Huitième sommet du TICAD en Tunisie : Le Japon plaide pour «une croissance de qualité» en Afrique

28/08/2022 mis à jour: 04:41
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Le Japon s’investit beaucoup pour le développement des infrastructures en Afrique

La huitième Conférence internationale de Tokyo sur le développement de l’Afrique (Ticad 8) a débuté hier à Tunis. Une vingtaine de dirigeants africains (chefs d’Etat ou Premiers ministres) ont assisté à cette rencontre de deux jours, selon l’AFP citant des sources tunisiennes, comme 5000 personnes sont conviées à un forum d’entrepreneurs et à des conférences.
 

A cette occasion, le Premier ministre japonais a exprimé la volonté de son pays de contribuer à une «croissance de qualité» en Afrique, et annoncé «des investissements de 30 milliards de dollars» sur trois ans. Le Japon donne «la priorité à une approche valorisant l’investissement humain et une croissance de qualité», a indiqué Fumio Kishida, dans son discours en visioconférence depuis Tokyo, n’ayant pu faire le voyage pour cause de Covid. 

Ces fonds «privés et publics» devront être consacrés à «la promotion d’une économie verte» qui bénéficiera d’une enveloppe de 4 milliards de dollars, a-t-il affirmé. «Pour améliorer la vie des Africains, nous fournirons aussi jusqu’à 5 milliards de dollars cofinancés avec la Banque africaine de développement» (BAD), a-t-il ajouté, dont un milliard pour «des restructurations de dettes». 
 

Dans son discours, le président tunisien Kaïs Saïed, hôte du sommet, a appelé «à chercher ensemble les moyens pour les Africains d’accomplir les rêves et espoirs de la première génération après l’indépendance». Il a aussi salué la réussite japonaise qui a su «parvenir au développement tout en préservant sa culture et ses traditions». 

son tour, le président sénégalais Macky Sall, président en exercice de l’Union africaine (UA), a rendu hommage «au partenariat de référence» avec le Japon, saluant des «résultats concrets dans l’agriculture, la santé, l’éducation, l’hydraulique». Il a souligné que les priorités du continent sont «la quête d’une souveraineté pharmaceutique» avec un accroissement de la production (locale) de vaccins et médicaments et «la souveraineté alimentaire». 

L’Afrique veut «des investissements pour une coopération bénéfique» et «une réallocation de droits de tirage spéciaux» du FMI, pour l’aider à se relancer après les ravages économiques de l’épidémie de Covid et de la guerre en Ukraine, a-t-il affirmé. Et d’ajouter : «L’Afrique plaide aussi pour la suspension des intérêts de la dette par le G20» et a demandé un siège au sein de ce groupement des 20 premières économies «afin d’assurer une meilleure prise en charge des intérêts du continent». Selon le président Sall, cela pourrait se concrétiser «au prochain sommet G20 à Bali» (Indonésie) en novembre. 
 

Avant son entame, le sommet a connu un incident diplomatique avec le départ de la délégation marocaine et le rappel de l’ambassadeur à Tunis, en réaction à la venue à la Conférence du secrétaire général du Front Polisario Brahim Ghali. Tout en réitérant sa «traditionnelle neutralité», Tunis a rappelé à son tour son ambassadeur au Maroc, indiquant que la République sahraouie est invitée par l’UA dont elle est membre (lire l’article de Mourad Sellami en p 12). 
 

La Ticad est créée à l’initiative du Japon en 1993. Sa première édition est organisée à Tokyo. Elle a pour objectifs de promouvoir le dialogue entre les dirigeants africains et les partenaires et mobiliser le soutien pour les initiatives du continent en vue de son développement. 
 

La Conférence de Tunis intervient alors que la Chine, un des concurrents du Japon, a annoncé le 18 août dernier, à l’occasion d’une réunion de coordination de la coopération sino-africaine, l’annulation de 23 prêts contractés par 17 pays du continent. Ces prêts étaient arrivés à échéance à la fin de l’année 2021. Pékin s’est déjà engagé, par le passé, à des opérations de restructuration de dettes, au Congo, en Angola et récemment en Zambie. 
 

Lors de la précédente Conférence, en 2019, le Premier ministre japonais, à l’époque Shinzo Abe, a mis en garde l’Afrique contre le danger d’accumuler des dettes «excessives», allusion à la Chine. D’autant que Pékin n’a cessé d’accroître sa présence sur le continent à travers son ambitieux projet d’infrastructures des «Routes de la soie». 
 

Un continent convoité
 

Riche en matières premières, l’Afrique est devenue pour les grandes puissances un enjeu économique et géostratégique après la fin de la guerre froide. D’où les conquêtes qu’elles mènent sur le continent. Les Occidentaux sont loin d’être les seuls à s’intéresser davantage à cette partie du monde. La présence traditionnelle des anciennes puissances coloniales (France et Grande-Bretagne) est concurrencée par d’autres puissances: les Etats-Unis, le Japon, la Chine, l’Inde, la Turquie et la Russie. Le premier sommet France-Afrique a eu lieu en 1973.

