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Ces résultats, en apparence invraisemblables, s’expliquent par le fait que le volume de gaz naturel soustrait aux exportations pour produire l’électricité conventionnelle de remplacement et possède un contenu énergétique de 249 millions de MMbtu soit 3,9 fois plus important que les 64,6 MMbtu contenus dans l’H2 vert produit en bout de chaîne. Il fallait s’y attendre sachant que le rendement énergétique de l’électrolyse est médiocre, sans compter la purification de l’eau, grosse consommatrice, elle aussi, d’énergie. Ils s’expliquent également par les coûts élevés de production. La combinaison de ces coûts et surtout de la faible efficacité énergétique de l’électrolyse entraîneront pour l’H2 vert un profit très inférieur à celui que rapportera la vente du gaz économisé.
Les estimations de rentabilité contenues dans le chapitre précédent nous montrent qu’un pareil projet se serait soldé par un gros échec économique. Les pertes financières pourraient alors s’élever à $2887 et $6723 millions/an dans le court terme si l’H2 vert et le gaz sont vendus aux prix respectifs de $10 et $30 le MMbtu. Elles pourraient s’élever presqu’autant à $2241 et $4039 millions/an dans le long terme. Ces pertes ne pourront qu’augmenter avec des coûts de production plus élevés.
Pour que le seuil de rentabilité soit atteint, c’est-à-dire pour que ces pertes se résorbent, il faudrait que le MMbtu de l’H2 vert soit vendu de 3,5 à 4,5 fois plus cher que celui du gaz.
Ainsi, si le prix du gaz est de $10 le MMbtu, l’H2 vert devrait se vendre à plus de $44,7 dans le court terme pour franchir le seuil de rentabilité. S’il est de $30, il devait se vendre à plus de $124,1. Avec de telles différences de prix, le projet d’H2 vert sera loin d’être compétitif et accusera un large déficit comparé à celui du gaz.
Une autre approche, susceptible d’atteindre le seuil de rentabilité pour l’H2 vert, consisterait à améliorer l’efficacité énergétique de l’électrolyse. Les calculs nous montrent que pour y parvenir, l’électrolyse devrait atteindre un tel degré de perfection qu’environ un dixième de kWh seulement, c’est-à-dire un kWh presque nul, suffirait pour produire 1 kg d’H2 vert, au lieu des 55 kWh, ce qui serait très loin du possible.
Et quand bien même l’efficacité de l’électrolyse serait améliorée de quelques kWh en moins, cela ne changerait pas grand-chose.
On peut conclure que quel que soit le coût de production de l’H2 vert, quel que soit le prix de vente du gaz et quelle que soit l’efficacité énergétique de l’électrolyse, il sera nécessaire de le vendre à un prix plusieurs fois plus élevé que celui du gaz pour atteindre le seuil de rentabilité. En d’autres termes, le projet sera déficitaire financièrement dans tous les scénarios de développement envisageables.
Il est important de souligner, sur ce point, que tout ce qui vient d’être dit ne concerne pas que les projets d’exportation d’H2 vert. Il concerne tout aussi bien sa commercialisation locale sur le marché national car le projet se traduira, là aussi, par de grosses pertes financières. Il en sera ainsi dans les deux cas tant que l’électricité verte n’aura pas dépassé les 100% de la consommation locale. Au-delà, la production d’H2 vert pourra être envisagée car elle n’entraînera plus la production d’électricité conventionnelle de remplacement ni la consommation de gaz pour la produire.
Or, ce ne sera pas demain la veille pour qu’on atteigne les 100% d’électricité renouvelable, car on ne prévoit de produire, d’ici 2035 (si tout avance selon les prévisions), que seulement 15 000 MW d’électricité photovoltaïque ne représentant qu’environ 20% de la consommation locale contre 80% pour le conventionnel.
Enfin, ces commentaires concernent tout aussi bien les autres pays gaziers produisant de l’électricité à partir du gaz et envisageant de développer l’hydrogène vert.
Procédés de production d’hydrogène à partir du gaz
Il en existe deux identifiés par des couleurs. Leur connaissance aidera à mieux comprendre le chapitre suivant.
L’hydrogène gris : Totalement différent du procédé de production par électrolyse, cet hydrogène est produit par vaporeforming (Steam Methane Reforming SMR). Ce procédé consiste à provoquer une réaction chimique entre le gaz et de l’eau portés à très haute température, jusqu’à environ 1000° C, avec production d’un mélange d’hydrogène et de gaz carbonique CO2. C’est un procédé peu coûteux mais qui présente l’inconvénient de consommer environ 20 tonnes d’eau par tonne d’H2 produit et d’émettre d’importantes quantités de gaz à effet de serre CO2, d’où son appellation d’H2 gris.
Il est utilisé dans de nombreuses industries telles que la pétrochimie, le raffinage, la sidérurgie, les ciments, le verre, l’électronique… Environ 50% de l’hydrogène gris est produit à partir du gaz dans le monde. En Algérie, il l’est à 100% dans 3 usines produisant autour de 12 000 tonnes/j.
L’hydrogène bleu : C’est de l’hydrogène gris dont on a extrait l’essentiel du CO2 afin de réduire les émissions dans l’atmosphère. Le CO2 extrait peut être valorisé dans diverses applications ou stocké dans des réservoirs souterrains (CCUS). L’hydrogène bleu est de ce fait moins polluant et se rapproche donc de l’hydrogène vert.
