Contrats gaziers liant l’algérie et l’espagne : Les craintes de la presse espagnole

11/06/2022 mis à jour: 10:00
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La suspension par l’Algérie de son traité d’amitié, de bon voisinage et de coopération avec l’Espagne, suite à la confirmation du virage opéré par le gouvernement espagnol de Pedro Sánchez sur le Sahara occidental, fait planer, selon les craintes exprimées par la presse espagnole, le risque d’une rupture des contrats gaziers entre les deux pays, ou au moins une forte augmentation des prix du gaz.

Le commerce du gaz entre l’Algérie et l’Espagne n’est pas seulement important en raison de la valeur qu’il représente, mais aussi de la quantité de produit importé, souligne Alessandro Demurtas, professeur de relations internationales et de commerce international à l’Université autonome de Barcelone (UAB), cité par le média Newtral. Il déclare : «Ces ressources énergétiques nous sont nécessaires» et «si elles ne sont pas importées d’Algérie, il faudrait chercher un autre pays qui peut les fournir». 

Cependant, explique-t-il, «l’éloignement des autres pays rend l’importation de cette ressource encore plus chère, ce qui aura des effets à long terme sur l’équilibre de la balance de l’Espagne et l’aggravera encore plus.» Il souligne, par exemple, que «par rapport à l’Algérie, la valeur du gaz en provenance des Etats-Unis est supérieure de 10%».

La chaîne Antena 3 souligne que l’Algérie est actuellement le deuxième fournisseur de gaz de l’Espagne. «Nous en avons donc besoin. Nous dépensons 2500 millions pour nos importations et 90% servent à payer le gaz. Il n’y a pas d’alternative facile. Et les experts avertissent : la prochaine décision de l’Algérie pourrait être de nous laisser sans gaz», écrit le média sur son site internet.

Dans une intervention répercutée par le site, face à un éventuel arrêt de l’exportation du gaz vers l’Espagne, le ministre des Affaires étrangères, José Manuel Albares, a assuré que le gouvernement «analyse ses implications» et qu’«il n’y a pas de difficulté pour l’acheminement du gaz», alors que la troisième vice-présidente et ministre de la Transition écologique, Teresa Ribera, a averti que «si les tensions avec l’Algérie finissent par affecter l’approvisionnement, l’Espagne ira en justice». 

Une éventualité que met en doute, selon Antena 3, l’eurodéputé Luis Garicano, qui estime que «l’Algérie a des outils en main pour réduire les quantités de gaz vers l’Espagne» et qu’elle «a déjà donné certains indices  dans ce domaine, au vu de la baisse des quantités arrivant en Espagne depuis quelques mois».

Le recours à l’arbitrage international mis en doute

L’eurodéputé déclare dans une interview à Antena 3 qu’il «doute de l’intention du gouvernement de poursuivre l’Algérie en justice, en cas de rupture d’approvisionnement en gaz», soulignant que «malgré le soutien que l’Espagne aurait de la part de l’Union européenne, Bruxelles ne pourrait pas l’aider sur la question de l’énergie». 

Par ailleurs, Nicolás López, directeur des actions à la banque privée espagnole Singular Bank, indique qu’actuellement, il y a des contrats gaziers fermés sur dix ans entre l’Algérie et l’Espagne, «mais le problème est dans le prix auquel nous devrons le payer. Les prix vont être plus élevés que ceux des trois dernières années».

Pour sa part, Eduardo Irastorza, professeur à l’OBS Business School, explique, à la presse espagnole, que «la flambée des prix du gaz en provenance d’ Algérie pourrait être un moyen indirect de fermer le robinet. Les entreprises espagnoles pourraient ne pas être en mesure de payer autant que demandé... et cela signifierait 40% de revenus en moins». 

José Manuel García Margallo, député européen et ancien ministre des Affaires étrangères, affirme de son côté que d’«une part, il y a un contrat d’approvisionnement en quantité, valable jusqu’en 2032, et d’autre part, un contrat sur les prix, qui est actuellement négocié par une société dont l’unique actionnaire est l’Etat algérien (Sonatrach)». 

Il estime que «même si l’Algérie ne coupe pas l’approvisionnement, le prix pourrait monter en flèche, à l’heure où le gaz est le sujet qui fait le plus débat dans toute l’Europe». Plus globalement, García Margallo souligne, à propos de la crise avec l’Algérie, que «c’est le plus grand désastre diplomatique en Espagne depuis 1975».

