Inclusion et accessibilité dans les universités algériennes : La longue marche vers un enseignement inclusif

17/02/2024 mis à jour: 05:22
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Des étudiants de la Cellule d’accompagnement, de sensibilisation, d’appui et de médiation mise en place à l’université de Béjaïa en 2012 (photo : el watan )

Mercredi 13 décembre. Il est 8h. Une journée ordinaire commence au campus universitaire d’Aboudaou, de l’université Abderrahmane Mira de Béjaïa. En ce temps printanier, les étudiants affluent dans l’enceinte par vagues, rejoignant amphithéâtre et salle de TD. 

Pendant ce temps, Amine et Assia, deux étudiants aux besoins spécifiques, vautrés dans leur chaise roulante électrique, attendent leurs accompagnateurs dans le local de la CASAM, la Cellule d’accompagnement, de sensibilisation, d’appui et de médiation mise en place à l’université de Béjaïa en 2012, dans le cadre du programme européen Tempus sur l’enseignement inclusif des universités du Maghreb (UMEI). 

L’objectif de ce projet, pour les universités algériennes participantes, «est la création et la mise en place de ces cellules au sein de ces établissements, en mesure de proposer des outils et procédés pour pallier les carences et participer à la démocratisation de l’accès à l’enseignement  supérieur en le rendant accessible à tous».

 Il faut noter dans ce contexte que le programme Tempus prend en charge des étudiants à besoins particuliers renfermant, en plus des étudiants présentant un handicap, les étudiants des pays étrangers, ceux issus du milieu rural ou encore aux conditions sociales rudimentaires et les étudiants incarcérés.

Assia, comme tant d’autres, se dit satisfaite de l’appui apporté par la cellule, qu’elle considère comme son «deuxième foyer», car elle y retrouve attention et surtout l’écoute. Cette pièce d’une soixantaine de mètres carrés, située au rez-de chaussée d’un bloc pédagogique, est le port d’attache des dizaines d’étudiants en situation de handicap. «Mes premiers instants à l’université étaient difficiles. 

D’entrée, j’ai failli décrocher à cause du transport. Le bus n’arrivait pas jusqu’à chez moi, à Oued Ghir», confie-t-elle. La main serrant le coudoir de son fauteuil roulant, elle ajoute : «Comme le petit moteur de mon fauteuil  électrique n’est pas adapté pour nos chemins escarpés, le wali, en faisant un geste,  a proposé des motos, malheureusement, on n’a pas suffisamment de force dans les bras pour manœuvrer un tel engin», dit-elle. 
 

La hantise du décrochage 

L’université, ce monde nouveau et si merveilleux pour les bacheliers, mais fait de défis ressemblait pour elle à un monstre qu’elle devait affronter tous les jours. «Tout me semblait inaccessibles, jusqu’à ce que je rencontre les volontaires de la CASAM, dont le coordinateur a tout fait pour faire en sorte, avec la DOU, d’adapter le circuit de transport  pour que le bus passe par mon quartier». 

Il faut dire que le personnel de l’université a grandement contribué pour mettre ses étudiants dans les meilleures conditions. Son camarade Amine, après la médiation de la cellule, a également eu droit à un chauffeur, mis à la disposition de l’étudiant par l’APC pour le déplacer des hauteurs de Tizi N’berber jusqu’à la ville d’Aokas, où il peut prendre le transport universitaire. 

Une fois à l’arrêt de bus, ce sont ses camarades qui le soulèvent avec sa chaise pour l’installer dans bus. Comme les bus de transport public, les universitaires ne sont équipés ni d’un plancher surbaissé ni d’une palette rétractable pour permettre l’accès en fauteuil roulant. Depuis, la maman d’Amine n’est plus contrainte d’assister son fils à la résidence universitaire, dans une chambre qui a été aménagée spécialement pour les deux. 

Idir Nabila, la secrétaire permanente de la CASAM, veille tous les matins à ce que ses protégés bénéficient d’un accompagnateur volontaire qui facilitera l’accès des étudiants en situation de handicap aux cours et dans toutes les structures pédagogiques du campus. «On peut trouver dans chaque département un adhérent ou tout simplement un volontaire qui va s’assurer de l’évolution normale du quotidien de cette catégorie dans l’enceinte universitaire», rassure Nabila. 

L’idéal, pour elle, «c’est d’arriver un jour, avec l’aide des autorités, à recruter des employés permanents, formés pour faciliter la vie universitaire à ces étudiants soufrant de déficiences physiques et autres de troubles psychiques et, surtout, institutionnaliser ces cellules d’appui pour qu’elles bénéficient davantage de moyens».

