Avant d’aborder les conséquences du développement de l’intelligence artificielle (IA, Artificial Intelligence, AI en anglais) sur l’économie mondiale, faisons un petit tour de table de cette notion. John McCarthy du MIT (Massachusetts Institute of Technology), le père de l’intelligence artificielle, décrivait cette notion dans la fin des années 1955 comme étant la science et l’ingénierie de la création de machines intelligentes, notamment les programmes informatiques intelligents.
Selon ce docteur en mathématiques, il est possible de formaliser le raisonnement humain sous forme d’instructions qui sont exécutables par un ordinateur. Marvin Minsky, cofondateur avec John McCarthy du Groupe d’intelligence artificielle du MIT, définit l’IA comme étant «la construction de programmes informatiques qui s’appliquent à des fonctions qui sont, pour l’instant, accomplies de façon plus acceptable par l’homme car elles demandent des processus mentaux de haut niveau, comme par exemple l’apprentissage perceptuel ou l’organisation de la mémoire».
Les avantages de l’IA concernent l’amélioration des performances, de la productivité et la compétitivité des entreprises par l’automatisation des tâches humaines et l’exploitation de volumes de bases de données énormes qui ne peuvent pas être faites par l’homme. Le but de l’IA est finalement de permettre à des systèmes informatiques de penser et d’agir comme l’homme. Les avantages de l’IA, entre autres, sont aussi l’économie des ressources et du temps dans la réalisation des tâches, et la réduction des coûts.
Et grâce à son processus d’apprentissage automatique (utilisation de données et d’algorithmes), l’IA permet d’imiter la façon dont l’homme apprend afin de réduire ses erreurs et d’accéder à un niveau de précision supérieur. Malgré tous ces avantages, l’IA présente toutefois des inconvénients, tels que la création de chômage pour l’homme quand la technologie ne cesse de le remplacer.
Mais surtout, l’IA pourrait avoir un danger réel sur l’humanité. En effet, selon le site américain Future of Life Institute, l’IA représente des esprits numériques toujours plus puissants que la personne, que même leurs créateurs ne peuvent prévoir, comprendre et surtout contrôler de manière fiable. L’exemple du film de Terminator illustrera probablement un jour, à juste titre, le danger de l’IA sur l’humanité. En effet, la grande peur de ce film est que la science-fiction pourrait atteindre notre réalité. James Cameron le réalisateur de ce film a affirmé récemment avoir mis en garde en 1984 (date de la sortie du film), la société mondiale contre la militarisation de l’IA qui pourrait conduire à une apocalypse.
C’est la raison pour laquelle beaucoup de personnes s’interrogent aujourd’hui sur les progrès de l’IA dans le domaine militaire et les inquiétudes qui pèsent sur la population mondiale. Malgré tous ces risques à ne surtout pas sous-estimer, depuis quelques années, les efforts de l’innovation dans le monde sont concentrés sur l’intelligence artificielle. En effet, beaucoup d’entreprises, particulièrement dans les pays les plus développés, consacrent des ressources très importantes pour promouvoir des projets innovants engageant de l’intelligence artificielle.
En 2019, Catherine Jewell de la division des publications de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI) s’interroge, dans un article publié dans un magazine, à savoir pourquoi l’intelligence artificielle suscite-t-elle autant d’attention ? «L’IA est une invention aussi importante que l’électricité. Elle va transformer l’ensemble des secteurs économiques et créer énormément de valeur. Des technologies, telles que l’apprentissage supervisé, démultiplient la puissance de l’automatisation.
Or, l’automatisation aura des conséquences sur toutes les branches de l’économie, de la santé à l’industrie manufacturière, en passant par logistique et le commerce de détail». Ainsi, l’IA va bouleverser le monde en général, et particulièrement du travail. La directrice générale du Fonds monétaire international (FMI), Kristalina Georgieva, a souligné récemment, dans un entretien accordé à l’agence d’information mondiale (AFP) de Washington, que le développement de l’intelligence artificielle aura des conséquences sur l’emploi au niveau mondial, en creusant les inégalités et en laissant des millions de personnes sans emploi. Selon la directrice du FMI, 40% des emplois seront touchés dans le monde.
Et plus une personne occupe un emploi qualifié, plus ce sera le cas, a-t-elle déclaré. Concernant les économies développées et certains pays émergents, 60% des emplois seront touchés. Quant aux pays à faible revenu, Il y a une inquiétude sur le risque de décrochage, puisque 26% des emplois seront touchés.
Ces données sont issues d’un rapport qui a été publié par l’institution du FMI à Washington. En 2023, Goldman Sachs a déjà estimé que 300 millions d’emplois dans le monde pourraient être automatisés par l’intelligence artificielle générative, et cela particulièrement dans les pays les plus développés (IA générative est celle qui utilise des contenus existant au service de leur apprentissage pour en concevoir de nouveaux : IA générative permet de créer des contenus totalement nouveaux, tels que du texte, l’audio, des images, de la musique, etc. ex : la sortie du générateur d’art d’Open AI DALL-E 2, le chatbot ChatGPT, Snapchat..). La directrice du FMI a expliqué, lors de son entretien à l’AFP, que «votre emploi peut disparaître complètement, ce qui n’est pas bon, ou l’intelligence artificielle peut améliorer votre emploi, de manière que vous serez plus productif et que votre niveau de revenu pourra s’élever».
