Il a encadré un stage de formation théâtrale à Agouni Fourrou : «Il y a nécessité de revisiter l’œuvre de Mohia»

10/04/2025 mis à jour: 19:42
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Stage de formation théâtrale au village Agouni Fourrou - Photo : D. R.

Le théâtre d’expression amazighe est l’avenir du théâtre algérien, estime l’homme de théâtre et artiste  aux multiples facettes, Samir Zemouri, qui invite à «revisiter» l’immense œuvre d’adaptation léguée par le défunt Mohia, si l’on  veut réellement la mettre à l’air du temps et permettre ainsi sa «pérennisation».

Pour l’artiste qui s’exprimait dans une conférence animée en marge du stage de formation théâtrale qu’il encadrait durant trois jours à Agouni Fourrou, dans la région des Ouacifs, au profit de jeunes comédiens à l’invitation de l’association culturelle locale Tanekra, le tout dernier sacre du Théâtre régional Kateb Yacine de Tizi Ouzou à la 17e édition du Festival national du théâtre professionnel avec sa pièce en tamazight Agharrabu n Kayen (l’embarcation vers Cayenne), qui avait remporté  le Grand prix, constitue «l’apothéose» pour le théâtre d’expression amazighe qui a eu à traverser trois principales étapes.

D’abord, énumère-t-il, celle «contestataire» en portant à bras-le-corps la revendication identitaire comme fut le cas pour d’autres expressions artistiques, puis celle de l’ouverture sur d’autres thématiques, à d’autres styles de théâtre. 
Ceci avec l’appui, il faut le dire, des théâtres régionaux, ceux de Tizi Ouzou et de Béjaïa notamment, qui ont accompagné «techniquement» cette phase couronnée donc, récemment, par ce sacre d’une pièce en tamazight lors du tout dernier festival national du théâtre professionnel.

Et cette exploration de nouvelles thématiques et la touche technique ont également fait que les œuvres de théâtre d’expression amazighe sont «comprises et appréciées partout en Algérie», fait remarquer Zemouri, ce qui constitue, poursuit-il, une «avancée notable», lui faisant dire que le théâtre d’expression amazighe est «l›avenir du théâtre algérien». Un théâtre amazigh qui est également en «fusion» avec d’autres langues qui le fait «avancer», regrettant, cependant, un «manque criant» en termes de formation. Une lacune qui n’est, cependant pas, circonscrite au seul théâtre dans la langue chère à Mammeri.

Le conférencier a, dans la foulée de son exposé, un aspect méconnu du grand public lié au lien qu’entretenait le défunt Abdelkader Alloula avec la cause identitaire. Le défunt illustre homme de théâtre a été, selon Zemouri, un des défenseurs «discrets» de la cause identitaire pour lui avoir dédié «subtilement» un passage dans un tableau de son immortelle pièce El Adjouad. C’était en 1985 à l’époque où une simple allusion à la «chose» identitaire était source de sérieux soucis et ennuis. Dans ce tableau consacré à l’école, un intendant d’origine kabyle exerçait dans un lycée d’Oran.

Comme celui-ci vivait loin de sa douce moitié qu’il a laissée au village, il lui arrivait souvent d’échanger avec elle via des lettres. Ces missives, Akli Mezgheni comme l’a nommé feu Alloula, les écrivait en «langue amazighe et en lettre d’or», relève Zemouri qui considère cela comme «preuve tangible de l’adoption par Alloula de la cause linguistique puisqu’il aurait pu dire «dialecte kabyle», l’expression langue amazighe étant bannie a cette époque des «unicismes tous azimuts».

Dans ce même tableau et juste après, un des gouals, incarné par le défunt Sirat Boumedienne, raconte que ledit intendant s’est engagé dans son testament rédigé avant sa mort, à «ne pas enterrer sa dépouille qu’il a décidé d’offrir comme objet de recherche pour les élèves et autres étudiants». Et à Zemouri de faire une lecture «profonde» de ce passage, lui pour qui le corps inerte de Akli Mezgheni symbolise «l’identité amazighe qui ne disparaîtra jamais puisqu’elle sert d’objet de recherche pour les multiples générations au fil du temps».

