Pour le politologue Hasni Abidi, spécialiste du Moyen-Orient, l’Iran est plus que jamais ébranlé dans ses prétentions de leadership régional, face à un gouvernement israélien obsédé par l’impératif de barrer la route à ses projets de se doter de l’arme nucléaire.
Entretien réalisé par Mourad Slimani
L’assassinat du chef du bureau politique du Hamas en plein Téhéran, alors qu’il s’y est rendu pour assister à l’investiture du nouveau président iranien, sonne comme un défi extrême lancé à la République islamique, au-delà de la décapitation du mouvement palestinien. Quelles répercussions, selon vous, sur le statut de l’Iran comme puissance régionale au Moyen-Orient ?
C’est un coup dur pour la République islamique et ce à plusieurs niveaux. Pour le guide suprême qui détient les vrais pouvoirs, pour le nouveau Président qui se trouve confronté à sa première crise internationale et enfin pour l’appareil sécuritaire qui montre des failles béantes. Viser le chef d’une organisation faisant partie de l’«axe de la résistance» qui se trouve sous la protection de l’Iran est un véritable affront. Non seulement le système de défense aérien a failli, mais des interrogations sérieuses sur le fonctionnement des services du renseignement iranien sont désormais posées. L’Iran est dans une situation où les risques de la non-réponse sont de même intensité que ceux de riposter.
Israël sous l’impulsion de Netanyahu élargit le champ de la guerre en intensifiant les incursions sur le front libanais et en entraînant Téhéran dans un engrenage que les dirigeants iraniens semblent vouloir éviter. Qui a intérêt aujourd’hui à tenter la déflagration régionale ?
Israël tire son épingle du jeu dans toutes les configurations. Il reprend non seulement l’initiative politique mais confirme son avantage militaire et son leadership dans la région. Depuis le 7 octobre, Israël est mis en cause sur la faillite de ses services de renseignement et les enquêtes et les demandes d’audition s’entassent à la Knesset. Par le double assassinat en quelques heures, le Mossad a réalisé une performance de taille dans la région. L’objectif est certes contradictoire mais à l’avantage d’Israël :
1- brandir la neutralisation des poids lourds du Hamas, négocier en position de force et décréter la fin de la guerre réclamée par Trump avant sa possible élection afin de s’occuper du nucléaire iranien.
2.- Une escalade voulue par Israël en vue de l’instauration d’une dynamique de guerre qui conduirait l’Occident à lui renouveler et renforcer son soutien pour mettre hors d’état de nuire tous les alliés de l’Iran dans la région et mettre les conditions nécessaires à la survie de sa carrière politique.
Dans quelle mesure le contexte électoral aux Etats-Unis et le changement à venir à la tête de la Maison-Blanche inspirent-ils de nouveaux contours à la géopolitique de la région ?
C’est une nouvelle incertitude qui rend illisible la lecture de la séquence internationale à venir. Il ne faudrait pas se réjouir de la victoire de la candidate démocrate. Les différences avec Trump sont des nuances et non pas des divergences de fond.
Cependant, le contexte électoral est un indicateur sur les nouvelles priorités des candidats et sur l’identité des courtisans qui vont se bousculer pour offrir leurs services. La politique étrangère américaine est alignée sur les intérêts nationaux, la sécurité d’Israël et l’encerclement de la Russie et de la Chine.
Plus globalement, la montée des tensions dans le monde, avec comme vu lors du dernier sommet de l’Otan, une remobilisation occidentale contre la Russie bien entendu, mais aussi la Chine et l’Iran, attribue-t-il un nouveau rôle à Israël, au-delà de ses appétits coloniaux en territoires palestiniens?
Quand les Américains s’éloignent des principes de la diplomatie multilatérale et de la légalité internationale, ils ouvrent un boulevard à une compétition entre divers acteurs pour revendiquer une part de gâteau, une zone d’influence cédée par les grands acteurs. La multiplication des foyers de tension au Soudan, Yémen, Sahel, Irak, Libye… témoignent d’une nouvelle ère dans les relations internationales où les grandes puissances ne le sont plus, révisent leurs priorités et sous-traitent la gestion des conflits. Il faut s’attendre à de nouvelles alliances et de nouvelles configurations nourries par une compétition effrénée, ce qui explique la double obsession, iranienne de se doter de la bombe nucléaire, véritable police d’assurance pour le régime, et l’obsession israélienne de l’en empêcher et lui éviter une position centrale au Moyen-Orient.
Fort de son statut de pays fonctionnel et utile à Washington dans la région, Israël va accentuer ses efforts pour s’allier avec les principaux Etats arabes, déjà à l’œuvre avec les accords d’Abraham. L’ultime objectif d’Israël est de passer d’une menace à une garantie pour ses voisins.