en tant que porte-plume tant son contenu est hostile au Mali», soutient-il. Pour le chef de la diplomatie malienne, la mission de l’ONU «semble devenir une partie du problème en alimentant les tensions intercommunautaires exacerbées par des allégations d’une extrême gravité et qui sont fortement préjudiciables à la paix, à la réconciliation et à la cohésion nationale». La tension avec la Minusma est montée d’un cran, ces derniers jours : les autorités maliennes ont engagé une action en justice contre la mission onusienne accusée d’espionnage.
La plainte ferait suite à la publication, le 12 mai, d’un rapport du Haut Commissariat aux droits de l’homme de l’ONU, accusant l’armée malienne et des combattants «étrangers» d’avoir exécuté au moins 500 personnes à Moura lors d’une opération antijihadiste. La Minusma a été créée en avril 2013, pour appuyer le processus politique dans ce pays et effectuer un certain nombre de tâches d’ordre sécuritaire. Le Conseil de sécurité doit se prononcer, jeudi 29 juin, une prorogation de son mandat qui expire le 30 juin. Les missions de l’ONU (une dizaine) dans d’autres régions de l’Afrique connaissent des fortunes diverses.
Renforcer les missions des soldats de la paix ?
En République démocratique du Congo (RDC), le retrait de la Mission de l’ONU au Congo (Monusco) est déjà acté : il devrait intervenir au plus tard le 31 décembre 2023. Annoncée à plusieurs reprises, le départ de cette mission, opérationnelle depuis près de 24 ans, devra se faire le plus rapidement possible» mais de manière «graduelle et responsable», a annoncé sa cheffe, Bintou Keita.
Le retrait de la Monusco s’explique par sa «forte impopularité», particulièrement à l’est de la RDC. «Un sentiment anti-Monusco» est assez vif, latent et bien ancré au sein d’une partie de la population, particulièrement dans l’Est. Mais pas uniquement. Pour ce qui est des populations vivant à l’Est, elles voient les patrouilles, les chars de la Monusco et entendent les discours de la mission : «Nous sommes là pour protéger les civils, le Congo...» Cependant, «elles se rendent compte que les massacres et les assassinats continuent, parfois au nez et à la barbe de la Mission de l’ONU sans qu’elle n’intervienne», explique Jean-Claude Mputu, politologue congolais.
En République centrafricaine, la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation en République centrafricaine (Minusca) est maintenu, malgré des tensions permanentes avec les autorités locales. En juin, le SG des Nations Unies a décidé de rapatrier une unité tanzanienne accusée d’exploitation et d’abus sexuels. Au Soudan Sud, la Mission des Nations unies au Soudan du Sud (Minuss) parvient, là aussi, à se maintenir.
Le Conseil de sécurité a voté la reconduction jusqu’au 15 mars 2024 du mandat de cette mission. Les relations entre les missions de maintien de la paix en Afrique et les Etats hôtes se sont envenimées. De manifestations contre la présence des Casques bleus sont ainsi organisées, particulièrement en RDC, où quelque 14 000 soldats sont déployés.
La défiance envers ces missions s’explique principalement par un contexte sécuritaire hautement fragile, les opérations de maintien de la paix (OMP) ne pouvant pas mener des combats contre des forces militaires hostiles. Si les accusations portées contre ces missions s’avèrent fondées (accusations de violences sexuelles, exactions, etc.), la peur d’un «vide sécuritaire» que provoqueraient le départ des Casques bleus et le recours des pays hôtes à d’autres partenaires (Mali, Afrique centrale) est justifiée.
La situation de crise actuelle provoquée par l’absence confiance en ces missions impose des solutions, de l’aveu même de l’ONU (débat tenu en mars par le Conseil de sécurité pour «renforcer la confiance pour établir une paix durable»). Le recours à une force africaine avec mandat de l’Union africaine (UA) aiderait-il les pays africains à sortir de leur crise ? Devrait-on élargir les missions des soldats de la paix ? Réviser le mode de fonctionnement et de financement des missions onusiennes est-il nécessaire ? Penser l’architecture mondiale des missions de la paix s’impose afin de restaurer la confiance entre les Etats et l’ONU.