La croissance mondiale est en phase de ralentissement historique, affectant davantage les pays émergents et en voie de développement, impliquant ipso facto un recours incontournable à des réformes structurelles.
Le monde est entré dans une phase de faible croissance qui pénalise nombre d’économies émergentes et en voie de développement déjà affaiblies par les dommages structurels causés par la pandémie et les impacts des divers chocs récents (inflation élevée, endettement lourd, fortes pressions sur la balance des paiements). Face à ces nombreuses contraintes et à la variété des objectifs devant permettre de s’extraire de cet environnement de multi-crises, les réformes structurelles offrent des leviers d’action opportuns.
Pour sa part, l’Algérie fait face au même environnement externe fracturé ainsi qu’à de nombreux défis domestiques contraignants. Seul le recours à des leviers structurels est à même de favoriser des arbitrages difficiles en termes de politiques publiques devant booster l’activité économique, soutenir la transition écologique, créer de l’emploi et renforcer la résilience de l’économie du pays. Discutons de ces points.
Une croissance mondiale inégale en 2024 et sur le moyen terme qui va creuser un plus grand fossé entre pays avancés et pays émergents et en développement. Suite à une série de chocs successifs, l’économie mondiale fait montre de résilience dans un contexte de baisse de l’inflation et de bonne tenue du marché du travail.
Toutefois, cette croissance mondiale : (1) ne devrait atteindre en 2024 que 3,1% (le taux le plus bas depuis des décennies) ; (2) sera plus faible au niveau des pays émergents et en voie de développement, élargissant ainsi le fossé avec les pays avancés ; et (3) sera désormais impactée par un certain nombre de tendances à moyen terme, certaines étant positives (l’intelligence artificielle générative –(AIG)- qui devrait accroître la productivité et améliorer les perspectives de croissance) et d’autres de véritables sources de préoccupations (fragmentation géoéconomique qui s’approfondit à mesure que les pays redessinent la carte mondiale des flux commerciaux et de capitaux ; montée des risques climatiques qui perturbent déjà les performances économiques dans de nombreux domaines allant de la productivité agricole à la fiabilité des transports en passant par la disponibilité et le coût de l’assurance).
Les priorités macroéconomiques de l’heure au niveau mondial. Dans ce contexte contraignant, les priorités en termes de politiques publiques sont désormais : (1) la poursuite du processus de désinflation pour atteindre les objectifs normatifs (2% dans la plupart des cas).
Cette désinflation qui allège un tant soit peu la crise du pouvoir d’achat implique un suivi attentif de l’inflation sous-jacente afin d’éviter d’assouplir la politique trop tôt ou trop tard ; (2) la réduction de la dette publique et des déficits budgétaires : la désinflation ouvre la voie à une politique budgétaire plus stricte et offre l’opportunité de reconstruire des marges de manœuvre financières pour absorber les chocs futurs, freiner la hausse de la dette publique et créer un espace financier pour de nouvelles dépenses prioritaires (en appui de réformes structurelles).
Toutefois, le resserrement de la politique budgétaire doit se faire à un rythme soigneusement calibré et dans le cadre de plans budgétaires crédibles à moyen terme qui visent à : (i) accroître les recettes à travers l’élargissement de l’assiette fiscale et une révision des taux, l’amélioration de l’administration fiscale et la construction de systèmes fiscaux inclusifs et transparents ; et (ii) minimiser l’impact sur les ménages pauvres et vulnérables ; et (3) le renforcement de la croissance économique par le biais de réformes structurelles touchant la gouvernance, la réglementation des affaires et le secteur extérieur permettant de favoriser des gains de productivité et d’élargir les sources de croissance (économie climatique qui peut créer des emplois, de l’innovation et des investissements ; et tarification du carbone pour stimuler l’innovation verte et attirer des flux de technologies et d’investissements à faible intensité de carbone). Bien des défis ne pourront être surmontés que dans le cadre d’une coopération internationale (gestion de la fragmentation géoéconomique, relance du commerce international, maximisation du potentiel de l’IAG, allègement de la dette publique mondiale et lutte contre le réchauffement climatique).