L’hydrogène vert et ses émissions indirectes de gaz à effet de serre (GES)
En réalité, l’H2 vert ne supprime pas les émissions de gaz à effet de serre car le détournement d’une partie de l’électricité verte pour les besoins de la production d’hydrogène vert nécessitera, comme expliqué plus haut, son remplacement par de l’électricité conventionnelle. Le gaz naturel qui la produira génèrera d’importantes quantités de CO2. Celles-ci ont d’ailleurs été estimées à une moyenne de 407 kg pour chaque mégawatt/heure produit (Agence de protection environnementale US, 2018).
Dans ces conditions, l’hydrogène vert, qui sera produit en Algérie (et dans bien d’autres pays qui se trouveront dans le même cas), entraînera inévitablement la production indirecte de GES. Il n’est donc pas si vert qu’on le pense. Il ne l’est qu’en apparence, puisqu’il contribue aux émissions de GES tout autant que la combustion du gaz qu’il entraîne.
En outre, la compagnie Praxair Inc, un des leaders dans la production de gaz industriels, estime que le procédé de production de l’hydrogène gris par vaporeforming du gaz naturel émet environ 285 kg de CO2 par mégawatt/heure, soit 30% de moins que les 407kg de CO2 émis par la combustion d’une quantité équivalente de gaz dans des centrales thermiques.
On en déduit donc que la production d’hydrogène vert émet indirectement plus de gaz à effet de serre que dans le procédé de production de l’hydrogène gris par vaporeforming. Ainsi, l’hydrogène dit vert pourrait s’avérer paradoxalement encore plus gris que celui du vaporéforming.
Par conséquent, en ce qui concerne son utilisation comme source d’énergie, l’H2 vert sera partout beaucoup plus coûteux que le gaz, et s’il est produit en Algérie, il sera encore plus préjudiciable en entraînant un projet très déficitaire par rapport à ce qu’aurait rapporté le gaz sans pour autant réduire les émissions indirectes de GES.
Le gaz n’a donc plus rien à envier à l’hydrogène qui ne peut plus se prévaloir du seul avantage qu’il aurait eu sur lui en tant que source d’énergie propre.
Par conséquent, le gaz naturel pourrait avantageusement remplacer l’H2 vert pratiquement partout, d’autant plus que ses émissions de GES étant de moitié inférieures à celles du pétrole, il mérite le rôle qu’on lui prévoit dans la transition énergétique.
Autres avantages du gaz naturel
Un des rôles que l’hydrogène s’apprête à jouer est d’être stocké pour équilibrer l’intermittence de l’électricité renouvelable jusqu’à ce que les batteries soient déployées à grande échelle. Ce rôle pourrait très bien être joué à moindres coûts et sans émettre plus de GES par le gaz naturel beaucoup plus simple à exploiter et largement plus disponible.
De même, en ce qui concerne les utilisations de l’H2 vert dans des industries telles que la pétrochimie, le raffinage, la sidérurgie, etc, il serait, là aussi moins couteux et moins polluant de produire de l’hydrogène gris à partir du gaz par vaporeforming ou encore mieux de produire de l’hydrogène bleu par séquestration ou stockage du CO2 émis par l’hydrogène gris. Exception faite pour les applications particulières où de l’H2 très pur est requis.
Il faut ajouter que le gaz peut éviter bien des problèmes et bien des coûts liés à l’exploitation de l’H2 vert. Parmi les nombreux exemples, nous nous limiterons à un seul pour ne pas trop allonger la discussion.
En effet, les nuances d’acier actuelles des gazoducs, canalisations et unités de compression ont été conçues pour transporter du gaz naturel et non pas de l’hydrogène. Le réseau de gazoducs et de canalisations devra être remplacé ou modifié pour transporter de l’hydrogène pur constituant donc des coûts supplémentaires pour le projet. Cet hydrogène ayant, d’après nos estimations, un contenu énergétique trois fois moins élevé que le gaz, cela signifie qu’il ne pourra transporter que le tiers de l’énergie transportée dans les mêmes conditions par ce gaz. Donc, s’il est vendu sur la base de son contenu énergétique, il ne rapportera, à débit égal, que le tiers de ce qu’aurait rapporté le gaz d’où un important déficit financier.
Conclusions
Le développement d’hydrogène vert en Algérie, qu’il s’agisse se son exportation ou de sa consommation locale, s’annonce comme étant un projet largement déficitaire entraînant des pertes financières considérables.
Au lieu d’utiliser la moins coûteuse des énergies renouvelables qu’est l’électricité photovoltaïque pour produire la plus couteuse d’entre elles qu’est l’hydrogène vert, il serait bien plus profitable d’utiliser cette électricité pour remplacer de l’électricité conventionnelle avec, de plus, l’énorme avantage d’économiser des volumes importants de gaz.
Pour ces raisons, la priorité du renouvelable devrait revenir à l’électricité photovoltaïque et non à l’H2 vert afin de remplacer au plus tôt l’électricité conventionnelle grosse consommatrice de gaz.
Comme le gaz restera pendant très longtemps la principale source de production électrique, la priorité devrait aussi bien concerner l’exploration et l’exploitation du gaz y compris, si possible, le gaz de schistes afin d’assurer la sécurité électrique du pays, d’autant plus que le gaz naturel, beaucoup moins cher et n’émettant pas plus de GES que n’en émet indirectement l’hydrogène vert pourrait remplacer ce dernier dans la plupart de ses applications.
Par Mohamed Terkmani , Ancien directeur à la DG de Sonatrach
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