En marge de l’événement Afrika Food Dakar (30 nov- 2 décembre), organisé par le Siagro et auquel l’Algérie est invitée, à travers Sipsa Afrika food, nous avons rencontré le vice-président du GRFI (Groupe de réflexion de Filaha Innove) et agroéconomiste, M. Brahim Zitouni, qui a bien daigné répondre à nos questions autour des débats liés à la souveraineté alimentaire et un fort partenariat sous-régional.
- En votre qualité d’agroéconomiste, que peut-on attendre de cette rencontre Afrika food de Dakar où l’Algérie est présente avec ses exposants et ses experts du secteur agricole ?
Cette année, le SIPSA s’exporte et réalise une première africaine à Dakar qui fut précédée par Sipsa Afrika food, à Alger, en mai dernier. Afrika Food Dakar, organisé par SIAGRO (Salon international sénégalais des industries et techniques agroalimentaires), est une autre étape dans la réalisation d’un projet sous-régional plus vaste cherchant à mieux organiser les relations sud-sud en faisant la promotion d’un véritable salon panafricain regroupant les professionnels du secteur. Notre objectif, à court terme, vise à entrainer dans cette dynamique les opérateurs sénégalais et mauritaniens.
Cette vision est accélérée par l’émergence d’une zone de co-prospérité basée sur les hydrocarbures découverts dans nos trois pays (Algérie, Sénégal, Mauritanie) qui rapprocheront les dynamiques de développement dans une mise à niveau des uns et des autres qui tendront à la convergence des objectifs de développement. C’est une fenêtre d’opportunité historique qui nous permet de bâtir des échanges sud-sud très puissants, du moins dans le secteur de l’agriculture et je dirai en réalité pour être plus juste dans le domaine de l’alimentation de manière plus générique.
Dans ce Salon de Dakar, 25 opérateurs algériens exposeront dans quasiment tous les secteurs des métiers agricoles et chercheront à mieux connaître le marché sénégalais, les dispositifs légaux, l’environnement économique et tout ce qui relève d’une approche prudentielle d’une activité à l’export, en particulier le bon choix de partenaires sénégalais, afin de renforcer le courant d’affaires entre nos deux pays. D’ailleurs, il y a déjà des accords commerciaux quasiment au stade final.
- Au-delà des conférences relatives aux volets scientifique, technique et commercial, les débats tourneront principalement autour du «développement des innovations agricoles pour atteindre la souveraineté alimentaire». Pourquoi avoir choisi ce thème central ?
Ce thème a été décidé par le SIAGRO et correspond certainement à l’état des réflexions des élites paysannes et agricoles sénégalaises et qui vient, à juste titre, souligner un lien de première importance entre les apports des technologies modernes et les développements agricoles menant à la souveraineté alimentaire.
Ce sont des préoccupations communes à nos amis sénégalais et au GRFI (Groupe de Réflexion Filaha Innov – Think tank algérien centré autour des questions alimentaires et agricoles). Nous participerons au Salon de Dakar avec d’ailleurs plusieurs conférences menées par les experts du GRFI et qui diront de leur côté l’approche du GRFI quant aux questions posées par la souveraineté alimentaire et la manière dont on pourrait la bâtir.
Cela étant, nous pensons avec nos amis sénégalais et mauritaniens qu’une souveraineté alimentaire ne peut s’envisager dans un cadre strictement national. Il est nécessaire de l’envisager à un niveau au moins sous-régional, et pour ce faire, nous encourageons les autorités respectives à signer des accords bilatéraux et, pourquoi pas, multilatéraux pour mieux soutenir les échanges commerciaux sud-sud dans le domaine agricole.
Nous sommes de ce point de vue pour un encouragement de visions trans-sectorielles autour de la question alimentaire, regroupant dans chaque pays les ministères de l’Agriculture, du Commerce et des Finances, afin que des accords s’inscrivent dans une dynamique politique forte. Nous militons pour que ce type de démarches soit coordonné au niveau des Premiers ministres des pays concernés, afin d’assurer de la manière la plus efficiente le cadre légal et juridique nécessaire à la dynamisation des échanges sud-sud que nous cherchons à promouvoir.
Dans cette démarche plus globale, nous préparons activement avec nos partenaires africains une conférence panafricaine sur la question alimentaire qui se tiendra en marge du SIPSA, du 20 au 24 mai 2024, lors duquel seront débattues les questions alimentaires et la manière dont il serait souhaitable de les approcher.
- Quelles sont, selon vous, les opportunités d’investissement et de coopération algéro-sénégalaise dans le secteur agricole, toutes filières confondues, pour pouvoir atteindre la souveraineté alimentaire, du moins réduire la dépendance alimentaire ?
Les opportunités sont nombreuses. De manière générale, l’agriculture sénégalaise a besoin d’infrastructures, de logistiques, d’intensification des procédés du champ à l’assiette, de transformations agricoles, de stockage, d’élargissement des matières de base de ses productions agricoles...
Ce programme est soutenu par une nature généreuse, des terres fertiles, en particulier autour du fleuve Sénégal et la région de Saint-Louis. Il est essentiel de rappeler que le Sénégal ne pourra jamais concurrencer l’Algérie dans la production des dattes. Il en est de même pour l’Algérie qui ne peut rivaliser avec la production sénégalaise en arachides ou en riz.
C’est une histoire de complémentarité africaine. Nous pouvons aussi y apporter notre expertise dans les filières
céréalières, en particulier le blé dur, mais aussi dans les filières de la tomate industrielle. En matière d’élevage, nous avons acquis une expertise confirmée dans l’alimentation du bétail. Enfin, l’industrie agricole algérienne est en mesure de fournir à nos amis sénégalais aussi bien de l’ingénierie que des réalisations dans nombre de domaines directement liés à l’agriculture.
- Le Sénégal représente pour l’Algérie une porte ouverte pour pénétrer le marché africain. Pensez-vous que les opérateurs économiques algériens ont la capacité de développer, voire consolider, leur présence sur les marchés en Afrique», surtout que la Zone de libre-échange continentale africaine «ZLECAF» se révèle une aubaine pour nos investisseurs ?
Je ne sais pas si la ZLECAF sera plus une aubaine pour nous en direction de l’Afrique qu’une immense opportunité de l’Afrique en Algérie. Nous verrons bien, l’essentiel est de donner à notre commerce extérieur une orientation sud-sud politiquement assumée. Le chantier reste vierge avec les pays de la CEDEAO et je pense en particulier aux opérateurs en Côte-d’Ivoire où le potentiel de coopération et de complémentarité est important, pourvu qu’il soit basé sur un échange direct des intérêts croisés. Les efforts de l’Etat algérien dans les mesures d’accompagnement des opérateurs nationaux en direction des exportations est bien entendu à encourager.
Le dispositif de création de banques, de plateformes commerciales avec Tasdir sont des pas orientés dans le bon sens. Il reste à trouver les voies et moyens d’assouplir certaines dispositions de la loi sur la monnaie et le crédit pour que nos opérateurs puissent aborder les marchés à l’export avec l’ensemble des instruments modernes qui sont à la disposition de leur concurrence internationale mais malheureusement pas encore dans l’arsenal de nos entreprises, du fait d’une vision trop restrictive de l’acte d’exporter.