Analyse des migrations internationales dans le monde et en Algérie

11/01/2024 mis à jour: 13:26
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Photo : D. R.

Les migrations internationales ont connu une intensification au cours des dernières années en raison de nombreux chocs macroéconomiques et de la multiplication des foyers de tension à travers le monde. Ces mouvements migratoires ont été exploités par des politiciens de droite et d’extrême-droite au niveau des pays avancés pour des raisons électorales quitte à recourir à des arguments fallacieux et des données manipulées.

Plus grave, ils le font en exploitant les appréhensions et les craintes de leur population en détournant l’attention de cette dernière des véritables défis économiques (inflation, emploi, croissance et endettement) qu’ils ne sont pas en mesure de prendre en charge.

Les migration internationales en en direction des pays avancés contribuent à améliorer l’emploi intérieur, la productivité et partant la croissance de ces derniers. Une conclusion claire et nette d’une récente étude du FMI qui vient d’ailleurs corroborer les résultats d’autres travaux similaires conduits précédemment.

Ces conclusions s’inscrivent en faux par rapport aux idées fallacieuses et données fausses répandues jour après jour par les politiciens de droite et d’extrême-droite en Occident qui mettent de côté des valeurs universelles telles que l’égalité, la coopération, la tolérance et l’inclusion pour gagner des voix. Plus grave, ils le font en exploitant les appréhensions et les craintes de leur population, et ce faisant, détournent l’attention de cette dernière des véritables défis économiques (inflation, emploi, croissance et endettement) qu’ils ne sont pas en mesure de prendre en charge.

Pour ce qui est de l’Algérie, pays de destination et de départ, les migrations internationales restent contenues dans des limites raisonnables. Toutefois, les départs privent le pays de ressources humaines importantes, causant ainsi des dommages structurels et compromettant l’avenir du pays. Dans ce contexte, la refondation du modèle économique et social est incontournable pour fixer sur place la force vive du pays. Discutons de tous ces points. 

Cadre conceptuel de base. Pour la clarté de l’analyse et la compréhension des données présentées, rappelons quatre définitions de base : 

1- Les déplacés internes sont des personnes qui n’ont traversé aucune frontière internationale en quête de sécurité. Elles ont fui leur région de résidence mais demeurent dans leur propre pays et sous la protection de leur gouvernement, quand bien même celui-ci serait la cause de leur déplacement ; 

2- Les réfugiés sont des personnes qui ont demandé asile dans un pays étranger et qui se sont vu reconnaître la qualité de réfugié qui leur octroie ainsi une protection internationale hors des frontières de leur pays ; 

3- Les migrants internationaux sont des personnes qui ont traversé une frontière internationale quel que soit leur statut juridique ou indépendamment du fait que le mouvement soit volontaire ou involontaire ; 

4- Les rapatriements de fonds sont des transferts financiers ou en nature effectués directement par les migrants au bénéfice de leur famille ou de leur communauté dans leur pays d’origine. La migration internationale est au nexus de l’économie, du social, de l’environnement et du sécuritaire, ce qui en fait un problème complexe qu’il faut analyser avec rigueur loin de la désinformation politique. 
L’état des migrations internationales en 2022. Les données de l’Organisation Internationale pour les Migrations (OIM) font ressortir ce qui suit : 

1- Le nombre de migrants internationaux (en termes de stocks) approche 281 millions dans le monde (173 millions en 2020), ce qui représente un très faible pourcentage de la population mondiale (3,6% par rapport à 2,9% en 1990 ou 0,7 points de pourcentage de progression en 32 ans) et signifie surtout que la majorité des personnes dans le monde (96,4%) restent dans leur pays de naissance ; 

2- Les femmes représentent 48% de la totalité des migrants ; 

3- Les enfants participent à concurrence de 14,6% du total des migrants internationaux 

4- La part des migrants par rapport aux populations totales des pays est variable mais sans atteindre des proportions élevées. Pour l’Amérique du Nord, cette part est de 21,3% au Canada et 15,3% aux Etats-Unis (pays d’émigration par excellence). En Europe, elle se situe, entre autres, à 19,8% en Suède, 18,8% en Allemagne,17,3% en Belgique et 14,6% en Espagne. Pour les autres grands pays européens, elle atteint 13,8% aux Pays-Bas, 13,1% en France et 9,8% au Portugal ; 

5- Le nombre de travailleurs migrants est de 169 millions (par rapport à environ 3,3 milliards de travailleurs à travers le monde soit un faible pourcentage de 5%) dont 113 millions ont des revenus élevés, contribuant à la demande des pays d’accueil ; 

6- Les citoyens des pays avancés font aussi partie intégrante de ces mouvements migratoires internationaux. Les données de l’OIM font ressortir, inter alia, que les citoyens américains (1,3 million), allemands (1,6 million), italiens (1,6 million) et français (1 million) vivent et travaillent en Amérique du Nord et dans divers autres pays européens. Pour ce qui est des réfugiés et des déplacés, ils représentent 26,4 millions et 55 millions de personnes, respectivement. In fine, ce panorama officiel montre que les migrants internationaux ne perturbent pas les équilibres démographiques mondiaux et ne sont pas un fardeau pour les pays d’accueil. 

