Un autre mythe s’effondre en France, celui de la totale liberté d’expression. Aucune solidarité ne s’est manifestée en faveur du journaliste Jean- Michel Aphatie sanctionné par la chaîne RTL, où il travaillait avant sa suspension et qu’il a dû quitter. Son délit : avoir dit une vérité historique sur la colonisation française de l’Algérie. Ce n’était pas une opinion ni un jugement de faire le parallèle entre l’occupation française en Algérie et le nazisme.
Jean-Michel Apathie s’est exprimé sur la base d’innombrables témoignages de militaires français, auteurs ou témoins des crimes français. Et en s’appuyant sur les écrits des historiens non partisans s’accordant tous sur une vérité historique qui est la férocité et la sauvagerie de la pénétration de l’armée française sur le sol algérien, se soldant par des milliers de victimes au sein de la population locale.
Parmi les méthodes employées par les généraux français figurent les enfumades de grottes où étaient entassées des milliers de familles, des incendies de douars, des exécutions sommaires, l’usage du napalm et de produits chimiques létaux, des procédés qui ont inspiré les nazis durant la Seconde Guerre mondiale. C'est ce que Jean-Michel Apathie a résumé dans une chronique en rappelant que l’armée française a fait des centaines d’Oradour-sur-Glane en Algérie, un village français décimé par les nazis.
Il ne suffisait pas plus pour faire bondir une partie des acteurs politiques français, en premier les partis et les personnalités de l’extrême droite et de la droite radicale, dont le programme politique considère que la colonisation française a été historiquement un long fleuve tranquille et qu’elle a même apporté «les bienfaits» de la civilisation aux colonisés. Des semaines durant, a été mise en branle leur arme favorite qui est le lynchage de tous ceux qui ne partagent pas leurs points de vue, parmi eux Jean-Michel Apathie.
La fachosphère politico-médiatique a mis à profit le contexte politico-diplomatique très tendu entre l’Algérie et la France. Il s’agissait de faire d’une pierre deux coups, cacher ou faire oublier les horreurs de la colonisation et en même temps régler le compte à l’Algérie d’aujourd'hui.
Dans cette croisade sont engouffrés tous les nostalgiques de l'Algérie française et de leur bras armé l’OAS. Une partie de l’opinion publique française déboussolée s'est ralliée à leurs thèses, une autre moins crédule, notamment la jeunesse et les forces politiques de gauche, a tenté de distinguer le vrai du faux et de démystifier la campagne d’intoxication. Les médias liés à l’extrême droite et à la droite dure ont jeté tout leur poids dans la balance, notamment ceux de l’audiovisuel dirigés par de grands patrons liés à ces mouvances, les plus en vue BFMTV, BFM et LCI. L’audiovisuel public se voulait plus prudent, mais a été piégé par la cacophonie des officiels et surtout le forcing du ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau, animé par la volonté de nuire à l’Algérie et soucieux d’utiliser la crise algéro-française pour ses ambitions politiques.
De son côté, le président Emmanuel Macron s’est englué dans ses ambiguïtés, n’avouant pas qu’il est à l’origine de la crise en reconnaissant unilatéralement et illégalement l’appropriation du Sahara occidental par le Maroc. En outre, alors qu’il avait déclaré, il y a quelques années, que la colonisation en Algérie est un crime contre l’humanité, il s’est, cette fois-ci, confiné dans le mutisme sur la question soulevée par Jean-Michel Aphatie du parallèle entre le colonialisme français et le nazisme. En sacrifiant une vérité historique, il décrédibilise la volonté qu’il avait affichée, un temps, de «tourner une page» dans les relations franco-algériennes et régler les questions mémorielles. Il s’aligne sur son ministre de l’Intérieur et intègre la fachosphère politico-médiatique française à l’origine de l’éviction de Jean-Michel Aphatie. La France renie ses valeurs démocratiques universelles, parmi elles le respect de la liberté d’expression adossé à la vérité des faits, ce qu’elle a fait au demeurant sur le drame de Ghaza.
Elle a légitimé le génocide de la population palestinienne commis par le gouvernement israélien, en se mettant résolument aux côtés de ce dernier. Elle se mure dans le silence complice sur la tentation affichée par le président américain et le Premier ministre Netanyahu de déporter les Ghazaouis et de recourir à la stratégie de la famine sur leur territoire convoité. Une même vérité historique, la colonisation française en Algérie, la colonisation israélienne en Palestine et le nazisme.