Développement de l’hydrogène vert en Algérie : Prévisions de production surestimées, coûts excessifs et émissions de GES inchangées

23/02/2025 mis à jour: 13:57
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Photo : D. R.

Par Mohamed Terkmani
Ancien directeur à la DG de Sonatrach - mterkmani@msn.com

Après avoir connu initialement un engouement considérable en tant, notamment, que source d’énergie très propre, dépourvue de gaz à effet de serre (GES) et susceptible de remplacer progressivement le gaz naturel, l’intérêt suscité par l’hydrogène vert (H2 vert) ne cesse de s’estomper.

Ainsi, l’Agence internationale de l’énergie (AIE) constate un ralentissement dans l’adoption des projets d’H2 vert. Les raisons invoquées sont multiples et incluent des demandes incertaines, des coûts excessifs, des difficultés de financement, des régulations ambiguës…

Pour sa part, le bureau d’études et de recherches américain Bloomberg, de réputation internationale, évalue les coûts actuels de production entre $3,74 et $11,70 le kg, qui, sur une base énergétique, correspondent à $27,8 et $ 87 par MMbtu (Dollars US par Million de British Thermal Units) alors que ceux du gaz naturel tournent autour de $1 par MMbtu. Il prévoit aussi qu’en 2050, les coûts de production de l’H2 vert varieront entre $1.60 and $5.09 le kg qui correspondent à $11,9 et $37,9 par MMbtu, en hausse par rapport à ceux estimés un an et demi plus tôt.

D’ailleurs, nombre de compagnies, comme Shell, Equinor, Repsol et Cepsa ont reporté ou mis fin à divers projets.
Qu’en est-il pour l’Algérie ?

Des prévisions largement surestimées

La production nationale d’H2 vert est prévue de s’élever officiellement à 40 Térawatt-heures (TWh) en 2040. Certaines prévisions vont même au-delà. Pour produire ces 40 TWh, il sera nécessaire d’alimenter les électrolyseurs d’une quantité d’électricité renouvelable,  essentiellement solaire, qui, selon nos calculs, s’élèvera à environ 66 TWh.

Cependant, le programme algérien de développement des énergies renouvelables (EnR) ne prévoit qu’un total de 15 000 MW d’électricité photovoltaïque (PV) en 2035 correspondant à environ 20 TWh. En extrapolant les 15 000 MW jusqu’en 2040 à raison de 1000 MW par an, nous obtenons 20 000 MW de renouvelable correspondant à environ 27 TWh.

Donc, si tout se déroule comme prévu, sans aucun retard, on ne pourra produire plus de 27 TWh d’électricité renouvelable. Par conséquent, il sera tout à fait impossible de produire 40 TWh d’H2 vert en 2040 puisqu’ils impliqueraient la consommation de 66 TWh d’électricité renouvelable alors qu’au maximum, 27 TWh seulement seront disponibles.

Tout au plus, et si la totalité de ces 27 TWh est utilisé pour aimanter les électrolyseurs, on ne pourra, au maximum, produire plus de 16 TWh d’H2 vert au lieu de 40 TWh. Mais s’il n’est possible de prélever qu’une partie des 27 TWh, par exemple la moitié seulement, la production d’H2 vert ne dépassera pas les 8 TWh soit un cinquième seulement des 40 TWh prévus.

Perte financière d’un projet d’H2 vert résultant de deux coûts de nature différente…
De toutes façons, même si, par miracle, les 40 TWh d’H2 vert étaient produits, ils seraient loin d’être rentables et se seraient soldés par une perte financière énorme résultant de deux coûts simultanés qui se manifesteront en permanence temps que l’électricité renouvelable n’aura pas dépassé100% des besoins nationaux.

Coûts de production directs

Actuellement, ces coûts, que nous dénommerons «coûts directs» varient, selon Bloomberg, de $27,8 à $ 87 par MMbtu 
Il sera supposé, dans ce qui suit, que l’H2 vert est appelé à entrer en compétition avec le gaz sur une base essentiellement énergétique donc sur un prix similaire ou proche pour les deux produits.

Si le gaz est vendu à $10 le MMbtu (marge bénéficiaire $9), l’H2 vert devrait se vendre, actuellement ou dans le très court terme, à un prix allant d’un minimum de $36,8 /MMbu ($27,8+$9) à un prix maximum de $96 ($87+$9) ou encore être vendu de 3,7 fois à 9,6 plus cher que le gaz pour réaliser la même marge bénéficiaire.