Les mouvements migratoires continentaux entre 1990-2022. L’Amérique du Nord est le continent qui arrive en tête au vu du taux de croissance du nombre de migrants (112,7%), suivie par l’Amérique Latine (107%), l’Océanie (98,3%), l’Asie (77,6%), l’Europe (74,8%) et l’Afrique (61,8%).

Les séries longues montrent que l’Europe reste donc une destination relativement peu recherchée dans la mesure où les migrants privilégient les pôles de croissance offrant des perspectives réelles tout en étant des terres d’accueil.

Les rapatriements de fonds de la migration internationale en 2022 bénéficient aux pays avancés et en développement. Les migrants internationaux ont contribué au rapatriement de fonds pour un montant de $702 milliards de fonds (0,7% du PIB mondial). Les pays bénéficiaires les plus importants sont l’Inde ($83,2 milliards), la Chine ($59,5 milliards), le Mexique ($42,9 milliards), les Philippines ($34,9 milliards), l’Egypte ($29,6 milliards), le Pakistan ($26,1 milliards) et la France ($24,5 milliards). 

Les pays d’origine de ces fonds sont les Etats-Unis ($68 milliards), les Emirats arabes unis ($43,2 milliards), l’Arabie Saoudite ($34,6 milliards), la Suisse ($28 milliards), l’Allemagne ($22 milliards), la Chine ($18,1 milliards), la Russie ($16,9 milliards) et la France ($15 milliards). En 2022, ces rapatriements de fonds sont pratiquement équivalents aux investissements directs étrangers et très largement supérieurs à l’aide officielle au développement. 

Les mouvements migratoires vont se poursuivre au cours des prochaines années. Ils se feront au gré des mutations technologiques, géopolitiques et environnementales. Les facteurs proéminents qui vont soutenir ces futurs mouvements migratoires incluent :

1- Le changement climatique qui pourrait inciter les populations à se déplacer davantage ;
2- Le vieillissement des populations au niveau des pays avancés, ce qui donnera lieu à la circulation des jeunes et de talents, notamment en provenance du monde en développement et des pays émergents ; 
3- Le ralentissement de l’activité économique mondiale ; 
4- Les foyers de tension qui ne manqueront pas d’émerger dans de nombreux points du globe au vu de la fracture géostratégique qui ira en s’élargissant. En termes de projections à l’horizon 2050, en prenant pour hypothèses : (i) un taux de croissance du stock de migrants de 2,5 % en moyenne ; (ii) un taux de croissance de la population mondiale de 0,9 %, le taux de croissance du stock de migrants sera de 1,6% en proportion de la population.

A cette cadence, les migrants internationaux représenteraient au maximum 5 % de la population mondiale en 2050. Une progression raisonnable et loin de perturber les équilibres sociaux et démographiques des nations des destinations et de départs. Un problème à souligner concernera toutefois la fuite des cerveaux qui pourrait exacerber les inégalités entre les pays avancés et les pays en développement.

Les impacts macroéconomiques positifs des mouvements migratoires internationaux sur les pays de destination. Une étude récente du FMI a analysé l’impact dynamique des grandes vagues de migrations internationales sur les pays de destination (OCDE) en termes d’emploi, d’investissement et de productivité. Afin de bien ancrer l’analyse, l’étude a été conduite en :

1- Se focalisant uniquement sur des vagues migratoires déclenchées par des environnements difficiles dans les pays de départ afin de mieux saisir l’effet des migrants sur l’économie des pays d’accueil ; 

2- Prenant appui sur des données variées et significatives couvrant la période 1980-2018 relatives d’une part aux migrants internationaux à destination des pays avancés et d’autre part aux réfugiés en direction de pays en développement et émergents.

Cette étude fait ressortir des effets positifs et considérables des grandes vagues d’immigration au niveau des pays de l’OCDE sur la productivité totale des facteurs (PTF). Globalement, une hausse de 1% de la part des immigrés dans l’emploi total permet une augmentation de la production la cinquième année dont 2/3 provenant de l’amélioration de la productivité du travail et le tiers restant lié à la croissance de l’emploi. 

