Si des raisons objectives justifient certaines hausses, notamment celles des produits dépendant des prix des matières premières sur les marchés internationaux, certaines envolées des prix obéissent plutôt à de la pure spéculation et à l’absence de régulation du marché commercial.
A quelques jours du Ramadhan, une forte augmentation des prix des denrées alimentaires et des fruits et légumes au niveau des marchés est perceptible. Cette fièvre de la mercuriale est accompagnée cette année par la rareté de certains produits sur les étals des supérettes (semoule, huile, etc.).
Si des raisons objectives justifient certaines hausses notamment celles des produits dépendant des prix des matières premières sur les marchés internationaux, certaines envolées des prix obéissent plutôt à de la pure spéculation et à l’absence de régulation du marché commercial.
Certains commerçants donnent libre cours à leur insatiable appétit et ne semblent privilégier que l’enrichissement, obsédés par l’envie de faire des bénéfices. La flambée des prix engloutit le budget des ménages et écrase davantage le pouvoir d’achat. Les Algériens vont entamer le mois de jeûne dans des conditions pénibles.
Il est de plus en plus difficile de remplir son couffin. Les petites bourses ont déserté depuis un certain temps les grandes surfaces commerciales et préfèrent s’approvisionner chez l’épicier du coin ou la supérette du quartier qui continuent encore à accepter d’ouvrir «un carnet» et à vendre à crédit malgré la persistance de la crise économique et la chute des bénéfices.
Du côté des analystes et des spécialistes des questions économiques, chacun à son son de cloche.
Contacté par El Watan, Hacène Menouar, président de l’association El Aman, nous donne ses éclairages.
Pour ce qui est de l’envolée des prix, il tient à préciser d’emblée qu’il «faudrait dire la vérité : pour certains produits agricoles, les légumes de saison notamment, on les trouve pas cher, il faudrait être raisonnable, ce sont des prix qui sont justes, de la tomate qui n’est pas à sa saison et qui est vendue entre 80 et 90 DA, c’est tout juste, les navets et les carottes à 60 DA, c’est correct, les artichauts à 70 DA.
Quant à la pomme de terre, c’est un moyen de pression d’abord, les consommateurs en demandent beaucoup et les spéculateurs aussi trouvent le vide qui s’est installé, un dysfonctionnement au niveau des contrôles et des autorités qui ne sont toujours pas arrivés à réguler ce produit, il y a des barons qui font la loi, il y a beaucoup d’intermédiaires entre les producteurs et les consommateurs, il y a aussi un lobby de la pomme de terre».
Il ajoute : «Pour nous, en tant qu’association, il est maintenant impératif de demander aux hautes autorités de dissoudre tous les offices qui ont la charge de la pomme de terre. Il faut créer un organisme capable de faire le travail de régulation, l’identification et le recensement des producteurs, estimer les besoins, cibler les régions de production et faire le tri des espèces et variétés de pommes de terre destinées à la consommation directe et à la transformation et relancer ainsi cette filière d’une manière correcte, scientifique avec de nouvelles volontés et des compétences. Il ne faut pas laisser perdurer le désastre pour les années à venir».
Il propose de mettre en place tout le réseau de distribution professionnel décliné en en marchés régionaux, marchés de gros et de proximité.
Selon lui, l’anarchie du marché informel dicte sa loi : «On parle beaucoup des prix, mais on ne parle pas de l’inconfort et de l’insécurité des consommateurs qui achètent des légumes dans des zones dangereuses et en stationnant souvent sur des routes, des marchands qui ne sont pas identifiés, sans registre de commerce».
Il reconnaît que certains produits alimentaires, notamment la semoule, sont en manque parce qu’il y a une crise réelle à l’étranger qui s’est manifestée en Algérie par une amplification de la frénésie, d’affolement et d’engouement sur ce produit, car les gens ont peur de la pénurie, ils entendent parler en Europe que ce produit commence à se faire rare du moment que les gros producteurs, la Russie et l’Ukraine, se font la guerre. «Il faudrait un discours officiel tranquillisant des responsables avec des chiffres et aussi inonder d’une manière régulière et stable le marché. Il ne faudrait pas que les consommateurs fassent de la spéculation chez eux», explique-t-il.
Il risque d’y avoir un problème sérieux pour l’huile car les producteurs réclament leur quote-part de la subvention qui n’a pas été versée par les pouvoirs publics, il y a la menace de fermeture de certaines usines ou du moins la réduction de la production, ce qui amplifie la peur et la crainte des consommateurs, surtout des professionnels qui se préparent à la restauration collective, la confection des gâteaux traditionnels.
Abderrahmane Hadef, expert en économie, nous apporte d’autres éléments à prendre en compte dans la réflexion globale. «Les raisons peuvent être résumées principalement en deux points. Le premier est structurel dû a une désorganisation des circuits de distribution avec un manque de régulation au niveau des grands distributeurs, ce qu’on appelle dans le jargon les supers grossistes qui contrôlent le marché et se positionnent entre les producteurs/importateurs et le reste du circuit de la distribution. Et le deuxième est comportemental chez les citoyens qui changent de mode de consommation de manière brusque, ce qui se répercute par des tensions dans l’approvisionnement des marchés», met-il en exergue.
Et de poursuivre : «La demande augmente fortement sur les mêmes produits par l’ensemble des ménages pour un intervalle temporel très réduit, ce qui rend la satisfaction de la demande difficile. Donc, il est temps de s’attaquer directement à ces deux problématiques à travers des politiques bien élaborées.
Pour le premier point, il est temps de réfléchir à la création de ce qui est connu à travers le monde par les centrales d’achat qui peut être inscrites dans le cadre du partenariat public-privé en créant des sociétés clairement identifiées et dont la régulation se ferait plus aisément. Pour le deuxième point, il est important qu’on travaille sur la sensibilisation et l’éducation nutritionnelle pour amener les consommateurs à modérer et mieux organiser leurs achats durant les périodes de tensions».