A cela s’ajouteront les «coûts indirects» qui seront expliqués plus bas. Dans ces conditions, tout projet actuel de développement d’H2 vert serait économiquement injustifié. 
En ce qui concerne le long terme, Bloomberg prévoit que les coûts de l’H2 vert baisseront et varieront de $11,9 à $37.9 par MMbtu d’ici à 2050. A raison de $10 le MMbtu, l’H2 vert devrait rapporter $ 982 millions/an.

Par contre, les coûts directs varieront d’un minimum de $11,9 à un maximum de $37,9 par MMbtu ce qui donne un total de coûts directs allant de $1169 à $3722 millions/an. Il en résultera une lourde perte financière allant d’un minimum de $187 à un maximum de $2740 millions/an. Sans compter les coûts indirects qui seront précisés plus bas.

Cela signifie que même en 2050, le projet restera non rentable bien que moins déficitaire qu’auparavant. Il est possible, qu’après 2050, les coûts de production du gaz évoluent en hausse pendant que ceux de l’H2 vert diminuent jusqu’à finir par se rencontrer mais il semble que cela ne soit possible qu’après 2050.

Coûts indirects de production

Il s’agit-là de coûts cachés et invisibles que nous dénommerons «coûts indirects» et qui nécessitent une explication pour bien comprendre leur origine et leur impact. 
Il faut savoir, en effet, que les pays exportateurs (et même importateurs) de gaz devront passer obligatoirement par une première et longue période durant laquelle le coût indirect s’ajoutera au coût direct compromettant encore plus sévèrement la rentabilité du projet de l’H2 vert.

Elle durera aussi longtemps que l’électricité renouvelable n’aura pas dépassé les 100% des besoins nationaux. Durant cette période, le prélèvement d’une partie ou de toute l’électricité renouvelable sera requis pour alimenter les électrolyseurs générant l’H2 vert.

Ce prélèvement provoquera un déficit électrique qui nécessitera son remplacement pat un apport équivalent d’électricité conventionnelle produite à partir du gaz naturel.

Le rendement réduit des centrales thermiques se traduira alors par une déperdition d’énergie entre le gaz consommé et l’électricité de remplacement qu’il produit, ainsi que par une seconde déperdition d’électricité dans les électrolyseurs, déperdition qui se répercuteront sur la quantité d’H2 vert produit.

En fin de compte, tout revient à dire qu’une importante quantité d’énergie gazière est consommée en amont pour produire une quantité bien moindre d’H2 vert en aval.

En supposant que ces deux produits soient vendus sur une base énergétique à raison d’un prix commun de $10 le MMbtu, le contenu énergétique de l’H2 vert et donc sa valeur financière sera très inférieure à celles du gaz qui, au lieu d’être consommé, aurait pu être exporté.

Au cours de la seconde et lointaine période qui suivra, il sera possible de produire un surplus d’électricité renouvelable en sus des 100% pour alimenter les électrolyseurs sans avoir à en prélever à partir de la consommation locale. Donc il n’y aura plus de déficit à remplacer par de l’électricité conventionnelle ni à consommer du gaz pour la produire.

Par conséquent, le «coût indirect» n’aura plus sa raison d’être et il disparaîtra de lui-même. Ne subsistera alors que le «coût direct» qui pourrait continuer à baisser suffisamment pour rendre le projet rentable. Mais, selon les chiffres de Bloomberg, cette éventualité pourrait ne se produire qu’au-delà de 2050, donc trop lointaine pour en parler maintenant à moins que des progrès technologiques se produisent entre temps

Exemple

A titre d’illustration, les statistiques officielles nous disent que la production totale d’électricité en Algérie s’est élevée à 74 TWH fin septembre 2024 avec un accroissement de 5% par rapport à septembre 2023. En extrapolant ces chiffres jusqu’en 2040, la production totale s’élèvera à environ 162 TWh (renouvelable plus conventionnelle).

Comme la production d’électricité renouvelable sera inférieure à la production totale  d’électricité puisqu’elle n’atteindra qu’environ 27 Twh en 2040 comparée à un total de 162 TWh, tout prélèvement d’électricité renouvelable ne pourra, selon nos calculs, générer plus de 16 TWh  d’H2 vert.

