Hilal Belkacem. artisan de sculpture berbère sur bois d’Ighil Ali (Béjaïa) : «L’artisan algérien n’est ni protégé ni encouragé»

06/02/2022 mis à jour: 00:20
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Il est l’un des derniers maîtres à pratiquer la sculpture berbère sur bois à l’ancienne. Fils et petit-fils de sculpteurs renommés dans la région d’Ighil Ali, et bien au-delà, Hilal Belkacem est le dernier maillon d’une longue chaîne d’artisans qui ont tenté de maintenir en vie un art symbole d’histoire, de culture et d’identité millénaires. 

Faute d’artisans pour perpétuer la tradition, ces coffres et portes sculptés ne se retrouvent aujourd’hui que dans les musées d’Alger et Paris ou chez de riches collectionneurs privés. Malheureusement, la mondialisation, qui travaille en faveur des cultures dominantes, le manque d’encouragement, d’aide et prise en charge par l’État font planer la menace d’une disparition pure et simple de nombreux pans liés au secteur de l’artisanat en Algérie. 

A commencer par la sculpture berbère sur bois que Hilal Belkacem est l’un des derniers artisans à maintenir en vie. C’est un minuscule réduit encombré d’outils accrochés un peu partout qui lui sert d’atelier. Les murs nus mais couverts d’étagères qui débordent de pièces de bois sculptées plus ou moins finies ou qui attendent un dernier coup de burin ou de vernis. Hilal Belkacem, 42 ans, a toujours baigné dans la culture et la sciure de ce bois que des membres de sa famille travaillent à longueur de journée. 

A l’heure ou les autres enfants s’amusaient avec des jouets, Hilal jouait à tracer maladroitement des dessins et des sculptures sur des morceaux de bois. Comme pour imiter son papa et son grand frère dont c’était le métier. Avec le temps, ce qui n’était au départ qu’une passion est devenu un métier. Son grand-père était déjà un sculpteur connu et reconnu dans l’art de sculpter les portes et coffres, grande spécialité de la région des Ath Abbes. Dans de très nombreux villages, on pouvait admirer des portes cochères massives à deux battants que chaque grande maison respectable se devait d’avoir. A l’intérieur des grandes maisons, on retrouvait presque toujours un grand coffre de bois sculpté, signe de distinction et de richesse qui servait aussi bien d’armoire et de coffre à bijoux. 

Rachetés par des antiquaires avides de profit et par des collectionneurs particuliers, les plus beaux coffres ont tous fini dans des musées à Alger et Paris ou chez de riches collectionneurs. Bizarrement, la sculpture berbère sur bois, notamment ces fameux coffres et les portes massives décorés avec des motifs incrustés comme la croix bouletée, le losange, le damier ou la frise florale, est un art géographiquement limité à la basse Kabylie et à la Kabylie orientale. 

C’est une spécialité que l’on ne retrouve que dans la région des Bibans, principalement chez les tribus des Ath Abbes, Ath Aidhel, Ath Warthiran et Ath Yala. Des tribus qui ont la particularité d’être toutes issues de la très riche dynastie hammadite qui a décidé un jour de quitter les hauts plateaux du Hodna pour se réfugier dans les montagnes de Béjaïa à l’arrivée des tribus nomades des Banu Hillal et Banu Maaqil au début du deuxième millénaire.

De la restauration des œuvres anciennes à la création    
 La sculpture ne deviendra véritablement le métier de Belkacem Hilal qu’à partir de l’année 1999. «Ce sont surtout quelques antiquaires amis qui m’ont indirectement poussé vers ce métier, car j’ai commencé par restaurer des pièces qu’ils avaient acquises. Et c’est donc tout naturellement que je me suis donc spécialisé dans le berbère», dit-il. De la restauration à la création, il n’y a qu’un petit pas que Hilal se dépêche de franchir en se mettant à créer ses propres œuvres. Des portes, des coffres à bijoux, des veilleuses, des presses à l’huile traditionnelles et différents objets selon la disponibilité du bois, les commandes ou l’inspiration. 

