Mine affable, aux grands yeux vifs et chaleureux, Rabah Kheddouci m’a agréablement surpris en assistant au dernier Festival de la littérature et de la poésie, tenu à Ouargla durant la dernière semaine du mois de novembre 2024, ayant pour thème : «La littérature pour enfants», un créneau cher à mon mentor de marque.
On a survolé les vaux et les dunes ensemble. D’émouvantes retrouvailles après la pernicieuse période Covid-19. Kheddouci peut se targuer d’être le seul écrivain arabophone à faire montre d’une grande abnégation pour financer entièrement la traduction de toutes ses œuvres vers l’anglais et le français, du roman à la nouvelle, du conte pour enfants au récit de voyage, de l’essai historique au mémoire, en passant par l’encyclopédie des écrivains et des savants algériens. Prolifique, sa plume n’en démord pas, totalisant plus de cinquante livres aussi divers que riches. Natif de Beni Misra (1955), haut niché dans le majestueux Atlas blidéen, Kheddouci excelle dans le défrichement du patrimoine local, notamment dans la fertile région de la Mitidja, ce paradis aux fragrances grenadines et citronnées.
Il s’intéresse essentiellement à la culture de l’enfant dont il consacre la moitié de sa vie à la promouvoir par l’écriture et l’édition. Né le 16 décembre 1955 dans les hameaux de Beni Misra, sentant la résine des conifères givrés, Kheddouci aura vécu six ans consommés et consumés la Révolution algérienne avec son lot d’horreurs et de privations. Pourtant l’enfant, éveillé au lendemain de l’indépendance du pays, exhibe un récépissé daté du 15 juin 1963 attestant de sa remise de deux francs français au Fonds de la solidarité nationale, un geste altruiste ô combien symbolique d’une paume tendre qui lui vaudra, quelques décennies après, foisonnement de la production littéraire et reconnaissance de la sphère cultuelle algérienne.
Fondateur du magazine El Mouaâlim
A l’entame du troisième millénaire tant craint à l’échelle dystopique et informatique, l’ex-inspecteur de l’éducation intègre la fameuse commission «Benzaghou» de la réforme du système éducatif algérien dont l’expérience dichotomique et les tiraillements vécus de l’intérieur sont consignés dans son bel ouvrage L’École et la Réforme (2002). Mû par l’amour de prodiguer aux enfants une éducation au diapason de la modernité et du savoir continu, sans pour autant se laisser phagocyter par l’ogre de la déculturation, Kheddouci porte au cœur l’ éducation optimale pour nos poussins. Au même moment, Kheddouci a même créé un magazine mensuel intitulé El Mouaâlim («L’Instituteur») qui, faute de soutien et de lectorat auprès des instituteurs eux-mêmes, finit par disparaître la mort dans l’âme, déplore son fondateur. Tous les ingrédients étaient donc réunis pour freiner l’essor de l’école algérienne qui a enfanté son contingent de monstres.
Au fil des dernières décennies, l’infatigable homme de lettres Kheddouci, récipiendaire de maints prix littéraires, a également pris part à de nombreux colloques culturels et littéraires organisés en Algérie et à l’étranger (Baghdad, Paris, Beyrouth, New Delhi, Assilah, etc.) , servant ainsi aux participants ses riches sucs de réflexions tant dans la littérature pour enfants que pour adultes. Au fait, Kheddouci était membre fondateur de plusieurs symposiums mémorables : Rencontre nationale de la littérature de Saïda (1990), Miliana (1991) et Hammam Melouane (2000-2003). Là où la nature est resplendissante, la vie fleurit et la créativité s’épanouit, et où il y a quiétude le poème sert ses vers exquis. Ainsi, Blida a de tout temps été le foyer de la culture et la capitale des arts et de la littérature.
Il n’est pas donc étonnant de voir Blida célébrer la culture, notamment l’organisation du Festival printanier blidéen durant des années, comme Blida a toujours célébré la poésie et les poètes lors des Rencontres nationales et arabes tenues régulièrement entre 2015 et 2017 et qui attiraient des poètes de plusieurs pays arabes, auxquelles Kheddouci contribuait personnellement. Il a toujours été aux petits soins de la culture algérienne dans la corporation des écrivains comme des éditeurs, ne ratant jamais une occasion pour y apporter son expérience et ses grandes visions.
Par ailleurs, en visionnaire invétéré, c’était Kheddouci qui a imaginé en 1991 l’édification d’une ville d’excellence pour les créateurs, qui serait l’actuel Sidi Abdellah, bien qu’au sens large de la technologie et du développement durable. Quelle grande idée qui germait en lui ! Rabah Kheddouci, l’homme de culture viscéralement algérienne, mérite de son vivant la plus haute distinction des mains du président de la République.
Par Belkacem Meghzouchene
Auteur et traducteur