Et quand bien même il serait possible par miracle de produire 66 TWh d’électricité renouvelable en 2040, son prélèvement à partir de la consommation locale pour produire les 40 TWh d’H2 vert nécessiterait de combler le déficit électrique qui s’ensuivrait en le remplaçant par 66 TWh d’électricité conventionnelle obtenus par la combustion estimée à 16,8 milliards /an de mètres cubes de gaz à raison de 0,254 milliards de mètres cubes par TWh.

En supposant un prix énergétique commun de $ 10 le MMbtu pour le gaz et l’H2 vert, ce dernier ne produira que 98,2 millions de MMbtu qui rapporteront $982 millions/an alors que le gaz consommé pour produire l’électricité de remplacement représentera une dépense de $5936 millions/an car il aurait pu rapporter ce montant à l’export.

La différence représenterait le «coût indirect» du projet d’H2 vert qui se serait traduit par une perte estimée à $ 4954 millions/an. En y ajoutant le coût direct qui varie de $1169 à $3722/an millions/an,t en résultera, au total, une perte financière énorme allant d’un minimum de $6123 à un maximum de $8676 millions/an.

Par conséquent, les 40 TWh d’H2 vert prévus pour 2040, s’avéreront non seulement surestimés mais aussi lourdement déficitaires financièrement.
Par contre, il sera possible de produire 27 TWh d’électricité renouvelable en 2040. Comme une partie seulement, disons la moitié, pourrait en être soutirée pour alimenter les électrolyseurs, il n’en sera produit que 8 TWh d’H2 Vert qui de plus seront sans intérêt économique car ils accuseront un déficit financier allant de $1225 à $1735 millions/an donc, là aussi, loin d’être rentable.

En fait, avec les coûts anticipés, quel que soit le niveau de production d’un tel projet, faible ou élevé, il accusera toujours un important déficit financier.

La question qui se pose alors est de savoir quel intérêt il y aurait à investir dans le pipeline SoutH2 d’hydrogène qui a fait récemment l’objet d’un mémorandum d’entente avec plusieurs pays, s’il est appelé à ne transporter qu’une trop faible production d’H2 vert qui, de surcroît, s’annonce non rentable.

Au cours de la seconde période de production qui suivra, le coût indirect disparaîtra et seul le coût direct subsistera.

Cependant, ne pourront atteindre cette période que les pays qui seront en mesure de produire leur électricité renouvelable plus rapidement que leur électricité conventionnelle. Ils finiront alors, tôt ou tard, par atteindre la seconde période avec l’espoir que les coûts continueront à baisser pour atteindre la parité avec le gaz.

Mais cela ne sera pas pour demain ni après-demain. Pour ce qui est des pays qui, inversement, produiront le renouvelable moins rapidement que le conventionnel, cette période ne sera jamais atteinte. Au contraire, elle s’éloignera de plus en plus.

C’est ce qui risque de se produire pour ces pays, y compris l’Algérie, vu la lenteur de son programme EnR comparé à l’accroissement rapide de son électricité conventionnelle.

Pour atteindre la seconde période en 2040, il faudrait que le programme EnR algérien augmente énormément et passe de 1000 MW/an à 6000 MW/an pour totaliser 120 000 MW cette année là et que, à partir de là, il s’accroisse au même rythme ou plus vite que l’électricité conventionnelle. 
A un rythme moindre, la première période se prolongera de plus en plus au-delà de 2040 et pourrait se prolonger indéfiniment sans atteindre la seconde période.

Les GES restent inchangés car ils sont émis indirectement par l’H2 vert qui, de ce fait, perd son unique avantage sur le gaz naturel
L’engouement suscité par l’H2 vert repose essentiellement sur ses qualités de gaz très propre dépourvu de GES donc idéal pour réduire le réchauffement de la planète. 

En fait, cela est inexact car, comme nous l’avons vu plus haut, la production d’H2 vert, entraînera la consommation de gaz pour générer la même quantité d’électricité conventionnelle remplaçant l’électricité renouvelable. Sa consommation émettra des GES et on peut dire que la production d’H2 vert émet, bien qu’indirectement, autant de GES que le gaz produisant cette électricité. Ainsi, en fin de compte, l’avantage auquel l’H2 vert se prévalait en tant qu’énergie propre disparait : il n’est pas si vert que ça !