Les personnes qui sont âgées devraient aussi souffrir le plus de l’impact de cette technologie. Le rapport du FMI indique que la moitié des emplois seront affectés de manière négative par l’IA, alors que les autres pourraient bénéficier de l’introduction de la nouvelle technologie. Selon Kristalina Georgieva, «concernant la première moitié, les applications de l’IA peuvent exécuter des fonctions clés actuellement qui sont réalisées par l’homme, ce qui pourrait réduire la demande de la main-d’œuvre, entraînant une baisse des salaires et des embauches.
Dans les cas les plus extrêmes, certains de ces postes pourraient disparaître». Selon le rapport du FMI, le développement de l’intelligence artificielle va provoquer aussi une accélération des inégalités salariales partout dans le monde.
En effet, l’IA pourrait augmenter les inégalités salariales avec une conséquence négative spécialement sur les classes moyennes. Les employés qui possèdent de hauts revenus pourraient voir leurs salaires accroître davantage qu’à proportion du gain de la productivité que l’IA permet d’assurer. La directrice du FMI a expliqué qu’«il est sûr qu’il y aura un effet, cependant, ce dernier pourrait être différent. L’effet pourrait entraîner la disparition de votre emploi ou au contraire son amélioration». Ainsi, «que faire de ceux qui seront touchés et comment répartir les gains de productivité, que peut-on réaliser pour que nous soyons mieux préparés ?» s’est interrogé Mme Georgieva.
Le rapport du FMI sur les conséquences du développement de l’IA sur l’économie mondiale indique également que Singapour, les Etats-Unis et le Canada sont les pays qui se sont le mieux préparés jusqu’à présent. En ce qui concerne les pays émergents et les économies en développement en général, la directrice du FMI explique, dans son entretien, que «l’IA devrait avoir un effet moins bénéfique, ce qui pourrait exacerber la fracture numérique et les disparités de revenus entre les pays».
Elle estime que «nous devons nous concentrer sur les pays à faible revenu, et nous devons aller vite, leur permettre de bénéficier des opportunités qui sont offertes par l’IA. Il est nécessaire de préciser que beaucoup de ces pays ne disposent ni de l’infrastructure ni de la main-d’œuvre qualifiée pour profiter des avantages de l’IA, ce qui augmente le risque de voir la technologie alourdir les inégalités entre les pays dans le futur».
Selon la patronne du FMI, la question qui nous intéresse sera de ranger de côté les inquiétudes liées à l’IA pour se focaliser sur comment en tirer le meilleur avantage pour tous. Elle explique que, d’autant que dans un contexte de ralentissement de la croissance de l’économie mondiale (selon la Banque mondiale : la croissance devrait connaître sa troisième année consécutive de ralentissement en 2024 dans le monde, avec un taux de croissance à 2,4%, soit près de trois quarts de point de pourcentage en dessous de la moyenne des années 2010, et des perspectives de croissance mondiale assez moyennes dans l’avenir). «Nous avons extrêmement besoin d’éléments qui sont capables de relancer la productivité (l’intelligence artificielle pourrait augmenter la productivité annuelle de 1% à horizon 2030, selon Markets 360).
L’IA peut faire peur mais cela peut être aussi une grande opportunité pour tous.» «Nous sommes sur le point de vivre une révolution technologique susceptible de stimuler la productivité, de donner un coup de fouet à la croissance mondiale et d’élever les revenus dans le monde entier. Cependant, elle risque aussi de remplacer des emplois et de creuser les inégalités. En tout cas, nous pouvons affirmer avec certitude qu’il conviendra de concevoir un ensemble de mesures permettant d’exploiter en toute sécurité l’immense potentiel de l’IA au profit de l’humanité», a conclu Mme Georgieva.
Si l’intelligence artificielle passe du statut d’innovation de pointe à la technologie de masse (Le pont, 2024), elle va devenir l’essentielle source de transformation et de perturbation. Car l’intelligence artificielle va certainement creuser les inégalités salariales au sein des sociétés, la répartition des richesses entre les pays du Nord et les pays du Sud et générer du danger sur le monde à cause de ses usages militaires à venir. En somme, il va y avoir des risques potentiels liés aux retombées de l’IA sur l’humanité.
D’ailleurs, beaucoup de scientifiques et d’experts en intelligence artificielle s’inquiètent des avancées incontrôlées dans ce domaine. Certaines sommités de l’IA ont même déclaré que la recherche et le développement de l’IA devraient être arrêtés. En février 2023, le PDG d’OpenAI, Sam Altman qui a développé ChatGPT, a déclaré que le monde n’était probablement pas si loin d’outils d’IA potentiellement alarmants et que la mise en place d’une réglementation serait indispensable, mais nécessitant du temps. Aussi, en mai 2023, Geoffrey Hinton, un grand informaticien, largement considéré comme l’un des parrains de l’IA, a quitté son job de chez Google pour démontrer ses inquiétudes.
Il a mis en garde la société contre les robots de conversation, qui vont certainement devenir plus intelligents que l’homme. Cet ex-ingénieur de Google pense que «les outils de l’IA seront plus intelligents que nous à l’avenir… Comment nous allons survivre à cela». C’est la science-fiction qui devient réalité, que Dieu nous protège.
Par le Pr Rédha Younes Bouacida ,
Docteur en sciences économiques Université d’Aix Marseille, France