Développement de l’hydrogène vert : Quel intérêt pour l’Algérie ? ( 1ère partie )

26/12/2023 mis à jour: 09:24
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Dans une récente contribution (https://elwatan-dz.com/exportation-delectricite-vers-leurope-quel-interet-pour-lalgerie), publiée dans El Watan, nous nous étions posé la question de savoir quel intérêt il y avait, pour l’Algérie, à exporter de l’électricité vers l’Europe au lieu d’exporter le gaz utilisé pour la produire. 

Nous étions arrivés à la conclusion qu’un tel projet serait très préjudiciable à l’économie du pays résultant en une perte sèche estimée à environ $1630 millions annuellement pour les 2000 MW prévus être exportés dans une première phase. Une perte qui ne manquerait pas de s’accroître proportionnellement à l’accroissement éventuel de futures phases. 

L’Algérie a décidé d’aller encore plus loin en envisageant de produire d’importantes quantités d’hydrogène vert (H2 vert) pour ses besoins de consommation interne et pour l’exportation vers l’Europe.
 

En effet, on assiste à un véritable engouement pour le développement de l’H2 vert à travers le monde. 
Prenant son essor dans certains pays pionniers, comme l’Allemagne, il ne cesse de se propager tant au niveau des pays industrialisés qu’à celui des pays en voie de développement. Avec la promotion de cette nouvelle source d’énergie, l’objectif principal à atteindre pour ces pays est double. Le premier consiste à renforcer leurs sécurités énergétiques dans le cadre de leurs transitions énergétiques respectives et à l’exporter pour certains d’entre eux. 
 

Le second, aussi important sinon plus, consiste à réduire l’impact climatique des gaz à effet de serre (GES) tels que le gaz carbonique (CO2) ou le méthane (CH4) résultant de sources d’émissions fossiles. Il est espéré qu’en remplaçant progressivement celles-ci par des énergies propres, comme l’H2 vert, on finira par réduire le réchauffement de la planète dû à l’effet de serre et limiter son accroissement à moins de 1,5° Celsius d’ici 2050.
 

L’Algérie n’a pas été en reste puisque l’H2 vert figure parmi les tops priorités de son programme d’énergies renouvelables. Mais l’engouement qu’elle affiche pour l’H2 vert est-il justifié dans le contexte d’un pays qui exploite et exporte des ressources gazières ? La réponse est négative car comme nous le verrons plus bas, il occasionnera une lourde perte financière. De plus, paradoxalement, sa production entraînera indirectement les mêmes émissions de gaz à effet de serre (GES) qu’auparavant. 
 

Qu’est-ce que l’hydrogène vert ? 

Il convient, avant d’aller plus loin et afin de mieux comprendre ce qui suit, d’avoir une idée de ce qu’est cette nouvelle source d’énergie. L’H2 vert est obtenu par électrolyse de l’eau. C’est un procédé qui la décompose en dihydrogène (H2) et en dioxygène (O2) recueillis au niveau de deux électrodes grâce à la circulation d’un courant électrique continu généré par des sources exclusivement renouvelables (solaires, éoliennes…). 

L’hydrogène ainsi obtenu a le gros avantage d’être très pur, totalement dépourvu de CO2 donc idéal pour lutter contre le réchauffement climatique, d’où son appellation d’hydrogène vert. 

A noter qu’il n’est plus considéré comme vert s’il est produit directement ou indirectement à partir d’électricité fossile (émission de GES). Cependant, l’électrolyse a l’inconvénient d’être très coûteuse et de consommer 10 à 11 tonnes d’eau, préalablement purifiée, par tonne d’H2 vert produit. Actuellement, l’H2 vert représente, selon l’AIG, environ 1% de l’hydrogène gazeux produit dans le monde. 
 

Interdépendance de l’hydrogène vert avec les autres sources d’énergie locales 

L’Algérie produit, consomme et exporte du gaz naturel. Elle produit aussi plus de 98% de son électricité à partir du gaz et envisage de produire d’importantes quantités d’électricité verte (photovoltaïque) pour économiser le gaz. C’est dans cet environnement énergétique que vient s’ajouter l’H2 vert, une nouvelle source d’énergie dont la production est étroitement liée, techniquement et économiquement parlant aux autres sources locales d’énergie. 