La société Praxair, un leader dans la production des gaz industriels, estime que la production d’H2 gris par vaporeforming du gaz naturel émet environ 285 kg de CO2 par mégawatt/heure. De son côté, l’Agence US de Protection environnementale estime à une moyenne de 407 kg le CO2 produit par la combustion de chaque mégawatt/heure de gaz.

Ces chiffres nous montrent que la combustion de gaz naturel émet environ 30% de GES en sus de celui émis par l’H2 gris. Donc l’H2, dit vert, qui entraine la consommation de gaz, pollue indirectement plus que l’H2 gris. 

Il faut ajouter aussi  que l’hydrogène est la plus petite des molécules et fuit ou diffuse plus facilement que les autres gaz avec un effet 3 fois plus préjudiciable pour l’environnement.
Par conséquent, l’H2 vert s’apparente beaucoup plus à  de l’H2 gris voire gris foncé. On peut dire alors que le gaz naturel, qui est beaucoup moins cher et pas plus polluant que l’H2 vert, est plus avantageux dans pratiquement toutes ses applications.

Parmi ces avantages, trop nombreux pour être mentionnés ici, nous nous limiterons à citer un seul d’entre eux à titre d’exemple.

En effet, une des applications prévues pour l’H2 vert est de le stocker sous pression, par exemple dans des réservoirs souterrains pour pouvoir le déstocker à tout moment, la nuit, durant les faibles périodes d’ensoleillement journalier et saisonnier ou de faible vent, en vue de produire de l’électricité pour compenser l’intermittence des EnR telles que le solaire ou l’éolien.

Pour y parvenir, il sera nécessaire de passer par plusieurs étapes de développement qui consistent à produire de l’électricité renouvelable, à l’utiliser pour alimenter les électrolyseurs, à remplacer cette électricité par de l’électricité conventionnelle elle-même produite par la combustion d’un certain volume de gaz détourné de l’exportation, disposer d’une importante quantité d’eau purifié pour l’électrolyse, stocker l’H2 vert sous pression puis le soutirer pour produire de l’électricité  à un coût prohibitif.

Pourquoi se compliquer l’existence pour produire de l’électricité excessivement chère alors qu’on n’a nul besoin de passer par ces étapes pour le gaz puisqu’il est déjà stocké naturellement dans les gisements, qu’il est abondamment disponible dans le monde, qu’il n’émet pas plus de GES que l’H2 vert, qu’il est plus pratique et moins dangereux qu’il produit une électricité beaucoup moins coûteuse et que, de ce fait, il est beaucoup plus avantageux que l’H2 vert pour compenser l’intermittence. Utiliser l’H2 vert à cette fin est tout à fait paradoxal.

Conclusions

Il ressort, de ce qui vient d’être dit, que la production d’H2 vert prévue atteindre officiellement 40 TWh en 2040, est non seulement largement surestimée mais subira également  des pertes financières pouvant atteindre plusieurs milliards de dollars US 

L’H2 vert ne peut pas se prévaloir de son avantage de gaz dépourvu de GES car il émet, indirectement, autant de GES que le gaz naturel produisant l’électricité conventionnelle de remplacement. De ce fait, le gaz naturel n’a plus rien à envier à l’H2 vert et reste le plus avantageux dans la quasi-totalité de ses applications.

Il restera la source prépondérante de production d’électricité pendant très longtemps.
Pour ces raisons, l’effort mené actuellement dans l’exploration et la production du gaz naturel devrait être amplifié afin d’assurer, le plus longtemps possible, la sécurité électrique du pays.

De même, le programme EnR devrait, autant que faire se peut, être intensifié afin de produire de l’électricité renouvelable à moindre coût et d’accroitre les économies de gaz naturel.
Enfin, il serait souhaitable que les responsables et experts concernés se penchent  sur ce qui vient d’être exposé et en évalue les résultats afin de définir la meilleure voie à suivre. M. T.

Références

1 - Charles Kennedy: Oil price Green Hydrogen Costs to Stay Too High For Too Long 
https://oilprice.com/Alternative-Energy/Fuel-Cells/Green-Hydrogen
2 -  Mohamed Terkmani. Exportation d’électricité algérienne vers l’Europe et développement de l’hydrogène vert. Quelle alternative pour des projets sans intérêt économique El Watan.
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