Ces Algériens qui ont combattu pour la Palestine

03/12/2023 mis à jour: 04:00
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Sid Ali Mezouane et Tayeb Sahraoui

Ils n’étaient pas nombreux, mais tous déterminés, guidés par leur volonté de faire triompher la justice. Ils étaient jeunes  mais résolus, et prêts aux sacrifices. 

Certains d’entre eux l’ont payé  de leur vie, comme Mohamed Boudia, tombé en martyr à Paris en 1973, Leila Noureddine tombée en martyre à Beyrouth en 1976, Khaled El Djazairi,tombé en martyr, en août 1981, et les autres  militants plus chanceux, Mohamed Benmansour, Ali Benachour, Tayeb  Sahraoui,Mohamed  Bouchehit, Sid Ali Mezouane, qui ont tous été à l’avant- garde de la résistance  palestinienne, à travers ses différentes factions, surtout de gauche. 
 

 

Sid Ali Mezouane :  fidai à Alger à 15 ans, combattant à 28 ans 

C’est l’histoire d’un jeune homme qui n’a pratiquement pas vu passer sa jeunesse.» En fait, Sid Ali Mezouane a plusieurs vies. Agent de liaison du FLN dans la Zone autonome à 13 ans, arrêté et torturé à 15 ans. Il lui en a fallu pour se refaire un moral en vouant une haine mortelle à ses tortionnaires qu’il n’a cessé de maudire, tout au long de sa vie pour avoir «le cœur apaisé», concède-t-il. C’est l’histoire d’un gamin engagé dans la Révolution en quête d’un besoin d’exister, d’une envie de reconnaissance et dont les idéaux le mèneront, à 28 ans, sous d’autres cieux pour défendre la cause d’un peuple opprimé, le Palestinien en l’occurrence. 

Il a fait partie d’un réseau de Septembre noir. Il pose un regard très personnel sur son parcours. Il nous raconte ses pages d’errance hallucinée, de la torture qui l’a marqué à vie alors qu’il était à peine adolescent. A 15 ans, Sid Ali était agent de liaison à La Casbah. Il avait fait l’expérience de la violence. Son tempérament de guerrier bouscule toutes les appréhensions. Il n’a pas peur de mettre son corps en danger et il a été tout le temps au contact de la mort qu’il haïssait «parce qu’il aimait la vie passionnément». 

«Son père, Mohamed Seghir, navigateur, dont les gros bras sont tatoués, et toujours élégant dans son bleu Shanghai, bien que souvent absent, lui avait légué les vertus de la redjla, du courage et de la rectitude. Sid Ali est né le 3 mars 1943 à Bab Jdid, impasse Tombouctou. Il a fait les écoles Rovigo et Sarouy .

A 13 ans, j’étais utilisé comme agent de liaison. J’exécutais toutes les consignes. Quand ils m’ont arrêté, j’ai subi les pires tortures, dans les prisons. Mineur, j’étais considéré par l’ennemi  comme adulte.» Sid Ali exercera à l’indépendance à la Télévision  algérienne comme réalisateur  puis  à l’hôpital Mustapha au laboratoire de chimie-biologie. «Je quitte l’hôpital et je reste en stand-by. La question palestinienne me taraudait l’esprit. Je ne vivais que pour aller là-bas, surtout après la débâcle de 1967.» 

Aux moments les plus tragiques et les plus difficiles de la Résistance palestinienne, à l’époque des pires massacres en Jordanie et au Liban, quand les tueurs du Mossad assassinaient, impunément partout dans le monde, les dirigeants de la Résistance palestinienne, le Fath, décidèrent la création d’une organisation clandestine de combat, ultra-secrète, qui rendrait coup pour coup. Septembre noir, en référence aux événements tragiques que vécurent les Palestiniens. Ceux-ci avaient conclu qu’ils ne pouvaient compter que sur eux-mêmes. Les régimes arabes, qui s’étaient frottés à l’entité sioniste,  trois ans plus tôt, avaient essuyé une cuisante défaite. 

Les Palestiniens, livrés à eux-mêmes, perdaient confiance dans la capacité de ces régimes à résoudre leurs problèmes et se tournèrent vers les organisations, dont Septembre noir qui s’est fait connaître suite à l’assassinat au Caire en novembre 1971 du Premier ministre jordanien, Wasfi Tall, qui représentait la ligne dure du gouvernement jordanien vis-à-vis des Palestiniens. C’est lui qui avait ordonné l’écrasement de la Résistance palestinienne présente en Jordanie. Septembre noir se rendit célèbre après la prise en otage aux Jeux olympiques de Munich en 1972 de 11 athlètes israéliens, qui se termina par l’exécution de ces derniers et la mort de cinq des huit militants palestiniens. 