 Et depuis la première édition du Forum sur la coopération sino-africaine en 2000 (Focac), des rencontres de ce genre se sont multipliées : sommets Inde-Afrique et Turquie-Afrique depuis 2008, Russie-Afrique depuis 2019. Les Américains ont organisé en août 2014 le premier sommet Etats-Unis–Afrique à Washington. En 2020, le secrétaire d’Etat américain, Mike Pompeo, a effectué une tournée du continent pour mettre en garde les Etats africains contre l’influence de la Chine. En juillet dernier, le président américain, Joe Biden, a annoncé la tenue d’un sommet entre les Etats-Unis et plusieurs dizaines de pays africains du 13 au 15 décembre prochain à Washington pour discuter de défis allant de la sécurité alimentaire au changement climatique. «Ce sommet démontrera l’engagement durable des Etats-Unis envers l’Afrique et soulignera l’importance des relations entre les Etats-Unis et l’Afrique et d’une coopération accrue sur des priorités mondiales communes», a-t-il déclaré dans un communiqué.
 

Début août, le secrétaire d’Etat américain, Antony Blinken, a effectué une tournée africaine qui l’a mené en Afrique du Sud, à la République démocratique du Congo (RDC) et au Rwanda. Il s’agit du deuxième déplacement de A. Blinken en Afrique depuis sa prise de fonctions. En 2021, il s’est rendu au Kenya, au Nigeria et au Sénégal.
 

Le second périple intervient après la tournée en Afrique fin juillet de son homologue russe Sergueï Lavrov, où il s’est rendu au Congo-Brazzaville, en Ouganda, en Egypte et en Ethiopie. Côté Inde, en mai 2017, le Premier ministre, Narendra Modi, a dévoilé, à l’occasion d’une réunion de la Banque africaine de développement (BAD) qui s’est tenue à Ahmedabad, en Inde, un projet de route commerciale : le «corridor de la croissance Asie-Afrique», surnommé la «route de la liberté», pour concurrencer le projet chinois «la Route de la soie».

 Il s’agit de créer une région indo-pacifique «libre et ouverte» et de relier ainsi l’Afrique au Pacifique, en passant par l’Asie du Sud et l’Asie du Sud-Est. Le projet est porté par le Japon et l’Inde. Il met l’accent sur le «développement durable» plutôt que sur le commerce, et s’appuie exclusivement sur les voies maritimes à «bas coût» avec une «faible empreinte carbone». Dans le cadre d’une stratégie d’expansion de sa marine dans l’océan Indien, New Delhi a multiplié sa coopération militaire avec des pays d’Afrique orientale et a déjà mis en place un poste d’écoute à Madagascar. 
 

En janvier 2020, une quinzaine de dirigeants africains a participé au sommet sur l’investissement entre le Royaume-Uni et l’Afrique à Londres. 


Présence militaire


En plus, les implantations militaires se sont répandues sur le continent depuis vingt ans. Depuis 2011, le Japon a développé une base logistique à Djibouti pour les missions de sa marine contre la piraterie maritime dans le golfe d’Aden. Le gouvernement chinois a répliqué en 2017 en inaugurant sa première base militaire outre-mer à Djibouti, qui jouxte le nouveau port de Doraleh (inauguré fin mai 2017) et la zone franche de Djibouti-Ville, tous deux construits par la Chine. De leur côté, les Etats-Unis ont augmenté leur présence militaire. Faute d’un pays d’accueil africain, le quartier général du commandement américain pour l’Afrique (Africom) créé en 2007 est installé à Stuttgart, en Allemagne. Mais le Pentagone dispose sur le continent du Camp Lemonnier à Djibouti en 2002, comme il a aménagé une base de drones à Agadez au Niger depuis 2016. 
 

A son tour, en 2017, la Turquie a installé à Mogadiscio, en Somalie, une base militaire qui sert de centre d’entraînement pour les troupes somaliennes. Ankara a dépêché sur place 200 officiers et instructeurs turcs pour former les soldats somaliens, en guerre contre les milices shebab. La Russie a annoncé, en novembre 2020, la signature d’un accord avec le Soudan pour la création d’un «centre logistique» russe dans la zone de Port-Soudan. Cette infrastructure navale devrait pouvoir accueillir simultanément quatre navires russes et 300 marins. Le Kremlin a approché d’autres gouvernements africains pour renforcer sa présence en Afrique.

 Le troisième sommet Turquie-Afrique s’est tenu à Istanbul les 17 et 18 décembre 2021. Ayant pour thème le «Partenariat renforcé pour un développement et une prospérité mutuels». Avant l’arrivée de Recep Tayyip Erdogan au pouvoir, la Turquie s’est intéressée à l’Afrique. En effet, en 1998, Ankara avait lancé un «plan d’action pour une ouverture à l’Afrique». 

Sur le plan politique d’abord : avec 43 ambassades, l’UA compte 55 Etats, Ankara dispose de l’un des réseaux diplomatiques les plus denses en Afrique, alors que ses représentations n’étaient que de 12 au début du millénaire. Le prochain sommet Turquie-Afrique est d’ores et déjà programmé en Afrique en 2026. En novembre 2021, le Niger a signé un contrat d’armement prévoyant, entre autres, l’acquisition de Bayraktar TB2.

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