Autrefois, chaque commune disposait d’un espace de lecture publique et chaque quartier avait au moins une librairie et une bouquinerie. A présent, ces établissements ont troqué leur activité originelle contre un exercice qui semble épouser l’air du temps. La raison serait-elle seulement liée à la désaffection dont fait montre le jeune pour le livre ?
Sur les 57 communes que compte la wilaya d’Alger, combien de bibliothèques communales restent opérationnelles pour les administrés ? Combien de librairies abritent Alger-Centre et les communes avoisinantes ? Combien de Maisons de culture disposent d’une aile de lecture pour leurs adhérents ? Combien de chefs d’établissement scolaire jugent utile de créer des espaces de lecture à même de susciter l’engouement des élèves à se frotter au livre, censé améliorer leur expression orale et écrite ?
Des interrogations qui nous invitent dans la foulée à poser une autre question : dans un campus universitaire combien d’étudiants se donnent le plaisir de parcourir un corpus dans un moment de relax ? «Très peu sinon walou», me disait l’autre jour un conférencier es histoire, qui s’apprêtait à regagner les travées de l’amphi. Ne dit-on pas que le meilleur compagnon de l’homme est un livre ?
Outre qu’il soit un plat inondé d’informations utiles, il fait épanouir, donne une vitalité culturelle, développe l’imagination, booste les capacités cognitives et demeure à bien des égards un ami pour celui qui ressent la solitude, pour ne citer que ces bienfaits. Mais de nos jours, les enfants et les jeunes préfèrent orienter plutôt leur attention sur tout un tas de choses en même temps (réseaux sociaux, SMS, conversation avec leurs collègues, vision de podcast…).
Ils restent rivés sur le flot des vidéos et reçoivent un défilé incessant d’images ne leur accordant pas un iota de temps pour faire un commentaire, voire une halte... Selon les experts, la perception visuelle se trouve à la longue affectée, alors que la lecture oblige l’enfant à n’être concentré que sur le contenu qu’il lit ; le monde qui l’entoure disparaît et reste immergé dans sa lecture.
Au quotidien, cela l’aide à n’être concentré que sur une tâche à la fois. On se rappelle l’initiative prise, il y a plus d’une quinzaine d’années, par le ministère de la Culture, à travers la Bibliothèque nationale du Hamma, de mettre en mouvement des bibliobus qui devaient sillonner les villes du pays. L’idée on ne peut plus salutaire se résumait dans la mise en branle d’un fonds documentaire varié de plus de 30 000 titres destinés à la lecture publique, via une douzaine de bibliobus.
Les bibliobus, une initiative mort-née !
Une opération qui était soutenue par le nouveau souffle de la lecture «baptisé» «Une Bibliothèque publique dans chaque commune», et ce, en dehors de la convention signée entre le ministère de la Culture et celui de l’Education nationale instituant «la lecture comme matière essentielle dans le programme scolaire, faisant obligation à l’élève de lire au moins quatre titres par an».
Et ce n’est que de bon aloi lorsqu’il s’agit de stimuler la lecture chez l’enfant, sommes-nous tenus de dire. Si la louable entreprise a été accueillie favorablement au départ par les chefs d’établissement public, un très grand nombre de ces derniers ne souscrivent pas à cette option de promotion de la lecture. Un outil didactique que nul autre ersatz n’a la qualité de remplacer. Ni l’image de la vidéo, ni la Toile du Net ne sont à même de se substituer au livre, selon les psychopédagogues.
Cela ne nous renvoie pas moins à la sagesse dans la langue d’Ibn ‘Arabi qui dit, à juste titre, que «khayr djaliss fil anem, kitab» (le meilleur compagnon est le livre). L’enfant tire, en effet, du livre un formidable apprentissage, lui permettant d’une part de caresser l’histoire même à titre ludique, et d’autre part, de découvrir le sens des mots, puis des idées qui s’accumulent avant de s’enfouir comme des trésors dans sa mémoire.
Autrefois, pratiquement dans chaque quartier, il y avait un libraire. «Au niveau de la commune de Bab El Oued, pas moins d’une quinzaine de libraires y élisaient leurs quartiers, alors qu’il ne reste actuellement que trois établissements qui relèvent de trois maisons d’édition, à savoir la maison Chihab éditions, Dar El Maarifa éditions et la librairie ENAG, ou la commune d’El Biar qui n’en compte, elle, que deux», me confie Brahim M., un septuagénaire qui fréquente beaucoup les librairies.
Les gérants de papeterie, quant à eux, préfèrent meubler leurs éventaires du produit parascolaire – chargé faut-il souligner de bévues – un négoce qui rapporte mieux.
Quoi donc de plus amer aussi lorsque l’on croise d’anciennes librairies reconverties en établissements de «chawarma» et autres supérettes, les fameuses bouquineries, dont il n’en subsiste qu’une seule à Alger-Centre – du côté de la rue Didouche Mourad –, faisant quelque part de la résistance, ou encore les bibliothèques municipales pleines de vide, «supprimées» ou carrément troquées, comme celle de la commune de Bab El Oued transformée en cellule chargée de la réactualisation du fichier électoral !