En représailles, Israël engage une traque menée par le Mossad à travers le monde et qui visera de nombreux dirigeants, dont l’Algérien Mohamed Boudia, tué dans une voiture piégée à Paris le 28 juin 1973. Septembre noir, pour l’Europe, c’était Boudia qui en était la cheville ouvrière. «Je voulais partir combattre en Palestine, c’est Boudia qui m’en a dissuadé.» Il faut dire qu’à cette époque, Sid Ali vivait clandestinement à Paris. Comment a-t-il connu Boudia. «Il exerçait à Alger chez un tailleur juif qui ne l’avait pas payé. Il lui a soutiré de l’argent et s’est retrouvé à la maison de rééducation de Birkhadem où Omar Soustara terminait sa peine. A sa sortie, Boudia a été orienté vers le théâtre. Il avait des dons. Ce n’est pas par hasard qu’il sera dès 1963 directeur au Théâtre national, puis administrateur du théâtre de l’Ouest parisien.» 

Il était membre fondateur de l’ORP. En 1970, on s’est rencontré avec des camarades français qu’on avait mis en contact avec les Palestiniens. J’étais à l’université, je me suis inscrit en arts dramatiques et en sciences politiques à l’université de Vincennes. En 1971, on projetait des opérations avec les sœurs Bradley, Yveline Barge, on était désignés pour aller en Palestine, mais l’opération a été éventée et le groupe démantelé. On nous appelait le commando de Pâques. C’était à l’occasion de cette fête qu’on a organisé cette opération découverte, hélas, à la descente d’avion à Tel-Aviv des membres du groupe. Boudia était un gars très intelligent, optimiste à mort. Il était poète, défenseur des faibles, des droits de l’homme et un véritable stratège. Boudia a créé les structures du Théâtre national, l’Ecole d’art dramatique, créé Alger ce soir et exercé à Révolution africaine. 

Il a été à l’origine de l’envoi des premières promotions de comédiens en Allemagne de l’Est pour se perfectionner, sans oublier son riche passé révolutionnaire au sein de la Fédération de France. Fin 1971, Sid Ali rentre à Alger. «J’étais longtemps en contact avec Odile Loizillon, à l’origine de la création de la librairie Palestine à la rue des Ecoles à Paris, et qui était le point d’attache de Boudia. C’est d’ailleurs près de cet endroit qu’il a été assassiné. Au cours d’une mission, j’ai été arrêté par les Italiens en avril 1971 à Rome. Ils m’ont emmené à Regina Colli, la plus vieille prison d’Europe et la plus surpeuplée. J’y suis resté 2 mois et demi. Comme je connaissais le droit des prisonniers politiques, je ne répondais pas aux questions du juge. Sur demande de son ami Boudia, M’hammed Yazid, alors ambassadeur à Rome, est intervenu et j’ai pu être récupéré. 

A mon arrivée à Alger, comme je n’avais pas de papiers, j’ai failli être incarcéré.» Pourquoi cet engagement pour la cause palestinienne. «Septembre noir, c’était pour faire participer l’opinion publique occidentale qui n’était nullement sensibilisée sur le douloureux problème palestinien, ou déroutée par la propagande sioniste.» Sid Ali ne regrette pas son militantisme, même s’il se dit déçu par la tournure des événements. «La cause palestinienne n’est pas défendue comme il se doit. Beaucoup de facteurs concourent à ce que le statu quo persiste. 

Avec le temps, la situation risque d’empirer avec une dilution des territoires et de la population.» Ces paroles  prémonitoires datent d’il  y a une quinzaine d’années !

 

 

Tayeb Sahraoui : Dans le guêpier sioniste 

J’ai été séduit, dans ma jeunesse,  par la philosophie humaniste, par les idées de progrès et par les luttes contre toutes les injustices. Et puis il y a eu l’influence de Che Guevara qui croyait en la lutte armée comme unique solution pour les peuples qui se battent  pour se libérer. Aussi Tayeb avait déclaré : ‘‘Je suis conséquent avec mes convictions.’» 

Au nom de l’internationalisme, mais surtout en guise de solidarité avec la cause palestinienne trahie, pour laquelle j’ai milité sans fléchir malgré tous les périls. Il a fait partie du réseau  Boudia tout en étant militant du FPLP de George Habache, du temps où Beyrouth était le réceptacle des revendications arabes et aussi de leurs frustrations.
Tayeb a activé, sécurité oblige, sous diverses identités, changé constamment de planque et de look, sachant qu’il était dans la ligne de mire du redoutable service secret sioniste… Il y a de la grandeur dans la voix et de le clarté dans le regard de ce grand bonhomme, aux cheveux aussi blancs que neige. 

Son parcours est aussi atypique que ses positions théoriques, qui renvoient à ces révolutions romantiques, j’allais dire utopiques, avec ce désir fou mais inébranlable de vouloir changer le monde. Tayeb confesse modestement que sa passion est née des idées en vogue à l’époque qui magnifiaient le socialisme et les lendemains qui chantent. «J’ai appris, malgré moi, que lutter pour une juste cause est aussi un acte de générosité.» 

