La situation sécuritaire se dégrade de plus en plus dans le nord du Mali. Le retrait total en ce mois de décembre de la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (Minusma), garante de l’Accord de paix entre le gouvernement malien et les groupes politico-militaires du nord du pays, laisse un vide sécuritaire incommensurable dans ce vaste Etat de l’Afrique de l’Ouest.
Les combats font rage entre les forces armées maliennes et les groupes rebelles du Nord, qui accusent les autorités de Bamako, à leur tête le chef de la transition, le colonel Assimi Goïta, d’avoir violé les termes de l’Accord de paix et de réconciliation issu du processus d’Alger.
Le Cadre stratégique permanent pour la paix, la sécurité et le développement (CSP-PSD), regroupant les principaux groupes armés maliens du Nord, a annoncé, jeudi, la mort de l’un de ses officiers lors d’intenses frappes de drones contre la région de Kidal. Il s’agit du célèbre colonel Hassane Ag Fagaga, ex-déserteur de l’armée malienne, devenu l’une des figures de proue des mouvements politico-militaires du Nord-Mali.
D’importants accrochages ont été signalés dans cette région entre des groupes armés affiliés au CSP-PSD, signataires de l’Accord de paix d’Alger, et les forces armées maliennes soutenues par le groupe paramilitaire privé russe Wagner.
Les combats les plus acharnés ont eu lieu dans la région Anéfis, à plus de 100 km au nord de Gao, bastion de la rébellion touareg, que l’armée malienne contrôle depuis le 7 octobre dernier.
La situation est aussi inquiétante dans la région de Kidal, où les accrochages se multiplient entre l’armée malienne, qui s’appuie dans son offensive sur les troupes de Wagner, et les groupes armés du Nord qui ont l’avantage du terrain.
Si l’armée malienne a réussi à récupérer la ville de Kidal, elle demeure loin d’avoir le contrôle sur cette vaste région désertique qui fait six fois la superficie de la Suisse et presque celle de l’Italie. Après avoir annoncé son retrait de la ville de Kidal en novembre dernier pour «des raisons estimées stratégiques», le CSP-PSD renforce ses positions dans la région et dit préparer une offensive vers le centre du Mali.
Ce qui semble cohérent avec son appel lancé récemment pour «la mobilisation permanente de toutes les composantes du peuple de l’Azawad» pour atteindre les objectifs déterminants fixés à cette «nouvelle étape» de leur «lutte commune».
La partie est donc loin d’être gagnée pour l’armée malienne qui s’enfonce à nouveau dans le marécage d’un conflit armé qui risque d’être sans issue, si les autorités de Bamako continuent à ignorer le cadre stratégique balisé par l’Accord d’Alger.
C’est d’ailleurs au nom du non-respect de cet accord signé avec l’ancien gouvernement malien en 2015 que le CSP-PSD a annoncé, en septembre dernier, qu’il agirait en «légitime défense contre les forces de la junte».
Outre le désarmement des groupes rebelles, l’Accord d’Alger prévoyait de créer un cadre institutionnel permettant aux populations de la région du Nord de gérer elles-mêmes leurs propres affaires sur la base de la libre administration et à travers une architecture institutionnelle dotée d’organes élus au suffrage universel et de pouvoirs étendus. Huit ans après sa signature, cet accord n’est pas appliqué.
Frictions
Les nouvelles autorités de Bamako, issues du dernier coup d’Etat qu’a connu le Mali en 2021, n’ont pas accédé à la demande du CSP-PSD relative à l’inclusion, dans la nouvelle Constitution adoptée en juillet dernier, de certaines dispositions réglementaires figurant dans l’accord de paix qui concerne le mode de gouvernance des territoires du Nord dans un Mali uni.
En plus clair, le CSP-PSD reproche au gouvernement malien de n’avoir pas introduit dans la réforme constitutionnelle la décentralisation, élément-clé de la résolution de la grave crise que traverse le pays.
