Depuis le 25 juillet 2021, assurant agir dans l’intérêt du pays, Kaïs Saïed concentre tous les pouvoirs et dirige la Tunisie par décrets-lois, faisant craindre une dérive autocratique. Ce coup de force est qualifié de «coup d’Etat» par ses opposants.
A l’appel du «Front de salut national», une coalition d’une dizaine d’organisations d’opposants, des centaines de personnes ont manifesté hier à Tunis, rapporte l’AFP. Initiative prise pour protester contre le projet de la nouvelle Constitution qui doit être soumis à référendum en juillet et la révocation de 57 juges par le président Kaïs Saïed.
Un «dialogue national» a été initié par le Président il y a deux semaines pour élaborer une nouvelle Constitution, avant des élections législatives prévues en décembre.
Le dialogue a été boycotté par l’opposition, dont l’organisation syndicale l’Union générale tunisienne du travail (UGTT), qui estime que des acteurs clés de la société civile et les partis politiques en sont exclus. Une ébauche de la nouvelle Constitution doit être remise aujourd’hui à K. Saïed avant d’être soumise dans un mois à la population sous forme d’un vote oui ou non.
«Ce référendum n’est qu’une fraude», a dit un dirigeant du parti islamiste Ennahdha, Ali Larayedh, principale force au sein du Parlement dissous par le président Saïed lorsqu’il s’est arrogé les pleins pouvoirs lors d’un coup de force en juillet 2021. «Nous manifestons contre l’exclusion du pouvoir judiciaire et contre le coup d’Etat visant la Constitution», adoptée en 2014, trois ans après la chute de la dictature de Zine Al Abidine Ben Ali, a-t-il ajouté.
Depuis le 25 juillet 2021, assurant agir dans l’intérêt du pays, Kaïs Saïed concentre tous les pouvoirs et dirige la Tunisie par décrets-lois, faisant craindre une dérive autocratique. Pour sortir de l’impasse provoquée par son coup de force, qualifié de «coup d’Etat» par ses opposants, il a proposé une feuille de route qui prévoit un référendum sur la Constitution le 25 juillet et des législatives anticipées le 17 décembre.
Le 1er juin, il a révoqué 57 magistrats, les accusant de corruption et entrave à des enquêtes, après avoir renforcé sa tutelle sur le système judiciaire. Parmi les magistrats limogés qui pourront faire l’objet de poursuites, sont cités un ancien porte-parole du pôle de lutte contre le terrorisme, un ancien directeur général des Douanes et l’ancien président du Conseil supérieur de la magistrature (CSM).
Les révocations concernent aussi des magistrats soupçonnés d’avoir entravé l’enquête sur les assassinats, en 2013, de deux dirigeants de gauche, Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi, imputés à des djihadistes. Le Président a aussi fait amender la loi qui régit le CSM, autorité de tutelle de la justice tunisienne, pour pouvoir révoquer les magistrats, invoquant une «atteinte à la sécurité publique ou à l’intérêt suprême du pays». D’où une grève des magistrats tunisiens, qui entrera aujourd’hui dans sa troisième semaine, pour protester contre la révocation de leurs confrères.
Bras de fer avec le monde du travail
Entre-temps, les relations entre le Président sont sous tension. Jeudi à l’appel de la centrale syndicale, une grève de 24 heures dans le secteur public, qui semblait largement observée dans toutes les villes, concernait théoriquement quelque 3 millions de salariés et devait paralyser 159 entreprises étatiques. «Votre grève est suivie à 96,22%», s’est félicité le chef de l’UGTT, Noureddine Taboubi, lors d’un discours devant des centaines de militants rassemblés devant son siège à Tunis à cette occasion. Il a imputé au gouvernement l’échec des négociations salariales ayant conduit à la grève.
«C’est un gouvernement intransigeant qui sème la zizanie et répand de fausses informations», a-t-il déclaré. Il a accusé des «mercenaires» partisans du pouvoir de «mener des campagnes de diabolisation et de harcèlement» contre l’UGTT Face à une inflation galopante, l’UGTT réclame notamment de nouveaux accords salariaux pour «corriger le pouvoir d’achat» pour les années 2022 et 2023 ainsi que, rétroactivement, pour 2021.
Elle exige aussi le retrait d’une circulaire gouvernementale interdisant aux ministères de mener des discussions bilatérales sectorielles sans l’accord du chef du gouvernement. «Ce n’est pas une hausse des salaires que nous demandons, mais de réajuster le pouvoir d’achat des travailleurs pour tenir compte de l’inflation», a dit N. Taboubi, pour qui ce réajustement devrait se situer à plus de 10%. «Nous n’arrêterons pas la lutte, quel qu’en soit le coût, tant que nos revendications ne sont pas satisfaites», a-t-il ajouté.
Il a souligné que l’UGTT ne renoncera pas non plus à sa demande de faire supprimer une cotisation de 1% prélevée depuis 2018 sur les salaires pour combler le déficit des caisses sociales.
L’initiative de l’UGTT intervient alors que la Tunisie est engluée dans une crise économique qui alimente la protestation sociale. Le pays a besoin d’une aide d’environ quatre milliards de dollars, la troisième en 10 ans. Le gouvernement a soumis un plan de réformes au FMI, qui prévoit un gel de la masse salariale de la Fonction publique, une réduction progressive de certaines subventions étatiques et une restructuration des entreprises d’Etat.
Mais, le Fonds veut que ces promesses soient soutenues par les partenaires sociaux, dont l’UGTT, pour garantir leur application. De son côté, la centrale syndicale demande «des garanties» pour que les entreprises publiques, dont beaucoup de monopoles (Office des céréales, électricité, carburants, phosphates, entre autres) ne soient pas privatisées.
Elle a accusé le président Saïed de «saper les principes de la négociation et de revenir sur des accords conclus précédemment».