Tayeb Sahraoui est né en 1950 à Ouled Soukies, près de Souk Ahras. Il a fait des études scolaires à Taoura puis aux lycées Okba et Amara Rachid à Alger. En 1964, il est l’un des premiers harraga en se rendant en Libye où il passe deux années. Puis cap sur l’Egypte où il poursuit ses études et obtient son baccalauréat en 1969. De cette période, il a préservé le souvenir d’une certaine effervescence estudiantine. 

De son enfance, Tayeb garde des images diffuses. «Ce qui m’avait marqué, c’était les monuments historiques qui cernaient mon lieu de naissance et notamment le plus grand théâtre romain à Khemissa. Mais celui-ci et les vestiges alentours étaient beaucoup plus perçus comme des ruines que comme un patrimoine culturel de valeur par la population locale…» 

En 1969, Tayeb s’inscrit à la faculté de médecine de Damas où il se hisse jusqu’à la 4e année, tout en militant aux côtés des Palestiniens. «Il y avait un camp d’entraînement au nord de la Syrie, et Essaïka était la seule organisation palestinienne à avoir le soutien de Damas à l’époque. Mais il y a eu le fameux Septembre noir qui a emporté Nasser et les maigres espoirs unionistes arabes. C’était une implosion douloureuse. 

La seule frontière ouverte était celle du Liban qui accueillait les Palestiniens, toutes tendances confondues. Le Liban était réellement la plaque tournante du monde arabe, que ce soit au plan culturel ou politique, ce qui agaçait fortement les régimes arabes réactionnaires. Le Liban et l’Egypte étaient à l’avant-garde de la lutte contre le sionisme. La mort de Nasser et la guerre civile programmée au Liban ont mis fin à cet axe. Le conflit israélo-arabe deviendra israélo-palestinien. 

Au Caire, il y avait un groupe d’étudiants algériens de grande valeur, comme Med Bouchehit, engagé dans les organisations palestiniennes, et Ali Benachour, journaliste à El Hadef de George Habache, dont il était le conseiller. Amin Maâlouf le célèbre écrivain travaillait sous ses ordres. Ali Benachour  est mort en 1997 en Tunisie dans la solitude et le désespoir.» 

Tayeb activera au sein du FPLP et fera de nombreux allers-retours entre Beyrouth et Paris où il est chargé de l’armement dans le réseau de Mohamed Boudia. Tayeb n’omettra pas d’évoquer ses camarades de lutte, Mohamed Benmansour, syndicaliste très engagé, Hamoud Boukercha, dit Khaled El Djazaïri, enfant de Boudouaou, compagnon de Yasser Arafat, mystérieusement abattu alors qu’il tentait d’intercéder entre deux factions palestiniennes rivales. Balle perdue,  avait-on conclu ! Lors du transfert de sa dépouille, alors qu’on l’attendait au salon d’honneur, on l’a fait sortir par le fret comme une vulgaire marchandise. Hamoud n’était pas un politicien, mais un révolutionnaire, un vrai ! Son père pensait que c’était un aventurier, un voyou. Il ne savait pas ce qu’il faisait au Liban. Il ne le saura que lorsque Yasser Arafat, en toute discrétion, viendra à Boudouaou, lui présenter ses condoléances. 

Ce jour-là, le père de Ali avait pleuré à chaudes larmes, ce qu’il n’avait pas fait lorsqu’il a appris la disparition de son fils en juin 1981. 

En ce qui me concerne, je m’occupais de l’armement et de son transfert, j’avais une amie troskiste devenue ma compagne, mais qui ne se doutait pas de nos activités. On s’entraînait pas loin de Beyrouth sur pratiquement tous les types d’armements. J’étais en contact avec Boudia à Paris, où Harbi et Zehouane avaient créé le Rassemblement unitaire révolutionnaire (RUR) avec Absi Larbi et bien d’autres. Je peux me considérer comme un aventurier internationaliste. 

Je baignais dans un univers marqué par les luttes. Je l’avais voulu. J’en ai peut-être payé le prix, mais je ne renie aucunement mon passé. Je considère qu’il y avait une bonne dose de témérité dans ma démarche, d’autant que j’étais traqué à l’instar de mes amis Sid Ali Mezouane, Boukercha Benmansour, tous activement recherchés. Le Mossad a assassiné un certain Mohamed Bouchouika de nationalité marocaine, à Oslo en 1972, juste parce qu’il ressemblait à Benmansour. Je peux citer aussi Chabane Kadem, ancien présentateur de la RTA, force de frappe de l’organisation militaire de Boudia qui a, à son actif,  l’incendie du pipe-line de Trieste et qui ne connaît pas un mot en arabe. 

Il s’est pourtant investi pleinement en tant que militant sincère de la cause palestinienne, jusqu’à ce jour, il est toujours fiché…Vous savez le FDLP était dirigé par Hadad de confession chrétienne, idem pour le FPLP de Habache qui avaient axé leur lutte sur le progrès et la modernité. Le problème n’est pas dans la langue véhiculée, il est dans les idées...
 

Par Hamid Tahri

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