Les réformes macro structurelles sont incontournables et doivent être bien calibrées pour relancer la croissance même lorsque les marges de manœuvre budgétaires sont limitées. Le défi consiste à relancer la croissance économique au moyen d’une transformation structurelle ordonnée destinée à flexibiliser les marchés (en commençant par le marché des biens et services suivi du marché du travail), renforcer la qualité des politiques macroéconomiques et la gestion macroéconomique et booster la productivité et in fine la production de la valeur ajoutée.
La mise en place de réformes structurelles doit s’inscrire dans un cadre stratégique basé sur une hiérarchisation rigoureuse des priorités : (1) phase 1 : atténuer les contraintes les plus critiques à l’activité économique, telles que la gouvernance, la réglementation des affaires et les réformes du secteur extérieur qui favorisent des gains de production grâce à la promotion des investissements domestiques et étrangers et à la réalisation de marges de productivité ; (2) phase 2 : atténuer les pressions macroéconomiques (pressions sur les prix, primes de risque souveraines élevées, faibles flux d’investissements directs étrangers) grâce à une concurrence accrue et à une meilleure confiance des investisseurs ; et (3) phase 3 : atténuer les effets distributifs négatifs potentiels des réformes par des politiques d’appoint, dont un soutien ciblé a certain segments de la population pour garantir un partage équitable des dividendes des réformes. Un tel cadre stratégique devrait ainsi permettre de concentrer les gains de croissance au début du processus de réformes, ce qui favorisera une adhésion du public aux réformes et permettra de surmonter la résistance des intérêts particuliers.
L’Algérie a besoin de réformes structurelles pour débloquer son potentiel de croissance économique. A l’instar des autres pays émergents et en voie de développement, l’Algérie doit donc rebooster son activité économique en lançant un processus de transformation structurelle de son économie bloquée par des déséquilibres macroéconomiques (inflation élevée, déficit budgétaire important, fortes pressions sur la balance des paiements et sur les taux de change dans un contexte de volatilité des prix du pétrole), des rigidités structurelles (manque de flexibilité de l’économie, ouverture limitée), des contraintes de financements et des défis externes (transition climatique, transformation technologique, tensions géostratégiques et politiques de replis des économies avancés).
Les réformes macro-structurelles (visant à améliorer la gestion macroéconomique) : Ceci implique : (1) le renforcement de la crédibilité de la politique budgétaire : (i) amélioration du processus et des statistiques budgétaires ; (ii) réforme de la politique fiscale (assiette et taux) ; (iii) élimination des exonérations non justifiables ; (iv) amélioration de l’administration fiscale et douanière ; (v) rationalisation des dépenses courantes ; et (vi) accroissement de l’efficience des dépenses en capital ; (2) Le renforcement du signal de la politique monétaire : (i) déblocage du canal de transmission des taux d’intérêt; (ii) amélioration de la gestion de la liquidité ; (iii) développement du secteur financier ; (iv) resserrement de la coordination entre la politique budgétaire et la politique monétaire ; (v) développement de la communication sur le rôle de la politique monétaire et ses objectifs ; et (vi) renforcement de la supervision bancaire ; (3) le rééquilibrage de la politique de change : par l’élimination sur le moyen terme de la dualité du marché des changes.
Les autres réformes structurelles : Elles devront avoir pour objectifs : (1) La simplification des formalités administratives et la transparence pour stimuler l’activité du secteur privé.
Dans ce contexte, il va falloir renforcer les moyens des structures institutionnelles et juridiques qui protègent les droits contractuels et de propriété, améliorer la transparence et simplifier les procédures administratives (ce qui diminuera la corruption) ; (2) L’amélioration de l’accès au financement.
Des efforts sont nécessaires pour diversifier les sources de financement, notamment en développant des instruments financiers répondant aux besoins des petites et moyennes entreprises (PME) et en mobilisant l’épargne privée (ce qui réduira la thésaurisation et la taille de l’informel).
