Cuisine et gastronomie méditérannéennes : Plaider pour sortir des plats clichés

28/03/2023 mis à jour: 17:52
AFP
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Photo : D. R.

Alors qu’une grande majorité des pays de la Méditérannée sont en plein mois de grande consommation, les chefs étoilés, plus précisément Alain Ducasse, plaide pour changer les habitudes alimentaires sans perdre le cachet méditérannéen.

Il faut oser déplaire : du haut de ses 20 étoiles Michelin, le record mondial pour un cuisinier aujourd’hui, le Monégasque Alain Ducasse assume la prise de risques et transmet cet état d’esprit à ses élèves, dont plusieurs sont devenus stars à leur tour.

Pour les 35 ans du restaurant Louis XV à l’hôtel de Paris, qui lui a «permis de conquérir le monde», le chef de 66 ans a été célébré jeudi à Monaco, au cours d’un dîner de gala préparé par ses disciples étoilés, en présence du prince Albert II et de la crème de la gastronomie mondiale. Lorsqu’il débarque en mai 1987 en Principauté, Alain Ducasse décide de faire «des légumes en cocotte en fonte avec un gros morceau de lard», raconte à l’AFP celui qui est devenu citoyen monégasque en 2008. «Le prince Rainier me dit : Est-ce que les gens vont manger ça ? Je dis : oui, ils vont s’habituer.

Est-ce qu’ils ont déjà mangé ça ? Je dis : non. Et les clients se sont habitués». Première révolution : les plats paysans et végétaux entrent dans un palace et la cuisine méditerranéenne devient gastronomique et à la mode. Le monde entier veut faire comme Ducasse.

Une cuisine plus naturelle

Cette semaine à Monaco, la sélection gastronomique La Liste, qui établit son classement à partir des guides et critiques, a rendu hommage à la cuisine méditerranéenne.

Au Louis XV, celle de Ducasse, qui ne cuisine plus lui-même et se présente comme le «directeur artistique» de ses restaurants, est désormais infusée de son dernier concept de «naturalité» : sans viande, sans beurre et très peu de sucre. Cette cuisine était servie depuis 2014 au Plaza Athénée, à Paris, qui s’est séparé de Ducasse en 2021. L’un des ex du Plaza, Emmanuel Pilon, a récemment pris les rênes du Louis XV.

Gamberoni de San Remo avec asperges crues et fermentées pour «une pointe d’acidité et d’aspérité» et bourgeons d’amandier pour l’amertume : ce plat d’Emmanuel Pilon résume l’aspiration à amener «une évolution dans la cuisine méditerranéenne», explique le chef à l’AFP. 
«Au Plaza, il fallait être radical pour imposer la naturalité.

Maintenant, on s’amuse pour en saupoudrer l’ensemble du mouvement que je porte», du restaurant Esterre à Tokyo au réfectoire Sapid ou au burger végétal Burgal à Paris où l’on peut manger «à partir de 10 euros», souligne Alain Ducasse.

Pamplemousse confit avec la peau, chanvre brûlé, salicorne : le dessert de Jessica Préalpato, ex-cheffe du Plaza, élue meilleure pâtissière au monde par 50 Best en 2019, divise à Monaco. «Pas grave», elle en a l’habitude.

Elle prépare l’ouverture d’une boutique à Paris en y apportant «un peu plus de gourmandise» par rapport aux créations «très brut» du Plaza, sans pour autant renoncer aux préceptes Ducasse. «Cela a marqué ma vie, maintenant j’ai du mal à faire différemment», confie-t-elle à l’AFP. Alain Ducasse, lui, cherche de nouvelles pistes pour déranger le client et lui procurer des expériences inoubliables.

Oser déplaire

Il conseille de manger à Kyoto un poisson ayu grillé vivant. «Son foie développe une amertume incommensurable. Ce n’est pas séduisant mais vous ne l’avez jamais goûtée. Cela me donne l’idée de la suite», raconte-t-il. Il étudie aussi un livre japonais sur l’astringence, un goût qu’on «ne connaît pas» assez. «Il faut créer des frustrations et pas que du plaisir.

Cela veut dire : oser déplaire». Ducasse «n’a peur de rien et il est toujours le premier à faire avancer les choses, cela m’a toujours fascinée», déclare à l’AFP la Britannique Clare Smyth, formée au Louis XV, cheffe de son restaurant triplement étoilé à Londres et meilleure cheffe au monde du World 50 Best en 2018.

Au Core, elle met les légumes au centre de l’assiette et fait de la pomme de terre l’ingrédient clé. «Les gens ont pensé “elle est folle” de servir de la patate. Mais, au bout d’un moment, ils ont commencé à comprendre». «J’ai le devoir de protéger la tradition, de rompre avec la tradition pour la reconstruire en portant un regard critique et non nostalgique sur le passé», soutient pour sa part l’Italien Massimo Bottura, 3 étoiles Michelin, formé par Ducasse, il y a 30 ans.


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