Ancien ministre, ex-député et militant politique, Abdesselam Ali-Rachedi analyse, ici, l’état de la classe politique algérienne. Selon lui, «la vie politique est quasiment éteinte» et les différentes formations politiques «ne sont que des appareils déconnectés du réel».
- La scène politique nationale connaît depuis quelques mois une sorte de léthargie. On a l’impression que les partis de l’opposition comme ceux proches du pouvoir n’arrivent pas à se fixer des caps. Ce constat est-il juste, selon vous ? Si c’est le cas, pourquoi en est-on arrivé à cette situation ?
Votre constat est juste. La vie politique est quasiment éteinte. Les partis, qu’ils soient de l’opposition ou proches du pouvoir, ne sont que des appareils, complètement déconnectés du réel, et destinés à servir de faire-valoir à un régime qui refuse tout changement. Les positionnements opportunistes sont la règle, nourris par l’appétit pour les rentes de toutes sortes. En fait, la pseudo-ouverture politique de 1989 a consisté, en guise de multipartisme, en la création d’une multitude de partis uniques sur le modèle du FLN et partageant avec lui le même moule islamo-populiste.
- Après des années de pluralisme politique, le parti en tant qu’institution s’est montré incapable de peser sur la décision politique du pays. Cela est apparu notamment à l’occasion du hirak de 2019, où les partis ont peiné pour se trouver une place au sein du mouvement. Selon vous, quelles en sont les raisons ?
Justement, il n’y a jamais eu de pluralisme politique. La multiplication des appareils n’est pas synonyme de multipartisme, car tous ces appareils ne font que reproduire le discours populiste islamo-nationaliste du pouvoir. Dans ce discours, le peuple, considéré comme une masse indivisible, est paré de toutes les vertus et se trouve placé au centre de la vie politique. Or, la modernité, qui est le socle de toute démocratie, est fondée sur l’individu et le citoyen. Vous dites que les partis ont peiné pour se trouver une place au sein du hirak. Mais est-ce le rôle des partis de se fondre dans un mouvement de masse ? Pour moi, l’apparition du hirak résulte à la fois de l’absence de partis politiques véritables et du refus du régime d’accepter le changement.
- Quels sont les impératifs auxquels doivent répondre les partis dans le contexte actuel pour dépasser les écueils et gagner la confiance de la société ?
Dans une situation normale, les partis politiques doivent servir d’intermédiaires entre la société civile et l’Etat. Dans une situation où les individus/citoyens sont autonomes, il y a une très grande diversité des intérêts, des identités et donc des aspirations. Ces aspirations, en raison de leur très grande diversité, ne peuvent être satisfaites directement. C’est le rôle des partis, en fonction de leurs orientations, d’en faire une synthèse cohérente et les traduire en programmes de droite, de gauche ou du centre. Et, sur cette base, concourir pour l’accès au pouvoir afin de satisfaire ses électeurs. Autrement dit, le pluralisme politique n’est que la traduction du pluralisme inhérent à la société. Or, le populisme ne reconnaît pas la diversité car il ne reconnaît pas l’individu libre. Il ne reconnaît pas non plus les élites et toute idée de représentation. Bref, le populisme sert de fondement à l’autoritarisme.
- Le fonctionnement du système politique algérien permet-il l’émergence de forces politiques fortes et un renouvellement de l’élite ?
Il est clair que le régime algérien est un régime autoritaire. Mais cet autoritarisme s’appuie sur des fondements idéologiques largement partagés, hérités du mouvement de libération, dont la matrice est le populisme islamo-nationaliste. Rompre avec le populisme au profit d’une pensée basée sur l’individu et le citoyen est un prérequis pour l’émergence de partis politiques dignes de ce nom et d’une démocratie représentative.