Le dernier chiffre avancé par l’une des professeurs universitaires fait état de près de 200 étudiants en situation de handicap évoluant à l’université Abderrahmane Mira de Béjaïa. Les statistiques et l’identification des cas de déficience physique et mental sont connus grâce à l’implication de la CASAM dans l’identification et le recensement des besoins de cette frange estudiantine. 

«C’est pour cela que nous voudrons mettre en place des sections dans les autres facultés à travers la wilaya, mais aussi renforcer notre présence à l’échelle nationale», estime-t-elle. Selon nos informations, ce projet européen est implanté dans trois grandes universités du pays, à savoir Béjaïa, Constantine et Tlemcen, mais selon nos échos, seule celle de Béjaïa qui fonctionne normalement. 

Dr. Dalila Ahmedi, enseignante-chercheuse et membre de la CASAM, souligne que «dans les recommandations que nous avons formulées lors de la récente journée d’étude autour de ce thème, plusieurs avis et objectifs ne peuvent se réaliser qu’avec le soutien des pouvoirs publics, vu l’ampleur des difficultés et l’importance des moyens pédagogiques et matériels qu’exige  la réalisation de l’inclusion des étudiants aux besoins particuliers en milieu universitaire». 

Cependant, «dans notre organisation, nous agissons seulement là où on peut et dans la limite des moyens dont nous disposons et des compétences de nos membres». Elle affirme néanmoins, que le gros du travail de base est déjà réalisé, «car à la CASAM, on a auparavant identifié les axes sur lesquels l’administration peut agir, avec à la clé la proposition et le suivi des modalités pratiques pour atteindre les objectifs».  

Formation des enseignants

Intervenant lors de la journée d’étude organisée récemment à Aboudaou, Pr. Saliha Bouzid Baa est revenue sur les différents aspects de l’accessibilité chez les étudiants. Elle a expliqué que dans le milieu du savoir «beaucoup parlent de l’accessibilité physique alors que celle-ci est également d’ordre sociologique, psychologique et professionnel». 

Mais avant tout cela, précise-t-elle, «elle est pédagogique. Ce qui nous pousse à poser la question : comment transmettre le savoir à l’étudiant présentant un handicap ?». Elle préconise qu’il «faut au préalable recenser et identifier leurs besoins tout en tenant compte  des différentes déficiences et troubles sensoriel, mentaux ou moteur des étudiants avant d’adapter les aménagements et les pratiques pédagogiques en adéquation avec le type de la déficience».

Ce travail précise-t-elle, doit se faire dès le début de l’année pour éviter aux étudiants de se perdre. En dehors des moyens matériels, humains et les pratiques pédagogiques qu’on doit mettre en place, la spécialiste a insisté sur la formation des enseignants afin qu’ils soient au courant de ces pratiques pour qu’ils puissent les appliquer. 
 

Ces aménagements, affirme-t-elle, «peuvent aider sur le plan pédagogique, mais ne peuvent pas aider forcément à augmenter la participation sociale des étudiants dans l’université», si évidemment, d’autres créneaux et activités ne sont pas développés en amont, comme la création de clubs scientifiques, culturels, de handisport et leur implication.

Absence de la signalétique 

Enfin, en dehors des universités où  on peut constater une réelle volonté de faire avancer l’inclusion des étudiants handicapés, notamment à travers la mise en place d’une signalétique accessible aux personnes en situation de handicap, la plupart des établissements n’en sont pas dotés. 

Dr. Ahmedi estime que celle-ci est nécessaire à l’extérieur comme à l’intérieur de l’établissement. Ainsi, elle préconise, que la mise en place de la signalétique «doit respecter les conditions de visibilité, de lisibilité et de compréhension, et l’adoption d’un système  multi sensoriel pour répondre à toutes les catégories. 

Dans notre université, nous manquons de signalétique, et il faudra que nous réfléchissions à un projet  dans ce sens». Pour les adhérents de la CASAM, il est devenu plus qu’urgent «de sensibiliser et d’informer le maximum de décideurs et de responsables sur la dimension de la démocratisation de l’accès à l’enseignement supérieur, afin de provoquer le changement de paradigme, en transformant et en consolidant les représentations de ce que devrait être l’enseignement pour tous». 

Les bénévoles de la cellule concluent que, pour le cas de l’université de Béjaïa, celle-ci «dispose de nombreux dispositifs qui concourent à assurer une amélioration de l’enseignement et des conditions de vie de l’étudiant. C’est l’absence de culture coopérative et mutualiste qui fait que ces dispositifs agissent séparément, cloisonnés les uns des autres, qui font que leur efficacité et leur efficience s’en trouvent réduites».

 

Dossier réalisé par Nordine Douici

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