Chronique usuelle des veilles de l’Aïd El Adha : l’aliment de bétail est trop cher, les ovins sont hors de prix et les maquignons cupides ; les plus démunis passeront la fête sans sacrifice et la solidarité doit s’organiser ; l’économie de l'élevage subit des coupes claires et il faudra la laisser souffler…
Chaque année, la proximité de la fête religieuse fait naître les mêmes bulles de débats, puis l’occasion passe selon le même rituel figé, les mêmes excès, la même fatalité…
Est-il vraiment à ce point interdit d’envisager la célébration en dehors de ces contraintes et nuisances admises par tous et pourtant s’imposant à tous ? L’argument religieux, souvent exposé sous forme d’impératif indiscutable pour la perpétuation des mêmes modes de célébration, est pourtant plus souple que ce qui se prêche dans la société à l’occasion. La religion n’impose pas le sacrifice comme un devoir dont le défaut fait de son auteur un mauvais musulman.
Mais la pratique finit par imposer des règles plus rigides que le référent religieux. La pression sociale est si importante que ne pas consentir au sacrifice est un renoncement auquel on ne se résout qu’en désespoir de cause. Les franges les moins dotées financièrement continuent à débourser d’un coup l’équivalent d’un salaire entier, ou parfois deux, pour honorer la tradition en s’alignant sur un conformisme social par définition ouvert à toutes les surenchères.
Il y a comme une obstination culturelle se dissimulant derrière la fidélité au devoir religieux. On préfère chercher le bouc émissaire : maudire l’éleveur laborieux chaque année, son opportunisme présumé, comme pendant le Ramadhan, on maudit le détaillant de fruits et légumes. Exit la petite loi du marché, la sécheresse, les coûts de revient, l’offre et sa demande...
Même les débats sur l’intérêt économique d’éviter, pour une année ou deux, l’abattage massif du cheptel, afin de permettre son renouvellement et sa disponibilité à terme, n’ont plus cours.
Est-il aussi difficile à ce point d’envisager des célébrations moins problématiques en matière d’hygiène dans nos villes ? Les cités et quartiers se transforment systématiquement en abattoirs à ciel ouvert, dont les détritus exigent des jours de travail aux différents services communaux une fois la fête passée.
Une vraie fatalité devant laquelle, les campagnes de sensibilisation, agissant plutôt sur les effets et non les causes, n’ont décidément rien pu faire.
Les réseaux sociaux raffolent ces dernières années du «partage» de ces instantanés d’aires d’abattage improvisées dans les courettes des cités et les parkings. Des scènes et décors tellement répétés qu’ils ont acquis le caractère de normalité. Comme est passée dans la pratique, l’obligation de mobiliser des quantités faramineuses d’eau potable pour la journée, même si la disette est aiguë sur la ressource.
La journée de l’Aïd El Adha représente un pic de consommation annuel pour la Seaal dans l’Algérois, qui nécessite une mobilisation exceptionnelle de ses personnels et de ses installations.
Au moins le double de la ressource habituellement pompée dans les canalisations au quotidien est consommé en quelques heures, la matinée de l’Aïd. Enfin, avec la ronde des saisons, la fête intervient depuis quelques années en pleines grosses chaleurs de l’été, et la question de la préservation de la santé et de l’environnement, en zone urbaine notamment, ne peut être que posée.
Il n’est pas interdit de rêver de zones d’abattage dérogatoires, encadrées par les services spécialisés, comme il se fait dans certains pays musulmans.
Comme il n’est pas interdit de rêver de relations moins contraignantes et plus sereines avec la tradition religieuse et ses avatars culturels, dans ce qu’elle a de facultatif à tout le moins, et de débats questionnant ses adéquations avec les exigences du présent.