Revisiter Mohia

L’invité de l’association culturelle TANEKRA plaide, par ailleurs, pour la «revisite» de l’œuvre du défunt Mohia que le défunt Kateb Yacine qualifiait de «Molière kabyle». A l’appui de son plaidoyer, Zemouri avance la nécessité de se mettre à «l’air du temps», notamment en matière «technique sans rien toucher au texte».

Pour lui, si Mohia a su admirablement «kabyliser» des œuvres universelles puisées dans des écoles distinctes (comédie française et théâtre de l’absurde), «il est temps, estime-t-il, de revoir leur aspect technique et se départir ainsi du réflexe du copier-coller» et du «calque», estimant que «le théâtre contemporain exige scénographie, effets sonores, lumière et autres costumes, chorégraphie et la projection,  si nous voulons la pérennité des œuvres de Mohia et deviennent des références, il faudra donc les revisiter comme fut le cas pour des œuvres universelles de Brecht, Molière et autre Shakespeare qui sont revisitées avec l’esthétique du spectacle qui attire l’attention et l’intérêt du spectateur qui est exigeant» 

Celui qui officie comme enseignant de théâtre à l’institut français d’Oran tout comme il assure des mises en scène pour des troupes indépendantes et des cycles de formation pour des associations et des institutions culturelles, relève un manque manifeste en textes dramaturgiques, les anciens dramaturges ayant, explique-t-il, «épuisé toutes les thématiques».

Un déficit qu’il préconise de colmater en recourant à «l’adaptation d’œuvres romanesques algériennes, qui est, selon lui, la manière idoine d’y remédier». Pour Zemouri, le salut passe par la reprise de l’expérience de l’adaptation cinématographique d’œuvres romanesques d’auteurs algériens, citant Mouloud Mammeri, Mohammed Dib, Tahar Ouettar, en pensant à «adapter au théâtre les œuvres de nos grands écrivains à la renommée internationale établie comme Mouloud Feraoun,  Mouloud Mammeri et autres».

De l’art en pleine nature

Pour revenir à ce stage de trois jours qui a profité à des membres de la troupe théâtrale Imesdukkal (Les rassembleurs) relevant de l’association culturelle Tankera mais également d’enfants du village Agouni Fourrou, une quinzaine,  il a consisté en des exercices de concentration, d’expression vocales (échauffement vocal), marche scénique (mouvement sur scène), d’expression corporelle notamment le travail des émotions,  de dynamique de groupe, de diction, d’articulation et de jeu théâtral  collectif.

Et s’il s’est déroulé, les deux premiers jours, au niveau du siège de l’association organisatrice, le stage a eu pour arène au troisième et dernier jour, le stade de proximité d’Imdunen situé un peu plus haut, à près de mille mètres d’altitude, en pleine nature, dans un décor idyllique. Une première pour une activité de ce genre, relève Zemouri pour qui cela a permis aux stagiaires de se libérer et permettre ainsi une dynamique de groupe, manière de joindre l’utile à l’agréable».

Comme le veut la tradition, à la fin de ce stage de formation, il a  été question de recommandations faites par l’encadreur de cet atelier. Tenant, de prime abord, à relever l’existence de talents prometteurs qui ont du potentiel l’avenir dans l’art de l’interpréterait, Zemouri a fait une recommandation phare consistant en l’organisation d’une résidence artistique. Une rencontre qui regroupera, a-t-il proposé, des jeunes de tous les villages environnants amoureux du quatrième art. 

Lors de ce conclave estival, il sera question d’un atelier d’écriture dramatique et un autre atelier de l’art de l’interprétation, «deux aspects dont nous avons besoins pour l’instant, précise-t-il. A l’avenir, nous pourrons intégrer d’autres ateliers comme celui dédié à la scénographie, à la mise en scène,… A la afin de cette résidence artistique, les stagiaires présenteront un mini-spectacle ou un montage théâtral, dans une sorte de «rapport de stage». 
 

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