L’administration Biden exporte son «sommet pour la démocratie» cette année : Séoul, la capitale sud-coréenne, a accueilli lundi dernier des dirigeants du monde et des ONG autour des risques que représentent les usages incontrôlés de l’intelligence artificielle (IA) sur les régimes politiques libéraux et les conditions de l’exercice démocratique, notamment les élections.
Antony Blinken, le secrétaire d’Etat américain entièrement accaparé les derniers mois par la tâche d’assurer un parapluie diplomatique à Israël dans le propos du conflit à Ghaza, a fait le déplacement pour souligner l’importance du sommet et l’engagement des USA, puissance numérique mondiale, à assumer leurs responsabilités.
Même si le lien peut paraître arbitraire entre les grands malheurs de Ghaza et la réflexion autour des menaces que font peser les développements accélérés de l’IA sur l’éthique politique, il est permis de rappeler que la même administration qui mène le débat aujourd’hui a passé des mois à tordre le cou à la démocratie à l’ONU en usant et abusant de son veto pour dire non à l’arrêt de la guerre.
Plus de 30 000 Palestiniens tués et un large consensus international enfin établi sur l’ADN criminel d’une colonisation de peuplement – que le récit occidental s’entête à présenter comme la juste réparation d’un génocide contre les juifs – ne suffisent toujours pas à éteindre le feu en Palestine.
Même si la pertinence de sa thématique ne souffre aucun doute, le sommet de Séoul dégage un désagréable effet Larsen dans le contexte et fait là encore objectivement douter de la fiabilité de la mécanique des priorités américaines et des vertus de ce bon vieux label démocratique dont se revendique la première puissance mondiale.
La teneur des débats à Seoul a épousé les lignes de fracture entre puissances géopolitiques rivales, selon les définitions que l’on se fait des droits de l’homme, de la libre expression et autres fondements «universels» de la démocratie.
Le sommet se place donc dès l’abord comme une autre séquence de la lutte pour le leadership mondial. Ainsi, si l’on se fie à l’orientation des présentations faites lundi dernier à l’ouverture de la rencontre, il est davantage question de pointer du doigt les pratiques chinoises et russes dans le domaine numérique et cette prédilection qu’on leur prête à la désinformation et à la manipulation de masse.
Il n’est sans doute pas un hasard du calendrier que quelques jours avant le sommet de Séoul, le Congrès américain ait voté en grande majorité, et c’est rare, un ultimatum s’apparentant à une menace d’interdiction contre la plateforme chinoise à grand succès, TikTok.
Le phénomène chinois, qui se targue d’avoir séduit plus de 170 millions d’abonnés américains (près de 1,5 milliard d’utilisateurs actifs et 3 milliards de téléchargements dans le monde) est accusé de servir de plateforme d’espionnage et de siphonnage de données au profit du... Parti communiste à Pékin. TikTok est surtout un concurrent trop compétitif pour les réseaux sociaux américains, tels que Facebook et X.
La guerre meurtrière qui continue de mutiler le corps de Ghaza est primitive dans sa cruauté et porte atteinte plus immédiatement et lancinamment à l’essence même de l’éthique politique à l’échelle de l’humanité.
Elle a déjà mis à nu les limites d’un ordre mondial prolifique en principes d’équité et de droits humains, mais incapable de les transformer en actes quand il s’agit de porter secours à des enfants qui se font pulvériser par les bombes ou tuer par la faim. Le crime est mené par «la seule démocratie au Moyen-Orient» –comme on se plaît à affubler Israël en Occident – sous le parrainage actif des USA qui, eux, s’adjugent le statut de «première démocratie au monde».
Protéger la démocratie de la menace du deepfake et des chatbots incontrôlés est sans doute une intéressante mission ; la prémunir des dérives de ceux-là même qui en font un label exclusif en est une autre, peut-être plus urgente et «existentielle».