Dans la mesure où le stock de capital réagit immédiatement à une PTF plus élevée, sa croissance dépasse celle de l’emploi et, par conséquent, le ratio capital/travail augmente et la production s’accroît. Ces résultats reflètent in fine la complémentarité entre les compétences des immigrants et celles de la population native du pays.

A contrario, l’étude ne trouve pas des effets statistiquement ou économiquement significatifs (positifs ou négatifs) des réfugiés sur l’évolution dynamique des agrégats domestiques. En effet, les immigrants réfugiés sont désavantagés par rapport aux autres types d’immigrants.

Leurs conditions de migration et leur participation limitée au marché du travail de leur pays d’accueil réduisent considérablement leurs possibilités de peser positivement sur l’économie de leur pays d’accueil.
L’Algérie et la question des migrations internationales. Des facteurs géographiques, historiques et sécuritaires ont façonné au fil des années :

1- Un mouvement migratoire international entrant en provenance de l’Afrique sub-saharienne. Ce dernier est facilité par la position géographique du pays en tant que trait d’union entre l’Afrique subsaharienne et l’Europe. Les mouvements migratoires intenses actuels ne sont pas nouveaux car le vaste arrière-pays désertique a servi pendant des siècles de zone de transit de marchandises et de personnes dans le sens des axes ouest, est et sud méditerranée.

Plus récemment, ces mouvements migratoires à travers l’Algérie (comme point de passage ou de destination) ont pris de l’ampleur en raison des bouleversements géostratégiques régionaux et des difficultés économiques qui ont affecté les pays voisins 

2) Un second mouvement de migration internationale des populations algériennes à destination de l’Europe Occidentale, du Moyen-Orient, du Canada et subsidiairement des Etats-Unis. Ces mouvements migratoires sortants ont évolué en volume et destination au fil des décades en raison de facteurs sécuritaires et économiques.

Les migrations internationales des populations algériennes ont coïncidé avec un conflit militaire long et violent (longue Guerre de libération), la recherche d’un emploi dans un contexte économique difficile (période postindépendance), l’insécurité (décennie 1990) et la quête d’opportunités économiques et d’un cadre de vie alternatif (décennie 80 et 2000).

En tout état de cause, ces mouvements migratoires ne sont pas d’ampleur pour des raisons diverses, y compris : (i) les difficultés de voyage des citoyens algériens (indice de passeport très faible de 53 sur une échelle qui s’étend de 193 à 26) ; (ii) le manque de qualifications techniques pour la majeure partie des partants ce qui ne leur permet pas d’affronter un monde du travail hyper compétitif ; (iii) le déclassement offert aux diplômés et spécialistes ; (iv) la dégradation des conditions économiques mondiales et (v) la xénophobie et le racisme prévalant au niveau de nombreux pays d’Europe occidentale.

Les données officielles estimées sur les mouvements migratoires : si les migrants internationaux en Algérie sont estimés, selon l’OIM à environ 250 000 (0,6% de la population), les migrants internationaux algériens s’élèvent à environ 1 786 118 personnes, dont 163 7211 en France, 69 857 au Canada (69 857), 61611 en Espagne, 44 358 dans les autres régions du monde et 28 531 aux Etats-Unis.

Notons, en outre, que les femmes représentent 47,2% des mouvements migratoires externes. Au cours des trois dernières années, il est constaté un taux de migration nette (différence entre le nombre d’immigrants entrants et sortants divisé par la population) négatif qui est passé de -0,227 pour 1000 en 2021, -0,223 pour 1000 en 2022 et devrait se situer à -0,219 en 2023.

Ces données ne prennent pas en compte la migration illégale qui est un problème complexe qui trouve sa source entre autres dans la détérioration des conditions socio-économiques des populations (inflation, chômage, pauvreté) et la recherche d’un autre cadre de vie plus favorable.

Un élément nouveau de cette migration illégale est la participation des femmes et des enfants et également de certaines personnes âgées. Les données sont rares et certains spécialistes estiment ces mouvements à environ 14 000 personnes.

Il est clair que l’amélioration des conditions macroéconomiques du pays pourrait contenir en grande partie ces mouvements migratoires et même en renverser la tendance. Ceci passe par la refondation du modèle économique et social dont nous avons discuté en détail dans des articles précédents. Cette refondation implique des réformes structurelles ambitieuses qui ne commenceront à porter leurs fruits que sur le moyen terme. Commençons maintenant.  
 

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