La volonté, la passion et l’amour du métier ne suffisent toutefois pas à maintenir une tradition ni à faire bouillir la marmite de l’artisan. «Nous ne recevons aucune aide, aucun encouragement des autorités de ce pays. L’absence de sérieux et de compétence de leur part explique largement l’état de l’artisanat dans notre pays», dit Hilal visiblement dépité par la situation dans laquelle se retrouvent pratiquement tous les artisans des différents corps de métier qui font vivre la tradition ou travaillent à la maintenir vivante. Beaucoup d’artisans ont raccroché définitivement leurs outils. C’est le tourisme, en premier lieu, qui fait vivre l’artisanat et dans une Algérie qui a toujours compté sur les richesses de son sous-sol pour vivre, il n’a jamais eu sa place.

Un art millénaire qui risque de disparaître

«Quand on rentre, à titre d’exemple, à la chambre du tourisme et de l’artisanat, on ne trouve aucune œuvre d’un artisan ou d’un artiste algérien. Pas même une chaise d’un artisan algérien ! 

Tout le mobilier de bureau, toute la décoration est importée. Ils n’achètent même pas le produit local, ne serait-ce qu’encourager la production et la soutenir. Au ministère du Tourisme ou je suis rentré un jour, j’ai fait le constat que de la porte d’entrée jusqu’au bureau du ministre, il n’y a pas une seule œuvre algérienne. Pas une seule. 

C’est triste, mais en même temps cela est un indice du peu d’importance que les autorités accordent aux artisans. Comment voulez-vous que l’artisanat se maintienne dans ce pays du moment que le tourisme n’existe pas», se lamente notre artisan sculpteur qui choisit également d’évoquer le problème des contrefaçons qui inondent le marché de l’artisanat. «Il m’arrive de passer 3 à 4 mois sur une seule œuvre. Imaginez maintenant que des petits malins prennent des œuvres artisanales algériennes originales et vont en Chine faire des milliers de copies pour les vendre à des prix défiant toute concurrence. Comment voulez-vous survivre à ce type de piratage quand le marché de l’artisanat n’est pas contrôlé et qu’il est livré aux trabendistes et aux affairistes de tout bord», s’offusque notre homme. 

La sculpture traditionnelle berbère existe depuis la plus haute antiquité à travers toute l’Afrique du nord et le monde amazigh dans son immense diversité. De la Libye au Maroc, on retrouve partout les mêmes motifs décoratifs spécifiques d’une très grande richesse et variété. D’une grande beauté également. C’est un art intemporel qui souligne la permanence berbère. Si le tissage et la poterie sont plutôt l’apanage des femmes, la sculpture sur bois est, quant à elle, un art exclusivement pratiqué par les hommes.

«Il y a le Berbère ancien et le Berbère nouveau», précise Hilal pour lequel cet art a évolué et mué au fil des ans. Cependant, ce qui désole le plus notre sculpteur est que cette tradition très ancienne et très ancrée dans la culture millénaire du pays risque de disparaître dans un avenir très proche, faute d’artisans et de jeunes qui reprennent le métier. «Je ne peux même pas pendre de stagiaires pour leur transmettre cet art, car premièrement, je n’ai pas d’espace dans mon petit atelier. Voyez comme c’est exigu et l’outillage pratiquement inexistant. 

De plus, les commandes sont rares et le travail devient intermittent. Nous ne sommes même pas autorisés à utiliser le bois de toutes ces forêts qui ont malheureusement brûlé à travers notre pays. On ne nous donne ni on ne nous vend ce bois. Le bois de cèdre de l’Atlas de notre pays est l’un des meilleurs au monde et il n’est pas exploité», dit-il encore. Hilal Belkacem s’estime dans son droit le plus absolu : «Nous n’attendons pas la charité ni des subventions de la part des autorités qui veillent sur le secteur du tourisme et de l’artisanat de ce pays. Nous attendons juste qu’ils fassent correctement leur boulot et accomplissent la mission pour laquelle ils ont été placés à la tête de ce secteur.» 

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