Effectivement, il sera nécessaire de détourner une certaine quantité d’électricité verte vers les électrolyseurs pour produire cet hydrogène. L’électricité, ainsi détournée, aurait pu remplacer une quantité équivalente d’électricité conventionnelle, ce qui aurait permis d’économiser et exporter le gaz consommé pour la produire. 
 

A titre d’exemple, supposons que, au cours d’une certaine d’années, la part de l’électricité verte produite pour la consommation locale s’élèvera à 30 000 MW et que 15 000 MW en soient soutirés pour alimenter les électrolyseurs produisant l’H2 vert. Il en résultera alors un déficit électrique affectant la consommation locale qu’il sera nécessaire de compenser par un apport équivalent de 15 000 MW d’électricité conventionnelle. 
 

Donc celle-ci entraînera la consommation d’un important volume de gaz soustrait aux exportations pour la produire. 
 

Il s’agit-là d’une démarche tout à fait incohérente car elle consiste à détourner de l’électricité photovoltaïque qui est la moins chère de toutes les énergies renouvelables pour produire de l’hydrogène vert qui, quant à lui, est la plus coûteuse de toutes ces énergies et qui, au final, sera utilisée pour ne produire, à des coûts excessifs, qu’une petite fraction de l’électricité  photovoltaïque utilisée au départ. Tout compte fait, des ressources en gaz très profitables sont consommées au départ pour aboutir, en fin de course, à de l’H2 vert ou de l’électricité de bien moindre valeur.

La question qui se pose est alors tout simple. Au lieu d’utiliser de l’électricité photovoltaïque pour produire de l’H2 vert, ne serait-il pas au contraire hautement profitable d’utiliser cette électricité pour remplacer la même quantité d’électricité conventionnelle et économiser ainsi le volume de gaz requis pour la produire ? 
Il suffira, pour répondre à la question, d’évaluer la rentabilité d’un projet d’H2 vert. 
 

Données de base pour estimer la rentabilité du projet 

Les calculs nous ont permis de conclure que les 15 000 MW d’électricité solaire détournés pour alimenter les électrolyseurs généreront 26,28 téra watts/heure (twh) en supposant une efficacité énergétique de 20% pour les cellules photovoltaïques donc proche du maximum. Etant donné qu’il faut environ 55 kwh pour produire 1 kg de H2 vert, les 26,28 twh pourront produire 477 818 tonnes d’H2 vert soit l’équivalant énergétique de 64,6 millions de mmbtu (million british thermal units) sachant que 1kg de H2 = 0,1344 MMbtu. 

La même quantité d’électricité conventionnelle, soit 26,28 twh, qui sera produite pour remplacer l’électricité verte (détournée vers les électrolyseurs), nécessitera la consommation d’un volume de 6,675 milliards de m3 de gaz, soit l’équivalent énergétique de 249 millions de MMbtu. 

Pour ce qui est du coût de production de l’H2 vert, il est très élevé et se situe dans un éventail allant d’environ $20 à $75 le MMbti. Nous utiliserons le coût le plus bas de cet éventail, soit $20, en gardant à l’esprit qu’il s’avérera probablement plus élevé et, dans ce cas, plus préjudiciable pour le projet. Par contre, un faible coût de production de un dollar par MMbtu sera utilisé pour le gaz. Nous évaluerons la rentabilité du projet en supposant deux prix de vente différents du MMbtu pour le gaz, soit $10 et $30 (il s’est vendu bien plus cher au cours de la récente crise gazière en Europe). 
 

Comme les futurs prix de l’H2 vert ne sont pas connus, nous les supposerons, comme point de départ, similaires à ceux du gaz puisqu’ils pourraient se retrouver en compétition sur une base énergétique. 