Dans une déclaration rendue publique en avril dernier, le CSP-PSD avait fait état de l’engagement du gouvernement malien, lors la dernière réunion de niveau décisionnelle (RND), tenue du 1er au 5 août 2022 à Bamako, à «veiller à la prise en charge intégrale de l’Accord dans la nouvelle Constitution, ceci conformément à l’article 3, chapitre 1, titre 1 dudit Accord».
Mais cet engagement n’avait pas été respecté, a précisé le représentant des mouvements du Nord-Mali, signataires de l’accord, tout en déclarant «ne pas se reconnaître dans ce projet de nouvelle Constitution».
Retour à la case départ
Mais le retour à la case départ a été acté par l’offensive de l’armée malienne au nord du Mali dès le retrait des premiers contingents de la Minusma de cette région. Le CSP-PSD avait qualifié l’occupation par l’armée malienne des positions de la Minusma comme une nouvelle violation du cessez-le-feu.
«Le 13 août 2023, l’armée malienne, soutenue par des paramilitaires de la milice Wagner, a pris d’assaut l’emprise onusienne dans la localité de Ber, sans aucune forme de considération aux dispositions des arrangements sécuritaires en vigueur.
Profitant du repli stratégique des forces de la CMA (Coordination des mouvements de l’Azawad) afin d’éviter aux populations des bombardements aériens engagés, les forces maliennes et leur partenaire occupèrent entièrement la localité avec tout le lot de violations, de saccages, d’arrestations arbitraires, d’exécutions sommaires perpétrées sur des civils», avait accusé le CSP-PSD, tout en affirmant n’avoir à aucun moment demandé à la Minusma la rétrocession des emprises installées sur des zones qu’elle contrôlait au moment de son déploiement, mais de se retirer tout simplement, à défaut de conclure un compromis entre les parties signataires de l’Accord d’Alger.
Le CSP-PSD avait ainsi déclaré avoir décidé d’«adopter dorénavant toutes les mesures de légitime défense contre les forces de la junte partout sur l’ensemble du territoire de l’Azawad».
C’est à partir de là que les hostilités ont repris entre l’armée malienne et les groupes politico-militaires signataires de l’Accord d’Alger.
Aujourd’hui, les autorités de Bamako semblent jouer pleinement la carte de la force au détriment d’un règlement politique dans le cadre de l’Accord d’Alger. Une option hautement risquée surtout lorsque l’on connaît la complexe réalité du terrain.
Ce duel entre l’armée malienne et les groupes politico-militaires du Nord profite d’ores et déjà aux groupes terroristes qui sont en roue libre tout le long de la frontière avec le Niger, mais aussi au sud de Gao, près de la frontière avec le Burkina Faso.
Si l’Algérie continue d’œuvrer à convaincre toutes les parties maliennes à renouveler leur engagement dans la mise en œuvre de l’Accord de paix et de réconciliation issu du processus d’Alger, c’est par souci de préserver et de consolider la relative stabilité que connaît le Mali et de renforcer son unité nationale.
C’est dans cet esprit que s’inscrivent les récentes rencontres des autorités algériennes avec les chefs des Mouvements signataires de l’Accord d’Alger.
«C’est par la réconciliation nationale et non par des déchirements fratricides récurrents que le Mali s’engagera dans une œuvre commune portée par tous ses enfants sans discrimination et sans exclusion, lui assurant ultimement sa souveraineté, son unité nationale et son intégrité territoriale», a déclaré jeudi dernier le ministre des Affaires étrangères, Ahmed Attaf, à l’ambassadeur du Mali à Alger, qu’il avait convoqué suite à la protestation élevée par les autorités de Bamako contre ce qu’elles ont qualifié d’«actes inamicaux posés par les autorités algériennes, sous le couvert du processus de paix au Mali». Les autorités maliennes vont-elles se ressaisir et emprunter la voie de la paix ?