-L’ex-Fdatic, le FNDATICPAL, vient de délibérer et accorder un financement pour quelques films et documentaires pour un montant global de 63 milliards. C’est beaucoup, peu, pas assez, comment voyez-vous cette aide vu que vous aviez sonné l’alerte l’année dernière dans le cadre de l’APAC pour la relance du cinéma ?
C’est très peu. 63 milliards de centimes, c’est l’équivalent de 4 millions d’euros, budget moyen d'un long métrage en France. Il y a en fait l’avant et l’après Fdatic, il faut souligner que le cinéma algérien n’a pu exister que grâce à ce fond institué en 1968 et qui permis à l’Algérie d’obtenir par le passé des prix dans des festivals prestigieux. A mon avis, c’est une erreur de supprimer le seul guichet qui soutenait le cinéma au moment où l’Algérie cherche à relancer son cinéma très affecté par la décennie noire, où le cinéma était en pause, 0 film produit, 0 film projeté, 0 salle ouverte, 0 billet vendu. On doit juste saluer le courage de Boudjemaa Kareche qui a résisté par la présence symbolique de la cinémathèque d’Alger malgré les menaces et les dangers. Je pense qu’il fallait revoir le fonctionnement de FDATIC au lieu de le supprimer, revoir sa transparence, faire un nettoyage et installer de nouveaux mécanismes. Le ministère n’est pas une institution de cinéma, le ministère n’est pas un producteur, il doit juste dessiner une politique.
-On donne de l’argent public pour des films, y a-t-il un retour sur investissement ? Comment établir un circuit cinéma qui puisse, comme aux USA, en Inde ou au Nigeria, attirer des financeurs privés ?
Partout dans le monde, on subventionne le cinéma exceptés les Usa, et il ne faut pas le prendre comme exemple, chez nous aussi, on subventionne tout, y compris le sucre, qui est d’ailleurs très mauvais pour la santé. Donc, oui, l’Etat doit subventionner le cinéma, la culture est une affaire d’Etat et un besoin important pour le citoyen. Il n’y a pas de retour d’investissement dans le cinéma sans la création d’un vrai réseau de salles de cinéma qui exploitent le film étranger et surtout les blockbusters. C’est comme ça que le CNC français arrive à financer le cinéma français. Dans le passé, c’était le film qui attirait le public, maintenant, c’est le lieu, c’est le multiplex qui offre un luxe, une sortie moderne et répond aux attentes et aux besoins du public.
Ce public de cinéma algérien existe, il est chez lui dans un confort, il a un téléviseur intelligent, un grand écran installé dans son salon, un home-cinema, des plates-formes et des chaines TV qui lui offrent de milliers de films presque gratuitement, comment le faire sortir de son confort ? Il faut lui offrir un autre confort, différent et plus intéressant, sans oublier que l’Algérien a besoin aussi de se retrouver dans son propre cinéma qui lui sert de miroir pour se reconnaître, s’identifier, un cinéma qui lui parle, qui le rend fier, un cinéma libre. Il y a donc du potentiel, cinéastes et public, il faut juste libérer la production de l’image, introduire le cinéma dans les écoles et que le policier cesse d’interdire aux gens de prendre des images avec leurs propres téléphones.
-La nouvelle loi sur le cinéma, qui prévoit entre autres des peines de prison pour les producteurs, n’a pas été encore adoptée. Pensez-vous que la mouture finale, plus ou moins révisée lors des assises avec les professionnels du secteur, va contenter tout le monde ?
Les assises du 29 et 30 avril ont été un espace libre, d’échanges, avec une présence remarquable des professionnels qui ont fait beaucoup de propositions. Pendant ces assises et même avant dans des publications ou prises de paroles, les professionnels ont fortement condamné le texte liberticide qui a été rejeté par le conseil des ministres. Combien y a-t-il de vidéos, juste sur Youtube ? Chaque seconde ce sont près de 43 000 vidéos qui sont visionnées, soit 1460 milliards de vidéos par an. C’est une perte de temps et d'énergie que de contrer l'incroyable développement et diffusion de l'image.
C'est le contraire qui doit se faire, la production d'images doit être encouragée et non restreinte sous des prétextes impossibles, ce n'est pas productif et contre le projet de la relance de cinéma souhaité par le Président. Interdire de faire un film sur soi librement, c’est comme interdire un selfie. Désormais, les professionnels doivent s'unir pour défendre leur projet, car ils connaissent très bien les problèmes et les solutions.
Pas de cinéma sans eux, pas de cinéma sans espace de liberté, pas de cinéma sans financement, pas de cinéma sans salles. Les professionnels ont besoin d’une loi-cadre qui encourage et protège la création, un cinéma ouvert sur le monde, qui raconte des expériences humaines. C’est tout ce à quoi nous aspirons. Nous attendons.
Propos recueillis par Chawki Amari
La semaine prochaine : partie 2 de l’entretien.