Négociations des contrats entravées ?

Selon un autre média espagnol, les tensions entre Alger et Madrid risquent d’entraver le processus de négociation des contrats énergétiques entre les principales entreprises espagnoles et Sonatrach. «Des firmes, telles que Naturgy, Cepsa et Repsol, ont des intérêts importants dans les hydrocarbures gérés par Sonatrach et la rupture du traité d’amitié, de bon voisinage et de coopération par l’Algérie compromet ses accords anciens et futurs», indique le journal Vozpópuli. «Comme l’ont expliqué des sources du secteur à Vozpópuli, les dirigeants des compagnies énergétiques éprouvent de sérieuses difficultés à entrer en relation avec l’entreprise publique algérienne depuis le changement d’attitude du gouvernement espagnol sur le Sahara occidental. 

Certaines de ces entreprises sont en attente de révision de leurs accords avec Sonatrach et vivent ce retard avec une certaine gêne», écrit le média. Il ajoute que «les acteurs du secteur de l’énergie sont clairement préoccupés par les mauvaises relations qui existent avec l’un des plus grands fournisseurs de gaz et de pétrole de l’Espagne. 

Le seul qui nous alimente en gaz via un gazoduc», précise le média, qui souligne que selon ces sources, «ceux qui connaissent la situation ne s’attendent pas à ce que l’Algérie rompe les contrats à long terme, car cela en ferait un partenaire instable sur la carte internationale et générerait des fractures avec l’Europe, mais ils s’attendent à des difficultés commerciales dans une relation où beaucoup d’intérêts sont en jeu». «Le virage diplomatique de l’Exécutif dirigé par Pedro Sánchez et la situation d’incertitude que connaît le marché des hydrocarbures sont responsables de cette tension qui se crée avec l’Algérie», souligne le journal, qui précise que le malaise avec l’Algérie «provoque des situations telles que, depuis janvier, Maarten Wetselaar, PDG de Cepsa, n’a pas encore rencontré son homologue de Sonatrach, Toufik Hakkar».

Cepsa, Repsol, Naturgy face à Sonatrach

Le média rappelle que l’Algérie est «un marché-clé pour Cepsa», soulignant que «Cepsa participe, avec Sonatrach, à trois champs pétroliers importants dans le bassin de Berkine : le champ de Rhoude El Krouf (RKF), Ourhoud (ORD), le deuxième plus grand champ d’Algérie, et Bir El M’sana (BMS). Au total, les champs opérés par Cepsa produisent 137 279 barils de brut par jour». 

Le journal espagnol ajoute que «Cepsa détient le gisement de Timimoun avec Sonatrach et Total» et, que jusqu’en 2020, «elle a participé au gazoduc Medgaz. Une participation de 42% qu’elle a revendue à Sonatrach et à l’espagnol Naturgy. Une autre société qui souffre également de ce blocage des relations avec les entreprises algériennes. 

La société gazière basée à Madrid étant en train de négocier le renouvellement du contrat de fourniture de gaz via Medgaz».

Le président de Naturgy, Francisco Reynés , a prévenu, rappelle le journal espagnol, dans ses récentes interventions publiques que «des pourparlers sont en cours pour mettre à jour l’offre pour la période 2022-2024» . La compagnie gazière soutient que les relations avec Sonatrach sont «bonnes», Il ne faut pas oublier que la compagnie algérienne contrôle 5% de l’entreprise et qu’ils se partagent la propriété de Medgaz, précise le média
Le même journal relève, par ailleurs, que «Repsol a une grande activité ‘‘physique’’ en Algérie. La compagnie pétrolière possédant des actifs de production, tels que les champs gaziers de Reggane Nord, et totalisant une production nette en Algérie s’élevant à environ 13 000 barils équivalent pétrole par jour».

Le média relève que si la ministre espagnole de la Transition écologique, Teresa Ribera, a assuré vouloir «réorienter les relations» avec un partenaire (Algérie) qu’elle juge «stable et fiable», et que le vice-président du gouvernement a pris la défense des entreprises espagnoles en affaire en Algérie, assurant qu’il existe «des accords entre entreprises commerciales qui ne peuvent être rompus», les entreprises concernées sont inquiètes et n’éprouvent pas la même quiétude au sujet du conflit diplomatique et commercial ouvert entre les deux pays.

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