De toute façon, une certaine différence de  prix ne changera pas significativement les résultats. Sur la base de ces données, nous estimerons le profit généré par la vente du gaz économisé ainsi que celui de l’H2, ce qui permettra de préciser le déficit financier que pourrait accuser le projet dans ces conditions. Puis, de-là, nous évaluerons le prix auquel devrait s’élever le MMbtu de l’H2 vert pour que le projet atteigne le seuil de rentabilité, c’est-à-dire qu’il génère les mêmes profits que le gaz sans aucune perte. 
 

Déficit du projet d’hydrogène vert produit par les 15 000 MW d’électricité renouvelable 
 

Le déficit se creusera encore plus pour des capacités de production plus élevées.

1. Scénario à court terme

Il est supposé que le coût de production est de $20 le MMbtu pour cette période. 
• Pour un prix de vente de $10 le MMbtu, les recettes engendrées par l’H2 vert seront négatives et égales à -$646 millions/an (moins $646 millions/an) car la marge bénéficiaire du MMbtu sera alors négative ($10 - $20 = - $10). Quant aux 6,675 milliards de mètres cubes de gaz consommés pour produire de l’électricité conventionnelle remplaçant l’électricité verte, ils auraient pu être exportés et rapporter $2241 millions/an, à raison de $10 le MMbtu ($9 de marge bénéficiaire). 
 

Dans ces conditions, le projet accusera une perte sèche énorme de $2241+$646 = $2887 millions/an. Pour atteindre la parité avec le gaz et résorber cette perte, il faudrait que le prix de vente de l’H2 vert s’élève à $34,7 le MMbtu, soit 3,5 fois le prix du gaz lorsque celui-ci se vend à $10. 
 

• Pour un prix de vente de $30 le MMbtu, la marge bénéficiaire sera de $10 par MMbtu pour l’H2 vert ($30-$20=$10) avec un profit minime de +$646 millions/an alors que celui du gaz sera de $6723 millions/an. Le projet accusera donc une perte sèche énorme de $6723-$646 = $6077 millions/an qui sera encore bien plus élevée que la précédente. 
 

Pour que cette perte se résorbe, il faudrait que le prix de vente de l’H2 vert s’élève à $104,1 le MMbtu, soit 3,5 fois le prix du gaz lorsque celui-ci se vend à $30..

2. Scénario à long terme 

Le coût de production de l’hydrogène vert pourrait baisser de $20 à $10 le MMbtu grâce aux avancés technologiques et aux économies d’échelle. Si nous reprenons les mêmes calculs que précédemment, pour ce cas, nous obtenons une perte sèche de : 
• $2241 millions/an pour un prix de $10/MMbtu. 
• $4039 millions/an pour un prix de $30/MMbtu. 
Pour que cette perte se résorbe, il faudrait que le prix de vente de l’H2 vert s’élève à $34,7 et $104,1 le MMbtu. pour des prix respectifs du gaz de $10 et $30 le MMbtu, soit 3,5 fois plus élevés dans les deux cas..

3. Scénario pour un coût de production nul de l’H2 vert

On pourrait nous rétorquer que le projet deviendrait compétitif si le coût de production continue à baisser en dessous de $10. Or, cette compétitivité ne peut se produire, même dans le cas extrême mais absolument impossible où le coût de production de l’H2 vert chute à $0 (zéro dollar) car cela reviendrait à le produire gratuitement. Si nous reprenons les mêmes calculs que précédemment pour ce cas, le projet subira une perte sèche de : 
•1595 millions/an pour un prix de $10/MMbtu. 
•$4785 millions/an pour un prix de $30/MMbtu. Pour que cette perte se résorbe, il faudrait que le prix de vente de l’H2 vert s’élève à $34,7 et $104,1 le MMbtu pour des prix respectifs du gaz de $10 et $30 le MMbtu soit 3,5 fois plus élevés dans les deux cas.

Avec des chiffres aussi éloquents, une analyse économique approfondie ne semble pas indispensable. 

( A suivre...)
 

Par Mohamed Terkmani

Ancien directeur à la DG de Sonatrach

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