Ceci implique de moderniser le secteur bancaire, dominé par le secteur public ; (3) La création d’un véritable esprit d’entreprise et de prise de risques (au lieu de compter sur la demande publique pour ceux qui ont des connections politiques). Dans ce cadre, le respect des droits des créanciers, la simplification des procédures de faillite et le renforcement des procédures de résolution des prêts en souffrance sont importants.
En outre, la suppression progressive des bonifications d’intérêts renforcerait l’attractivité des marchés des capitaux, limiterait les dépenses budgétaires et favoriserait une meilleure sélection des projets d’investissement ; (4) La promotion d’une plus grande inclusion des femmes au niveau du marché du travail.
En agissant sur : (i) les politiques du genre, de l’éducation et la structure des ménages, éléments déterminants dans le processus de décision des populations en âge de travailler de rejoindre le marché du travail ; (ii) les programmes de gestion du marché du travail, les institutions et les facteurs non économiques qui jouent un rôle fondamental dans la décision d’une personne de trouver et/ou garder un emploi et les avantages de travailler ; (iii) la prise en charge des défis auxquels font face certaines catégories de travailleurs, notamment les gardes d’enfants, les politiques de la famille, les systèmes de retraite et les autres mécanismes de transfert sociaux et de départ en retraite ; et (iv) une attention particulière à l’éducation, la fertilité et le mariage pour ce qui est des femmes.
Les politiques sociales et la communication : Ces deux derniers points seront cruciaux. La communication est vitale pour préserver l’adhésion des populations et la confiance des investisseurs. Un filet social bien conçu a pour rôle de protéger les couches vulnérables de la population qui seront affectées par les réformes structurelles. Ce filet social est intégré au cadrage macroéconomique à moyen terme.
Les outils de projection, de pilotage, d’évaluation et de contrôle (le GPS). Comprennent : (1) le cadre macroéconomique à moyen terme (qui fixe des objectifs chiffrés macroéconomiques et structurels) sur le moyen terme ; (2) le cadre budgétaire à moyen terme (CBMT) qui définit, sur la base d’hypothèses économiques réalistes et sur une période minimum de trois ans, l’évolution de l’ensemble des dépenses et recettes des administrations publiques, le besoin ou la capacité de financement de ces dernières, des éléments de financement et un niveau global d’endettement financier de l’état (des agrégats de pilotage très importants) ; et (3) les cadres de dépenses à moyen terme : établis sur la base du CBMT et décomposant sur une période minimum de trois ans les grandes catégories de dépenses publiques, par nature, par fonction et par ministère. Un complément indispensable d’une très grande efficacité qui injecte une dose puissante de discipline dans les finances publiques.
Le suivi de l’exécution des réformes : implique : (1) un mode opératoire : (i) un suivi rigoureux de la réalisation des objectifs macroéconomique pour les adapter à tout moment aux changements; (ii) une réactualisation régulière, en conséquence, des projections macroéconomiques du pays ; (iii) une réadaptation, si besoin est, de la feuille de route sur le moyen terme pour s’ajuster aux changements éventuels sur le plans domestiques et extérieur ; (iv) une réactualisation du CBMT et du CDMT ; et (v) une gestion transparente des messages économiques et la diffusion des données relatives au processus de réformes ; et (2) des institutions : un cadre institutionnel adapté pour le suivi des réformes et qui comprendrait notamment un comité technique de mise en œuvre des réformes (CTR), regroupant des représentants des diverses administrations économiques et opérant sous l’autorité d’un comité politique stratégique (CPS) dont le rôle est de définir la stratégie et amender, le cas échéant, les politiques et les plans d’action. Le CTR produit mensuellement un tableau d’indicateurs économiques et financiers de base et des rapports trimestriels sur l’exécution des réformes. Ces documents sont transmis au CPS afin de briefer les autorités politiques, la nation et les partenaires.
Par A. Bessaha , Expert international